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Le sculpteur sur pierre tunisien de Dar Chaâbane

Cette ville côtière de la Méditerranée, qui abrite certaines des plus importantes ruines romaines au monde, est aussi le centre de l’industrie tunisienne de sculpture sur pierre
Abdelkarim au travail dans son atelier de sculpture sur pierre. Son travail peut être contemplé tout autour de la Méditerranée (MEE/Conor McCormick-Cavanagh)

NABEUL, Tunisie – S’élevant au-dessus de tous les autres bâtiments à l’horizon, le minaret de pierre de la mosquée de Dar Chaâbane domine notre champ de vision. Couvert de gravures islamiques complexes, qui s’entremêlent en de splendides motifs géométriques, ce minaret blanc est époustouflant de près comme de loin.

Une mosquée tunisienne comportant des sculptures sur pierre réalisées par Abdelkarim (MEE/Conor McCormick Cavanagh)

Dar Chaâbane se situe sur la côte méditerranéenne de la Tunisie, qui abrite également certaines des plus importantes ruines romaines au monde.

Des archéologues ont récemment découvert des objets artisanaux phéniciens enterrés sous ces sites romains. Vulnérable aux éléments, la splendeur passée de ces ruines a été au cours des millénaires estompée par l’érosion. De nos jours, les Tunisiens et les touristes n’ont accès qu’à une petite partie de ces structures romaines, mais l’industrie de la sculpture sur pierre de Dar Chaâbane fait en sorte que les styles antiques ne se démodent jamais en Tunisie.

Située en banlieue de la station balnéaire de Nabeul, dans la région tunisienne du Cap Bon, Dar Chaâbane offre une grande variété de décors de pierre.

Durant des milliers d’années, les résidents de la ville ont gravé des motifs dans la pierre dans un but à la fois artistique et pratique. Des colonnes romaines décorent l’entrée des maisons, les sculpteurs sur pierre combinent l’architecture antique avec la technologie moderne pour créer des barbecues de pierre, et même les rampes d’escalier s’inspirent de celles de la Carthage antique, cette grande cité phénicienne fondée en 814 av. J.-C.

À l’époque actuelle, les sculpteurs sur pierre de Dar Chaâbane préfèrent des styles qui associent les influences phéniciennes et romaines avec des motifs islamiques, créant ainsi un mélange qui reflète la diversité ethnique et culturelle de la Tunisie.

Bien que cette ville offre moins de variété qu’autrefois, Dar Chaâbane accueille tout au long de l’année des vacanciers européens. L’industrie de la sculpture sur pierre permet à Dar Chaâbane d’entretenir ces liens avec l’Europe, car les résidences de vacances sont agrémentées de sculptures sur pierre d’un goût exquis.

Al-Hedi Mehrez, dit Habib, a intégré l’industrie de la sculpture sur pierre au début des années 1940 car le décès de son père, qui nourrissait sa famille, signifiait pour lui abandonner l’école à l’âge de 10 ans et commencer à travailler dans une usine.

Après la fin de la Seconde guerre mondiale, Habib est resté à l’usine puis a été employé plus tard par le ministère de l’Infrastructure. Dans son travail pour le ministère, Habib s’est servi de sa connaissance de l’art ancestral de la sculpture sur pierre pour la construction moderne de projets architecturaux financés par le gouvernement Bourguiba, faisant des motifs taillés dans la pierre un élément familier de l’espace public.

Le fils d’Habib, Abdelkarim Mehrez, n’a pas suivi le même chemin que son père. À l’âge de 10 ans, lui jouait encore avec ses amis et passait du temps à la plage. Au début des années 1980, il a travaillé comme disc-jockey dans des boîtes de nuit et des établissements balnéaires à Hammamet, la ville tunisienne connue pour sa scène touristique animée.

Il a finalement rejoint les effectifs de l’usine de son père en 1986. Après des années passées à travailler avec lui, Abdelkarim a finalement ouvert sa propre usine et il entretient désormais la lignée des sculpteurs sur pierre de la famille Mehrez.

Aujourd’hui, le travail d’Abdelkarim peut être contemplé tout autour de la Méditerranée, dans des logis éloignés en France et en Italie, ainsi que sur des sites plus proches comme des mosquées tunisiennes, et même sur la cheminée de sa propre maison.

Abdelkarim en train de se servir de la scie à moteur lubrifiée avec de l’eau (MEE/Conor McCormick-Cavanagh)

Bien que le travail d’Abdelkarim ait une grande dimension artistique aux yeux de nombre de ses clients, il ne se considère pas comme un artiste. À 54 ans, il voit toujours son travail « exclusivement comme une entreprise et un commerce », même si le procédé actuel de taille et de gravure nécessite des mesures exactes et un œil artistique pour les motifs les plus récents.

En raison de ce procédé exigeant, il travaille de longues heures, et trime toujours dans l’usine les samedis et les dimanches, en fonction des demandes du marché.

À Dar Chaâbane, il n’est pas le seul dans ce cas, car les habitants de cette ville sont connus pour leur grande éthique professionnelle. En vérité, bien que la Tunisie d’aujourd’hui soit accablée par le chômage, les habitants de Dar Chaâbane maintiennent leur embarcation à flot. Mohamed Batout, ouvrier du bâtiment à la retraite, attribue cela au fait que les gens de la région « préfèrent tout simplement travailler. Tant qu’il y aura quelque chose à faire, ils le feront ».

Malgré cette forte éthique professionnelle, l’industrie de la sculpture sur pierre de Dar Chaâbane doit faire face à ses propres obstacles. Selon Abdelkarim, « l’industrie de la sculpture sur pierre est en lien avec tout le reste. Quand le tourisme baisse, les commandes des hôtels et des entreprises du bâtiment pour de nouveaux décors baissent aussi. »

Des sculpteurs sur pierre au travail dans l’atelier (MEE/Conor McCormick Cavanagh)

Après les attaques ayant visé des touristes au musée du Bardo et sur une plage de Sousse, l’industrie touristique a battu de l’aile. Les hôtels de tout le pays, qui, avant, étaient pleins à craquer de touristes européens, n’accueillent plus désormais que les estivants venus de l’Algérie voisine ainsi que les vacanciers du pays en provenance de différentes régions de Tunisie.

Depuis l’attaque de Sousse, de nombreux employés du secteur hôtelier ont également perdu leur emploi. Tandis que la demande s’appauvrit dans ce secteur, l’industrie de la sculpture sur pierre doit faire face aux mêmes difficultés.

Même avec ces problèmes, Abdelkarim est content d’avoir sa propre entreprise et de travailler à son compte. De plus, au cours des deux dernières années, il a eu la possibilité d’enseigner le commerce à son fils de 25 ans, Hamza. Disposant d’une formation d’ingénieur, Hamza poursuivra bientôt ses études en France, et il ne reprendra pas l’entreprise familiale de sculpture sur pierre. Malgré le départ prochain de son fils, Abdelkarim garde le sourire.

« Je suis mon propre patron, avec ma propre entreprise. C’est vraiment quelque chose », dit-il. De plus, grâce à son travail, il transmet l’art ancien de la sculpture sur pierre à la Tunisie moderne. En ce sens, son métier est très important, et il est fier de le pratiquer.

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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