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Chères célébrités, cessez d'utiliser les réfugiés et les conflits pour vos relations publiques

Défendre une cause est une chose, s’improviser « humanitaire » pour épater la galerie sans vraiment faire avancer les choses – voire pire – en est une autre

L’avocate spécialiste du droit international en matière des droits de l’homme, Amal Clooney a annoncé la semaine dernière qu’elle avait l’intention de poursuivre le groupe État islamique (EI), avec le soutien moral de son cher George [Clooney, son mari].

Elle est apparue dans l'émission de télévision américaine Today au bord des larmes pour faire une déclaration d’apparence magnanime : elle se prépare à mettre l’EI sur le banc des accusés au nom d’une jeune fille yézidie réduite en esclave sexuelle par l'EI.

Lorsque les corps des réfugiés et les démunis condamnés à la pauvreté sont utilisés pour mettre en scène la compassion des personnalités, nous devons dire : « Trop , c’est trop ! »

Faisant preuve d’un sentimentalisme et d’un manque d’authenticité sans pareil, Amal Clooney s’est dite prête à « risquer sa vie », parce que c’est « son métier » d’avocate qui le veut. Au cours de l’entretien télévisuel, elle a évoqué combien elle était indignée par le barbarisme aveugle de l’EI et a déclaré à l’Assemblée générale des Nations unies qu’elle avait « honte en tant qu’être humain que l’appel au secours [des Yézidis] soit ainsi ignoré ».

Toutefois, si Amal Clooney avait été une militante humanitaire engagée et honnête, elle aurait certainement saisi l’occasion d’intervenir concrètement pour soutenir l’« appel au secours » lancé par les Palestiniens en ne rejetant pas, par exemple, la proposition des Nations unies d'enquêter sur les crimes de guerre israéliens commis dans la bande de Gaza à la suite de l’offensive israélienne de 2014 sur la population prise au piège.

Ou encore, s’ils étaient vraiment les militants engagés qu’ils prétendent être, elle et son mari auraient pu montrer un peu moins d’empressement à organiser un gala de bienfaisance visant à soutenir la campagne d’Hillary Clinton, avec le magnat israélo-américain Haim Saban, qui se fait appeler « le protecteur d’Israël » et qui a également exprimé son désir de voir les musulmans américains davantage « surveillés ». 

Hélas, à la suite de son apparition télévisée, Amal Clooney a été couverte de louanges, comme on pouvait s’y attendre, par des fans inconditionnels et totalement dénués de sens critique. Des personnalités comme Amal Clooney exploitent cette crédulité pour échapper à leur malhonnêteté.

Il ne fait pas de doute qu’une juriste aussi expérimentée qu’Amal Clooney est consciente qu’en amenant une bande anonyme et sans nationalité de djihadistes messianiques sur le banc des accusés de La Haye, elle risque de se heurter à des obstacles majeurs d’ordre pratique et, j’imagine, d’ordre juridique.

On peut alors se demander pourquoi intervenir en direct à la télévision nationale américaine pour promouvoir son plan absurde, si elle n’a pas les moyens d’agir ?

En réalité, il est tout à fait possible que la malheureuse jeune fille yézidie soit prise en otage une deuxième fois – cette fois-ci pour servir la mascarade des stars dans l’humanitaire.

Je fais bien sûr référence à ce clan d’épicuriens issus de la jet set internationale qui utilisent souvent les zones de conflit et l’existence des plus démunis comme espace politique pour amuser la galerie en s’improvisant « humanitaires », alors qu’en réalité ils ne font pas grand-chose pour améliorer la situation. 

Son partenaire

George, l’autre moitié du couple Clooney, a essayé de cultiver au cours de sa longue carrière cette image de militant à temps partiel engagé sur des questions aussi diverses que la défense des droits des animaux et  sur son opposition aux conflits. Il y a quelques mois, il s’est même tenu face à un groupe de réfugiés syriens et leur a déclaré que l’Amérique ne serait pas l’Amérique sans ses communautés de réfugiés.

