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Jérusalem-Est est occupée, mais les cœurs et les esprits des enfants ne le sont pas

Israël croit peut-être qu'imposer son propre récit à travers le programme scolaire va changer les jeunes esprits palestiniens, mais son projet est voué à l’échec

Jérusalem a une place spéciale dans le cœur des gens partout dans le monde. J'ai eu la chance de m’y rendre à nouveau récemment, ou plutôt d’y « retourner », car mes parents sont tous deux nés dans cette ville remarquable.

Un frisson me parcourt l’échine chaque fois que je jette un premier regard sur le dôme du Rocher. Il n'y a aucun endroit pareil. Il abrite des lieux saints vénérés par les adeptes des trois grandes religions du monde, l'islam, le christianisme et le judaïsme. Ceux-ci sont littéralement à portée de voix les uns des autres.

Sur le plan politique, Jérusalem est revendiquée par Israël comme sa « capitale unifiée éternelle », mais les Palestiniens aussi revendiquent Jérusalem-Est comme capitale de leur futur État. Aucun État, à l'exception d'Israël, la considère comme la capitale d'Israël et, en l'absence d'un État palestinien, les Palestiniens ne peuvent que rêver qu'elle devienne un jour leur capitale.

En réalité, loin d’être unie, la ville est divisée en Jérusalem-Ouest, qui est principalement, sinon exclusivement, habitée aujourd'hui par des juifs après l'expulsion de ses habitants palestiniens par des gangs juifs en 1948, et Jérusalem-Est, dont la majorité écrasante de la population est palestinienne, mais où un nombre croissant de colons juifs vivent dans les colonies illégales qu'Israël a construites depuis la prise de Jérusalem-Est en 1967.

Une ville, deux mondes

Le contraste entre les deux Jérusalem ne pourrait être plus frappant. Ainsi que me l’a dit un ami qui s’est récemment rendu pour la première fois à Jérusalem : « Je n’arrivais pas à croire la différence entre l'ouest et l'est. L'ouest, en de nombreux endroits, a une atmosphère américaine, occidentale, avec de larges routes, des trottoirs et des bas-côtés gazonnés, tandis que l'est semble sous-développé, surpeuplé et chaotique ».

La situation des enfants est particulièrement préoccupante

De nombreux aspects de l'occupation de Jérusalem-Est sont troublants, notamment les colonies, le mur, les démolitions de maisons, les expulsions, les fermetures arbitraires, les attaques contre la mosquée al-Aqsa et le manque de permis octroyés aux Palestiniens pour construire et se développer. Toutefois, la situation des enfants est particulièrement préoccupante.

Un clown palestinien distribue des ballons et des bonbons à l'extérieur du dôme du Rocher dans la mosquée al-Aqsa, à Jérusalem, pour marquer la fête musulmane de l'Aïd al-Adha (fête du sacrifice) (AFP)

Une rapide promenade en voiture d'est en ouest révèle la différence : presque aucun terrain de jeux ou parc pour les enfants palestiniens à Jérusalem-Est ; de nombreux terrains de jeux et parcs bien équipés dans l'ouest à majorité juive.

Si les familles palestiniennes utilisent occasionnellement les installations de Jérusalem-Ouest, elles le font à contrecœur, craignant discrimination et harcèlement de la part de leurs homologues juifs. Certains choisissent plutôt de faire le trajet jusqu’à Ramallah ou Jéricho pour leurs sorties de loisirs avec leurs enfants. C’est triste car cela réduit les possibilités d'interaction entre les deux communautés, en particulier les enfants, avant que leur caractérisation de l'autre ne soit formée par l'influence des parents ou de la société.

Vous devez demander ce que fait la municipalité qui gère les deux parties de la ville pour offrir des services aux contribuables palestiniens, lesquels ne peuvent pas se tourner vers l'Autorité palestinienne parce qu'Israël ne permet pas à celle-ci d'opérer à Jérusalem.

