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Ce que révèle un hôtel en Égypte de l’approche flexible d’Israël vis-à-vis de l’histoire

Les politiciens israéliens comparent fallacieusement les actions des dirigeants arabes au génocide des juifs en Europe – à la place, nous, Israéliens, devrions reconnaître que la coexistence avec les Palestiniens et leurs voisins est possible, si nous le voulons bien

Peu de temps après la signature de l’accord de paix entre Israël et l’Égypte en 1979, le Premier ministre israélien de l’époque, Menahem Begin, nomma le ministre de l’Intérieur Yosef Burg à la tête de la délégation israélienne chargée des discussions avec les Égyptiens sur l’autonomie des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

La question de l’octroi d’une autonomie aux Palestiniens était une composante importante de l’accord israélo-égyptien et Begin voulait que son ministre de l’Intérieur assume cette tâche. Un petit contingent de journalistes israéliens accompagna le Dr. Burg et sa délégation à Alexandrie. Pourquoi Alexandrie et non Le Caire ?

Avant d’arriver à l’hôtel, le chef de notre délégation, le ministre Burg, annonça que nous, les Israéliens, n’entrerions pas dans un hôtel appelé Palestine

Parce que les Égyptiens avaient refusé de se déplacer à Jérusalem pour les pourparlers afin de ne pas reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël ; ils préféraient Tel Aviv (en réalité, Herzliya). Menahem Begin, en représailles, avait annoncé que nous ne mènerions pas les pourparlers au Caire, la capitale de l’Égypte, mais seulement à Alexandrie.

Les Égyptiens préparèrent un hôtel de luxe en bord de mer à Alexandrie pour nous accueillir tous, membres de la délégation et journalistes. Nous découvrîmes seulement à notre arrivée le nom de cet établissement de luxe : l’Hôtel Palestine. Il était situé à une extrémité de la Corniche, la célèbre promenade de bord de mer d’Alexandrie. Avant d’arriver à l’hôtel, le chef de notre délégation, le ministre Burg, annonça que nous, les Israéliens, n’entrerions pas dans un hôtel appelé Palestine.

L’Hôtel Palestine

Il faut se souvenir qu’à l’époque, les relations entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), largement reconnue au sein de la communauté internationale comme la représentante des Palestiniens, étaient empreintes de haine.

Le gouvernement de Begin en particulier et le gouvernement d’Israël en général avaient refusé pendant plusieurs années tout contact avec les représentants de l’OLP ; il faudrait plus d’une décennie avant qu’Israël et l’OLP se reconnaissent formellement (dans le cadre des accords d’Oslo) en 1993.

Tel était le contexte alors que nous attendions à une extrémité de la Corniche, embarrassés, que les Égyptiens nous trouvassent un autre hôtel. Le nom et l’emplacement n’avaient pas d’importance tant que ce n’était pas l’Hôtel Palestine. Nous n’eûmes pas à attendre bien longtemps ; un autre hôtel fut trouvé, également en bord de mer : l’Hôtel San Stefano.

L’Hôtel Palestine à Alexandrie, Égypte (Booking.com)

Hélas, contrairement à l’Hôtel Palestine, luxueux et moderne, le San Stefano était (à cette époque) vétuste et flanqué d’un service pitoyable. « Nous irons ! », avait ordonné Burg. Les journalistes, ainsi que la plupart des membres de sa délégation, étaient amèrement contre. Comment pouvions-nous travailler dans des conditions aussi lamentables ?

Cet hôtel San Stefano à Alexandrie appartenait ou était géré par une église chrétienne. Il fut nommé ainsi en hommage à St. Stephen (St. Étienne), le premier saint martyr du début du christianisme, un jeune homme qui fut lapidé à mort par des juifs près de ce qui est aujourd’hui connu comme la basilique St. Étienne dans la vieille ville de Jérusalem – près de ce que les Européens appellent la porte St. Étienne (porte des Tribus en arabe, porte des Lions en hébreu).

Crimes chrétiens

Nous eûmes alors une idée fabuleuse : quelques-uns d’entre nous allèrent trouver le Dr. Burg, juif orthodoxe observant et leader du Parti national religieux en Israël, et lui dirent : dans cet hôtel, le San Stefano, on trouve une statue de Jésus dans chaque recoin ; êtes-vous, en tant que juif pratiquant, prêt à loger ici, à l’ombre de la Croix (pour ainsi dire) ? L’histoire juive est pleine de persécutions et de meurtres de juifs par des chrétiens : toutes les atrocités de l’Inquisition, les Croisades, l’Holocauste pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout ceci s’est passé dans des pays chrétiens. Qu’est-ce que les Palestiniens nous ont fait, vraiment, comparé à tout ça ?

