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Ce que faisait l’armée de l’air saoudienne à Khartoum : le penchant du Soudan pour le Golfe

Le Soudan a abandonné l’Iran en faveur de ses alliés du Golfe et se rapproche des États-Unis et du Royaume-Uni. Est-ce une bonne chose pour les Soudanais ?

En pénétrant dans le hall de l’hôtel Al-Salam Rotana de Khartoum, j’ai vu des militaires saoudiens se préparer à partir pour leur dernier jour de l’exercice « Bouclier bleu » avec leurs homologues soudanais.

Ce rare exercice militaire conjoint des forces aériennes soudanaises et saoudiennes a fait les gros titres des journaux soudanais le lendemain, accompagnés de citations tirées de la déclaration finale du président Omar el-Béchir dans laquelle il a décrit les exercices comme un avertissement adressé à tous ceux qui souhaitaient porter préjudice à la sécurité d’un des deux pays.

Il n’a toutefois pas détaillé l’identité de ces « ennemis », puisqu’il n’avait pas besoin de le faire.

Le président soudanais Omar el-Béchir effectue le salut lors de l’exercice conjoint des forces aériennes soudanaises et saoudiennes à la base aérienne de Marwa, au nord de Khartoum, le 9 avril 2017 (AFP)

Le Soudan est connu depuis longtemps pour ses liens étroits avec l’Iran. Cette relation a commencé avec une perception commune de la solidarité islamique cultivée par leurs idéologies révolutionnaires, solidarité qui s’est progressivement épanouie avec une coopération militaire qui a attiré des sanctions occidentales contre le régime militaire soudanais.

Mais la relation entre les deux pays a pris fin en janvier 2016, après que l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran a été attaquée par des manifestants suite à l’exécution de Nimr al-Nimr, un éminent ecclésiastique chiite, et de 46 autres personnes. Le Soudan a alors rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran.

C’était l’excuse parfaite que Khartoum recherchait depuis longtemps. Avant cet incident, le Soudan avait rejoint la coalition saoudienne au Yémen en 2015 et aurait reçu 2,2 milliards de dollars pour avoir envoyé ses troupes sur la ligne de front contre les rebelles houthis alliés à l’Iran.

Au-delà de l’Arabie saoudite

Le penchant du Soudan pour l’Arabie saoudite ne semble pas s’arrêter à Riyad. Une série d’événements montre la direction vers laquelle le Soudan souhaite s’orienter.

Fin mars, le chef du service national soudanais du renseignement et de la sécurité, Mohamed Atta, a rencontré à Washington, D.C. le directeur de la CIA Mike Pompeo, le directeur du FBI James Comey et plusieurs membres du Congrès. L’opération de la CIA au Soudan est censée être la plus importante au Moyen-Orient, avec pour but apparent de renforcer la coopération en matière de lutte contre le terrorisme.

Dans les derniers jours de son mandat, le président Barack Obama a émis un décret qui a allégé les sanctions imposées depuis vingt ans contre le Soudan. Alors qu’un grand nombre des sanctions ne seront pas révoquées et que les États-Unis continueront de désigner le Soudan comme un État qui soutient le terrorisme, cette initiative ouvre la voie à la normalisation des relations entre les deux pays.

Article publié récemment par Al-Sudani consacré à Michael Aron, ambassadeur du Royaume-Uni au Soudan (Omair Anas)

Ce n’est pas seulement avec les États-Unis que le Soudan bâtit actuellement des relations. Le 10 avril 2017, l’interview approfondie accordée par l’ambassadeur britannique Michael Aron au quotidien Al-Sudani a porté un message fort pour le Soudan et la région, signalant la fin progressive des sanctions occidentales et du boycott du Soudan. Le lancement du Dialogue stratégique entre le Soudan et le Royaume-Uni en mars 2016 a été suivi d’une plus grande interaction entre les deux pays, notamment une troisième session de dialogue organisée le mois dernier à Khartoum.

Cette normalisation croissante des relations avec les puissances occidentales clés semble bénéficier du soutien d’Israël, qui voit le départ du Soudan de l’orbite de l’Iran comme une étape importante pour la sécurité israélienne.

L’équilibre national et international

Ce glissement spectaculaire vers l’Occident n’a pratiquement souffert aucune contestation de la part des alliés islamistes de Béchir dans la région. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont fortement investi au Soudan, aidant le pays à créer plus d’emplois, à construire des infrastructures et à résoudre ses conflits de longue date au Darfour et au Soudan du Sud.

