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EXCLUSIF : une journée sur le front avec les peshmergas en Irak

Après des mois d’impasse, une offensive à grande échelle des peshmergas, appuyés par des volontaires américains et des frappes aériennes, a chassé le groupe EI de dix villages
Le général Wasta Rasul, qui coordonne l’attaque sur le terrain (MEE/Baram Maarouf)

KIRKOUK, Irak – La ligne de front entre les forces kurdes peshmergas et le groupe État islamique (EI) dans le nord de l’Irak ne bougeait guère depuis des mois, mais tout cela a changé mercredi matin.

À l’aube, des milliers de peshmergas kurdes appartenant principalement à l’Union patriotique du Kurdistan (PUK), soutenus par des unités spéciales de lutte contre le terrorisme, des combattants volontaires et des équipes médicales se sont réunis près de l’autoroute qui traverse le village d’Haftagar, au sud-est de Daquq, dans la province de Kirkouk.

Leur mission consistait à lancer l’une des plus grandes offensives de ces derniers mois et à reconquérir dix villages en une seule journée dans l’espoir de prendre finalement le contrôle de toute la province.

Divers généraux irako-kurdes sont arrivés pour diriger les troupes amassées, du personnel militaire américain était également présent, apparemment pour aider et coordonner les frappes aériennes de la coalition.

La nuit précédente, les rues de Kirkouk avaient été inhabituellement calmes et vides. Les habitants étaient au courant de l’offensive et étaient majoritairement restés à l’intérieur de chez eux, tandis que des milliers de membres des forces de sécurité se déployaient à travers la ville pour éviter tout attentat-suicide de la part du groupe EI visant à contrecarrer l’offensive.

En fin de compte, le groupe EI a lancé une attaque préventive sur la ligne de front à 4 h du matin (2 h 00 GMT) alors que le convoi des forces peshmergas était encore sur l’autoroute, dans l’espoir d’atteindre la ligne de front à 50 kilomètres de là.

Seules les flammes des célèbres puits de pétrole incendiés de Kirkouk éclairaient l’horizon. Tandis que le soleil commençait à se lever sur le désert, d’autres peshmergas ont continué à affluer. Certains étaient à pieds, d’autres en voiture. Quelques-uns ont même pris des selfies. Les villageois se sont réunis sur les talus ou sur les toits pour tenter d’apercevoir l’action.

Des combattants peshmergas attendent les ordres avant de pénétrer dans le village d’Albu Najm, attaqué par les forces kurdes et les frappes aériennes de la coalition (MEE/Baram Maarouf)

Le combat commence

Bien que dans l’incapacité d’avancer avec les troupes sur le front, Middle East Eye observait le front (à 1 km en arrière des combats), tandis que les explosions résonnaient au loin.

Ce fut d’abord le bruit des roquettes Katioucha de fabrication russe lancées par les forces peshmergas, suivies par les frappes aériennes américaines qui ont fait résonner un grondement sourd à l’horizon. L’échange de coups de feu occasionnels secouait l’horizon. Après environ une demi-heure, l’annonce que le premier village avait été pris a retenti parmi les combattants qui attendaient.

Sur le front, les responsables de l’armée des États-Unis se tenaient sur les talus créés pour surplomber la ligne des combats, tandis que des vétérans américains s’étant portés volontaires pour combattre auprès des peshmergas se tenaient en contrebas. Il n’y a eu aucun contact entre l’armée officielle américaine et ces volontaires.

« J’étais à Kobané [en Syrie] avec les YPG [Unités de protection du peuple] et maintenant je suis ici avec les peshmergas à Kirkouk. J’ai servi en Afghanistan », a déclaré un volontaire américain, qui portait une broche du leader du PKK kurde, Abdullah Öcalan, sur son uniforme.

Un autre volontaire américain combattant aux côtés des peshmergas avait fièrement enfilé un uniforme du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), bien que son pays considère le groupe comme une organisation terroriste.

« L’Irak n’existe plus », a-t-il déclaré à MEE. « J’ai servi en Irak après 2003. Nous avons débarqué et foutu la m***e dans le pays et regardez aujourd’hui : le groupe EI utilise des armes américaines, viole des femmes, brûle des villages. J’ai honte. Je suis ici pour terminer ce que nous avons commencé, mais, sur le terrain, nous ne sommes plus là en tant qu’Américains. Nous sommes avec les Kurdes maintenant. »

« Je ressens une sorte d’énergie que je n’ai jamais ressentie auparavant, quand je servais dans l’armée américaine en Irak. Je suis ici contre la volonté de mon gouvernement, mais je me bats pour ce qui est juste », a-t-il ajouté.