Il a également été en Allemagne avec Amal, il y a quelques mois, pour implorer la chancelière Angela Merkel d’accepter davantage de réfugiés. Il est ahurissant qu’il parvienne à réunir par la suite la somme de 353 400 dollars (environ 315 000 euros) reversés à la campagne présidentielle d’Hilary Clinton.

Après tout, c’est Hillary Clinton qui a lancé la campagne de promotion visant à démanteler la Libye, réduisant ainsi un pays doté d’un État à un couloir de transit pour les réfugiés. Elle a également apporté un soutien inconditionnel à une intervention musclée des États-Unis en Syrie, en appelant le président Barack Obama à « armer les faucons », une politique qui n’a fait que contribuer à accroître le nombre de réfugiés auxquels George Clooney semble si attaché.

Mais le couple Clooney n’est pas le seul à se complaire dans cette élégante hypocrisie. Celui qui fait autorité en la matière est Gordon Sumner, plus connu sous le nom de scène de Sting. Celui qui s’est auto-investi diplomate itinérant des causes humanitaires du showbiz, et qui pèse plus de 194 millions de dollars (173 millions d’euros) s’est manifestement fait le champion des questions des droits de l’homme depuis des décennies – vous vous souvenez des band aid (groupes de stars réunies pour une chanson dont les bénéfices des ventes sont reversés à une cause humanitaire) ?

Malheureusement en 2010, une révélation embarrassante dévoilait qu’il avait personnellement accepté entre 1,2 et 2,5 millions de dollars (1,07 et 2,23 millions d’euros) pour s’envoler en Ouzbékistan et se produire à la soirée d'Islam Karimov (décédé en septembre), alors à la tête d’un régime totalitaire brutal. Depuis, son aura n’a plus jamais été la même.

Pour replacer les choses dans leur contexte, Islam Karimov a été condamné par plusieurs organisations, notamment les Nations unies et Amnesty International, pour avoir massacré des manifestants qui réclamaient une redistribution des richesses plus égalitaire, pour avoir réduit des enfants en esclavage, et même pour avoir fait bouillir ses ennemis politiques.

Sting - et c’est cela qui est peut-être encore plus sordide - a essayé d'utiliser l'UNICEF comme couverture, en prétendant que l’organisme des Nations unies qui défend les droits des enfants, avait « sponsorisé l’événement » auquel il avait participé. Or par la suite, l’UNICEF a nié.

« Trop, c’est trop ! »

Si l’on parvient à faire abstraction de tout ce qui précède, le plus tragique est certainement que des hordes de lèche-bottes continueront à défendre leurs idoles, même si ces derniers font preuve d’une lâcheté sans pareil. « Vous êtes jaloux », voilà la réponse puérile et infantile dont est généralement gratifié celui qui avance l’un des arguments précédents.

Ni la jalousie, ni aucune autre émotion de base ou réflexe viscéral n’entrent en ligne de compte dans ce débat. Instrumentaliser la souffrance des hommes pour gravir les échelons de la célébrité est déjà assez répugnant. Mais lorsque les impératifs des relations publiques de personnalités comme Sting et le couple Clooney contribuent à nourrir – de façon plus ou moins racoleuse – leur histoire d’amour avec le public, alors nous sommes au-delà de l’écœurement.

Lorsqu’ils utilisent le corps de réfugiés et les plus démunis condamnés à la pauvreté pour mettre en scène leur compassion, c’est là que nous devons dire « Trop, c’est trop ! ».

-Matthew Ayton est journaliste et conférencier spécialiste de la politique et de l’histoire, basé à Beyrouth. Il a travaillé dans les territoires palestiniens occupés.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : l’acteur George Clooney et sa femme Amal Alamuddin Clooney participant à la table ronde des dirigeants en marge de la 71e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York le 20 septembre 2016 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.

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