Plus de 25 ans après le coup d’État militaire de 1989 qui l’a amené au pouvoir, Béchir a manqué à beaucoup de ses promesses et rencontre de graves problèmes au niveau national. Gangrené par l’extrême pauvreté, le chômage, le manque de formation des jeunes et une vie politique restreinte, le Soudan est en retard par rapport au monde arabe. Béchir a désespérément besoin d’alliés ayant les poches pleines ; les États du Golfe envisagent d’investir un pactole de 15 milliards de dollars dans le pays en 2017.

Ainsi, ce glissement géopolitique – et le soutien financier qui l’accompagne – offre à Béchir un plan de sauvetage national.

Mais les choses ne sont pas aussi simples : la manière dont Béchir a distribué des terres – en grande partie agricoles – aux investisseurs du Conseil de coopération du Golfe (CCG) devient une source de mécontentement de plus en plus importante parmi la population rurale du Soudan.

À LIRE : Les investissements saoudiens agricoles à l'étranger : accaparement de terres ou stratégie bénigne ?

En outre, une grande partie de l’investissement direct étranger entrant au Soudan concerne les secteurs agricole, animalier, alimentaire et minier et non les secteurs créateurs d’emplois, comme la manufacture ou l’infrastructure. Le chômage connaît une augmentation depuis 2011, année de la création d’un Soudan du Sud indépendant qui a emporté avec lui d’importantes ressources pétrolières.

Le tourisme reste également négligé dans la mesure où le pays manque d’infrastructures, de moyens de transport et de services.

Le tableau régional

Le rôle régional du Soudan est façonné par la guerre civile en Libye, dont l’issue est désormais en grande partie définie par l’Égypte. Un sentiment de méfiance s’est également installé entre le Tchad et le Soudan après que le Soudan a accusé le Tchad de soutenir les rebelles dans le Darfour.

Béchir bénéficie toujours du soutien des responsables politiques conservateurs soudanais et, par conséquent, ne pouvait pas rester aux côtés de l’Iran lorsqu’une grande partie de la région se retournait contre ce pays.

De plus, alors que la politique régionale confuse de l’Égypte a brouillé ses relations avec ses alliés du Golfe, le moment pour le Soudan n’aurait pu être plus opportun. Les politiques de l’Égypte en Syrie et en Iran ont changé à plusieurs reprises. En Libye, l’Égypte a apporté son plein soutien au général Khalifa Haftar tandis que d’autres pays reconnaissent toujours le Gouvernement d’entente nationale (GEN) comme étant le principal représentant du peuple libyen.

Le roi Salmane d’Arabie saoudite salue le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi alors qu’il quitte l’aéroport international du Caire, en avril 2016 (Saudi Press Agency/AFP)

Étonnamment, alors que tous les alliés régionaux de l’Égypte se sont félicités de la frappe de missiles Tomahawk lancée par les États-Unis contre la base militaire syrienne d’al-Chaayrate, laquelle a eu lieu une semaine après la rencontre entre les présidents Abdel Fattah al-Sissi et Donald Trump à la Maison-Blanche, Sissi est resté silencieux à ce sujet. Les deux attentats-suicides survenus dans son pays, qui ont tué 45 personnes, ont suscité davantage de doutes quant à la capacité de Sissi à maintenir la sécurité et la stabilité dans le pays.

Ainsi, alors que l’Égypte reste un partenaire réticent et peu fiable de l’Arabie saoudite, le Soudan trouve une occasion appropriée de mettre fin à son isolement régional et international et de recevoir en échange le soutien économique nécessaire.

La participation du Soudan aux opérations dirigées par l’Arabie saoudite au Yémen a fait du pays un allié fiable susceptible d’intégrer la communauté économique et sécuritaire de plus en plus forte du CCG, au même niveau que la Jordanie, le Yémen et le Maroc.

En penchant vers le Golfe et en intégrant la famille élargie du CCG, le Soudan aura un système politique propice au syndrome hollandais – ou malédiction des matières premières – qui le rendra excessivement dépendant des rentes et des sources extérieures, ce qui sera synonyme de stabilité et de pouvoir accrus pour le règne de Béchir – mais aussi de déception pour de nombreux Soudanais qui sont de plus en plus frustrés par les conditions immuables que connaît le pays.

Omair Anas est un commentateur et analyste basé à Delhi.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des avions participent à un défilé aérien lors d’un exercice conjoint des forces aériennes soudanaises et saoudiennes à la base aérienne de Marwa, près de Méroé, à environ 350 kilomètres au nord de Khartoum, le 9 avril 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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