Ils seraient au moins une centaine d’Américains à se battre aux côtés des forces kurdes en Syrie, et peut-être encore plus en Irak, bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis. La plupart ont une formation militaire, ou une vie compliquée chez eux.

« Après mon retour de [service actif en] Irak, ma femme m’a quitté. J’ai posé un pistolet sur ma tempe et j’ai failli me tuer, jusqu’à ce que je trouve un nouveau but ici », a-t-il confié.

Ici, les combattants se retrouvent dans des conditions assez difficiles. En dépit de la formation d’une coalition de lutte contre le groupe EI sur l’initiative des États-Unis l’été dernier, les progrès ont été lents.

Même lorsque les militants du groupe EI battent en retraite, ils ont tendance à laisser derrière eux des engins explosifs improvisés (EEI). Des équipes de démineurs déployées en amont des combattants ont encouru des pertes humaines. Pendant les quelques heures qu’a duré l’offensive, deux combattants peshmergas ont été tués sur le coup en essayant de désamorcer un engin. La forte explosion a retenti jusqu’à la ligne de front, assombrissant lentement le moral. Une heure plus tard, le général Wasta Rasul a annoncé une autre victime à son retour de la ligne de front.

« Les équipes de déminage m’ont appelé pour me dire de faire avancer mes troupes dans le premier village », a-t-il déclaré à MEE. « Ces villages sont à un endroit stratégique pour encercler le groupe EI et couper ses voies d’approvisionnement. Cette zone, si elle n’est pas libérée, représente un danger pour la route de Kirkouk à Bagdad et pour les autres villages, qu’ils soient kurdes ou non, adjacents aux zones occupées par l’EI. »

Des représentants politiques appartenant à toutes les principales factions kurdes irakiennes n’ont pas tardé à arriver sur les lieux. Aso Mamend, membre du bureau politique de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), et Mohamed Haji Mahmoud, ancien peshmerga et dirigeant socialiste, ont attiré une foule immense.

« ISIS Hunting Club » en force

À mesure que l’offensive progressait, des machines ont été déployées pour aider trois divisions kurdes à creuser au niveau de la route principale et ainsi pouvoir attaquer l’ennemi sur différents fronts.

Des roquettes pour Katiouchas ont été apportées à la hâte par des combattants portant l’insigne du « ISIS Hunting Club », une organisation paramilitaire américaine.

À 9 h heure locale, les forces kurdes avaient réussi à reprendre quatre villages au groupe EI.

« [Les peshmergas] pourraient renverser le groupe EI facilement, mais le gouvernement central irakien à Bagdad ne veut pas nous voir gagner du terrain parce que nous reprenons les terres qui nous avaient été enlevées lors du nettoyage ethnique perpétré pendant les campagnes d’arabisation de Saddam Hussein », a déclaré Sirwan Maarouf, un représentant de l’UPK au Parlement européen.

En Irak, les tensions entre les Kurdes et les Arabes sont profondément ancrées. Les campagnes dites d’arabisation ont commencé dans les années 1980, quand Saddam Hussein a décrété le déplacement forcé et massif à la fois des Kurdes et des Arabes afin de neutraliser la prédominance kurde dans certaines parties du pays.

Un référendum aurait dû être organisé pour décider de l’avenir de la ville contestée de Kirkouk en 2007, mais la question a longtemps été retardée. Les forces kurdes ont pris la ville à l’armée irakienne l’année dernière. Les allégations de violences de la part des kurdes à l’encontre des villageois arabes dans les zones reconquises n’ont pas contribué à rapprocher les deux communautés.

Toutefois, malgré les réserves de Bagdad, le général Wasta Rasul a déclaré à MEE que le soutien aérien des États-Unis se faisait de plus en plus fréquent.

« Les avions de combat américains arrivent plus vite qu’auparavant », a-t-il dit. « Nous avons commencé avec rien et aujourd’hui, je dispose d’un armement moderne. Cela me remplit d’espoir. »

Il a également souligné que ses forces pourraient venir à bout du groupe EI en quelques mois si elles pouvaient disposer des réserves d’armes de l’armée irakienne, et a déclaré que les allégations de violences étaient fausses.