Nos problèmes actuels avec les Palestiniens nous ont forcés à oublier nos problèmes historiques avec les chrétiens

Burg considéra la question avec un grand sérieux. Un jour, dans une interview à la radio, il avait indiqué que son père, un juif observant de la Torah à Dresde (Allemagne), empruntait un chemin plus long pour rentrer chez lui après le travail pour éviter une rue résidentielle fréquentée et ne pas passer ainsi près d’une grande église flanquée d’une énorme croix installée sur son toit.

Burg nous répondit qu’il appellerait le Premier ministre Menahem Begin et lui demanderait si, malgré tout, nous devions retourner à l’Hôtel Palestine. Ce qu’il se dit exactement pendant cette conversation entre Burg et Begin nous est inconnu. Quoi qu’il en fût, il revint peu de temps après et nous annonça : nous restons au San Stefano. Pourquoi ? Sa réponse prit la forme d’une citation de la tradition juive : « Les nouveaux problèmes nous font oublier les anciens. » Plus explicitement, le message était le suivant : nos problèmes actuels avec les Palestiniens nous ont forcés à oublier nos problèmes historiques avec les chrétiens.

Les mauvaises leçons de l’histoire

Je m’attarde sur cette histoire qui remonte à près d’une quarantaine d’années car les politiciens ont souvent tendance à utiliser les leçons tirées des événements passés pour justifier ce qu’ils font dans le présent. Cela est peut-être plus vrai encore des dirigeants israéliens – le politicien israélien adore employer un type particulier de sophisme inspiré des événements de l’histoire juive lorsqu’il essaie de dépeindre comme légitime une mesure controversée, habituellement très douteuse, qu’il prend dans le présent.

L’Holocauste du milieu du XXe siècle, au cours duquel un tiers du peuple juif a été anéanti, a eu lieu dans l’Europe chrétienne. Or, ce terrible événement est généralement utilisé dans les discours israéliens alignés sur ce qu’on appelle généralement la droite pour nous mettre en garde contre l’islam. Menahem Begin, sinon le premier, fut parmi ceux qui employèrent cette rhétorique dans son mode emphatique.

Auschwitz n’a pas eu lieu à Bagdad, à Damas ou à Téhéran ; Auschwitz a eu lieu dans l’Europe chrétienne

Pendant la première guerre avec le Liban, en 1982, il expliqua que l’armée israélienne devait se rendre à Beyrouth pour éliminer Yasser Arafat dans son bunker, tout comme les forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale étaient allées à Berlin éliminer Hitler dans son bunker. Un jour, Begin déclara même que notre alternative à une guerre au Liban était Treblinka – en d’autres termes, l’annihilation, pas moins.

Les pays occidentaux, en particulier en Amérique et en Europe, ont été parcourus ces dernières années par une vague massive de haine envers l’islam et les Arabes. Cela est bien connu. Une personnalité qui utilise souvent ce fait est le Premier ministre d’Israël, Benyamin Netanyahou. Dans un discours prononcé à la Knesset en 2012, il a déclaré que le dirigeant palestinien de la période du mandat britannique en Israël, Haj Amin al-Husseini, était l’un des principaux architectes de l’Holocauste.

Distorsion

Par la suite, Netanyahou a réitéré des propos semblables devant un public plus large, déclarant qu’Hitler, qui avait rencontré Haj Amin al-Husseini à Berlin en novembre 1941, voulait simplement expulser les juifs d’Europe tandis que c’était Haj Amin, le Palestinien, qui l’avait exhorté à mener à bien l’extermination des juifs.

Les plus flagrants collaborateurs des nazis n’étaient pas des Arabes, mais plutôt des dirigeants européens, presque tous chrétiens

Un certain nombre d’historiens ont été scandalisés par cette distorsion. Haj Amin séjourna effectivement en Italie et en Allemagne pendant la guerre ; mais ce qui le propulsa dans les bras des Allemands, ce fut sa lutte déterminée contre la domination britannique en Palestine. D’autres Arabes l’accompagnèrent en Allemagne : l’Irakien Rachid Ali al-Gillani et le Libanais Fawzi al-Qawuqji.

En réalité, les plus flagrants collaborateurs des nazis n’étaient pas des Arabes, mais plutôt des dirigeants européens, presque tous chrétiens. À travers l’Europe conquise – en France, en Belgique, en Hollande et certainement en Europe de l’Est –, les Allemands furent aidés par les populations locales.