« À l’arrière de mon front, il y a 50 villages arabes. Je fais en sorte qu’ils vivent en paix. Notre objectif n’est pas de les chasser », a-t-il affirmé.

Décombres fumantes, repos à l’ombre

La ligne de front, qui fourmillait et où tant de gens s’étaient rassemblés quelques heures plus tôt, a commencé à se vider. MEE a rejoint les combattants se déployant dans les villages pris au groupe EI. Le calme tranchait avec la dévastation dans les villages suite aux combats. Les bâtiments utilisés par l’EI avaient été détruits par des frappes aériennes de la coalition, des maisons de terre abandonnées fumaient après avoir été touchées par des roquettes. Des gravats, des toits de tôle, du verre et du fer plié jonchaient les rues.

À Albu Najm, le premier village qui a été pris, les peshmergas se reposaient à l’ombre. Leurs visages, souriant, étaient marqués par l’épuisement, la sueur, le sable et les cendres fines qui remplissaient l’air. L’odeur de kérosène, d’huile, de fumée et de poussière, et le grondement des chars, des engins d’excavation et d’énormes véhicules blindés ne pouvaient les déranger. Un peshmerga a commencé à prier au milieu de cette folie. Les machines d’excavation kurdes ont commencé à démolir le village pour se débarrasser des engins explosifs improvisés et des mines placées par le groupe EI.

Tandis qu’Albu Najm fumait encore, les peshmergas se sont précipités pour saisir les sandwichs que Sirwan Maarouf leur avait apportés. Ils ont partagé leur récit du combat.

Chambre d’une maison du village d’Albu Najm utilisée comme base par l’EI. Un EEI neutralisé est visible en premier plan (MEE/Baram Maarouf)

« Ils [les membres du groupe EI] se cachaient dans une maison du village de Tal Bassal », a rapporté à MEE l’un des combattants des unités spéciales à son retour.

« Je suis reparti quand nous avons atteint le cinquième village. D’autres ont avancé jusqu’au dixième. Près de moi, un EEI a explosé, tuant notre capitaine. »

Ce n’était pas la première victime qu’il voyait tomber cette année. Son frère est mort en combattant l’EI et de nombreux membres de sa famille ont été tués dans des attentats-suicides à Kirkouk.

Selon le général Rasul, à la fin des opérations les peshmergas avaient pris environ 250 km² de territoire à l’EI. Il a annoncé que seuls quatre combattants avaient été tués parmi ses hommes, tous à cause d’engins explosifs improvisés laissés par l’EI. Il a déclaré plus tard à MEE qu’il avait vu les membres du groupe EI emporter les cadavres d’au moins 40 de leurs miliciens avec eux à Hawijah.

« Les frappes aériennes de la coalition ont également tué un grand nombre de combattants du groupe, et personne n’a pu retrouver leurs corps », a-t-il ajouté.

« Nous avons atteint nos objectifs. J’ai ordonné de construire une nouvelle ligne de défense en face du dixième village à l’aide de 19 machines d’excavation. Cela illustre bien la coopération entre les peshmergas, les unités de lutte contre le terrorisme et les frappes aériennes de la coalition. »

Le représentant de l’UPK auprès de l’UE, Sirwan Maarouf, a également tenu à saluer l’offensive.

« Ce n’était qu’un début », a-t-il déclaré à MEE. « L’opération se poursuivra jusqu’à ce que nous atteignons les frontières du Kurdistan historique. Ensuite, nous mettrons l’accent sur la défense. Nous ne progresserons pas plus loin dans les villes et villages majoritairement peuplés d’Arabes musulmans sunnites. Ce sera à l’armée irakienne de le faire. Nous, nous combattons pour le Kurdistan, pas pour l’Irak », a-t-il ajouté.

Ces objectifs, cependant, sont susceptibles de déplaire aux Irakiens arabes tant sunnites que chiites, et ne présagent rien de bon quant aux perspectives d’un Irak uni émergeant du chaos actuel.

« Début 2015, 2 000 combattants du groupe EI étaient prêts à nous attaquer et à prendre Kirkouk, mais nous voulons ancrer la démocratie ici, grâce à un système politique laïc qui protège tous les citoyens, indépendamment de leur origine ethnique ou de leur religion », a déclaré le général Rasul avant l’offensive.

« Si le gouvernement central irakien pense que nos martyrs meurent pour rien, il a tort. Nous ne renoncerons jamais à Kirkouk », a-t-il ajouté.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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