Des soldats soviétiques sont photographiés près de prisonniers juifs en Pologne après leur libération d’un camp de la mort nazi (Getty Images)

Récemment, le gouvernement polonais a tenté d’adopter une loi minimisant le rôle des Polonais dans l’Holocauste, ce qui a provoqué de vives réactions de colère, principalement en Israël. Tous les érudits de l’Holocauste ont rapporté d’innombrables exemples de Polonais ayant contribué au meurtre de juifs. Mais pas seulement les Polonais ; les Ukrainiens, les Lituaniens, les Hongrois aussi... En fait, dans toute l’Europe occupée, des collaborateurs contribuèrent au meurtre de juifs.

Soutien aux nazis

Ce fut le cas hors d’Europe également. En Afrique du Sud, en Irlande et même en Inde, un certain nombre d’individus et de groupes qui considéraient la Grande-Bretagne comme leur ennemi étaient devenus, dans ce contexte, des partisans de l’Allemagne nazie. Il y eut même parmi la population juive d’Eretz Yisrael un épisode marginal durant lequel les membres du petit mouvement clandestin connu sous le nom de Lehi (acronyme hébreu de « Combattants pour la liberté d’Israël ») envoyèrent des émissaires en Allemagne pour tenter de coopérer avec les nazis contre le régime britannique.

Quiconque souhaite promouvoir la compréhension et la paix entre Israël et les Palestiniens – et les Arabes et le Moyen-Orient en général –, doit se concentrer sur une vérité historique qui est l’inverse de ce que les porte-parole israéliens tentent de transmettre aujourd’hui. Cette vérité peut être résumée en une phrase : Auschwitz n’a pas eu lieu à Bagdad, à Damas ou à Téhéran ; Auschwitz a eu lieu dans l’Europe chrétienne.

Il convient de noter en outre que dans l’Orient arabe et musulman, la tolérance prima envers les juifs pendant plus de mille ans. Lorsque les monarques chrétiens Ferdinand et Isabelle d’Espagne expulsèrent les juifs à la fin du XVe siècle, ce fut dans l’Empire ottoman musulman, plus que nulle part ailleurs, que leur fut offert le refuge le plus complet.

Un refuge pour les juifs

En Turquie, les livres d’histoire racontent comment le sultan Bayezid II invita 150 000 juifs à venir dans son pays après leur expulsion d’Espagne. Il ridiculisa même le roi Ferdinand en déclarant qu’en expulsant les juifs, « le roi d’Espagne appauvrit son royaume et enrichit le mien ».

Certes, des périodes de souffrance juive, des événements de souffrance juive, eurent lieu en terre islamique. Un cas bien connu est celui du pogrom (le Farhoud) mené contre les juifs de Bagdad en 1941. Les juifs furent également persécutés pendant la guerre en Afrique du Nord. Néanmoins, en général, les juifs furent protégés dans les pays arabes et musulmans.

À LIRE : La vacuité morale des libéraux israéliens

Dans un article au contenu peut-être exagéré, l’historien israélo-britannique Avi Shlaïm a récemment expliqué ce qui est arrivé aux juifs de Bagdad, où il est né. Il écrit qu’une communauté juive y existait depuis peut-être 2 500 ans et que sa destruction fut le fait du mouvement sioniste qui, avec la déclaration Balfour émise par la Grande-Bretagne, provoqua l’hostilité des Arabes et finit par entraîner l’exode de la communauté juive d’Irak.

Un autre exemple est peut-être encore plus inquiétant : les tentatives continuelles du Premier ministre israélien et de ses collègues ministériels de présenter les dirigeants iraniens comme des antisémites et des oppresseurs de juifs. Le régime iranien est aujourd’hui amèrement hostile au sionisme et à l’État d’Israël, mais pas aux juifs. Dans l’Iran chiite ultrareligieux, une communauté juive de 20 000 personnes vit aujourd’hui dans un certain confort, disposant notamment de ses propres institutions. Cette communauté juive en Iran est rarement mentionnée en Israël.

D’après ma propre expérience en tant qu’enseignant universitaire, je constate souvent à quel point les étudiants israéliens sont surpris d’apprendre qu’une communauté juive vit paisiblement à Téhéran. J’essaie de souligner devant ces étudiants combien il est important pour nous d’arriver à une entente avec les Palestiniens. Une telle entente, fondée sur la proposition de paix de la Ligue arabe, par exemple, serait le meilleur moyen d’éliminer presque entièrement la menace constituée par l’Iran.

- Danny Rubinstein est un journaliste et auteur israélien. Il a précédemment travaillé pour Haaretz, où il était analyste des affaires arabes et membre du comité de rédaction.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président égyptien Anouar al-Sadate (à gauche), le premier ministre israélien Menahem Begin (à droite) et le président américain Jimmy Carter (au centre) sourient après la signature du traité de paix historique entre Israël et l’Égypte parrainé par la Maison Blanche, le 26 mars 1979, Washington DC (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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