Que jamais ils ne se rencontrent

Les opportunités pour les enfants juifs et palestiniens de se côtoyer à l'école sont presque inexistantes. La seule école arabo-juive de Jérusalem a subi des attaques d'extrémistes juifs dont un incendie criminel en novembre 2014, des graffitis anti-arabes en juin 2015, et a même vu sa fiche sur Waze, une application de Google dédiée à la circulation routière, changée en « menace ».

Alors que les deux populations sont en grande partie séparées, la pauvreté dans la ville affecte les deux communautés, avec environ 50 % des 850 000 habitants de Jérusalem vivant en-dessous du seuil de pauvreté, dont 82 % de la population de Jérusalem-Est.

Un manifestant palestinien agite un drapeau national lors d'une manifestation contre les nouveaux blocs de béton installés par les forces de sécurité israéliennes pour restreindre l'accès au quartier d'Abou Tor à Jérusalem-Est en 2014 (AFP)

L'impact des « besoins sécuritaires » d'Israël sur les enfants palestiniens est profond. Chaque année, des centaines d’entre eux sont arrêtés et interrogés. Entre janvier et fin août de cette année, pas moins de 560 enfants ont été détenus par Israël. Beaucoup sont emmenés à l’aube ou au beau milieu de la nuit. Selon les témoignages, ils seraient souvent privés de la présence d'un parent ou d'un avocat et parfois obligés de signer sous la contrainte des aveux écrits en hébreu.

Manquant d’installations satisfaisantes pour leurs loisirs et vivant sous une occupation quotidienne brutale, les enfants de Jérusalem-Est devraient au moins pouvoir trouver un certain réconfort, du plaisir et la sécurité dans leurs écoles.

À première vue, cela devrait être possible. Or là non plus, il n'y a pas d'histoire heureuse à raconter. Israël, à travers son occupation, a pour mission de ravir les cœurs et les esprits des enfants palestiniens afin qu’ils l'aiment, l'adorent et l'acceptent comme l'entité les gouvernant, et ce sans aucune remise en question.

Lors de ma visite, j'ai assisté au début de la nouvelle année scolaire. Les familles étaient occupées à acheter des livres, des fournitures et le cartable symbolisant le statut social de leurs enfants. Le cartable a tendance à suivre la mode actuelle. Cette année, il semble que tout ce qui représente des images du film Frozen de Disney soit un must have.

Une de mes jeunes parentes était bouleversée non pas parce qu'elle n'avait pas acheté un cartable et des protège-cahiers Frozen, mais parce que sa cousine avait l'intention d’en faire de même. « Pourquoi elle n’achète pas plutôt Mini Mouse ? », demandait-elle. Les enfants restent des enfants. Comme la plupart sinon tous les enfants palestiniens, elle ne se rend pas compte de la bataille pour son identité et son appartenance que mène Israël contre les plus jeunes résidents de Jérusalem.

La pénurie chronique d'espace

Les écoles de Jérusalem-Est souffrent d'un manque fondamental d'infrastructures et de ressources.

Un rapport publié en août par l'organisation à but non lucratif Ir Amim constate que le nombre d'enfants palestiniens de Jérusalem-Est qui étudient dans le « système éducatif informel » – les écoles qui sont reconnues publiquement mais qui sont financées seulement partiellement et qui sont exploitées par des tiers – a dépassé le nombre de ceux qui étudient dans le système éducatif formel, entièrement financé et géré par l'État, et les écoles privées.  

Ir Amim a signalé que le manque de salles de classe à Jérusalem-Est avait augmenté jusqu’à atteindre 2 672 unités, observant que « les autorités ont perpétué la pénurie de classes en n’allouant pas suffisamment de terrain pour construire davantage de salles de classe à Jérusalem-Est ».

Tout aussi préoccupant, le rapport note également que 36 % des élèves de Jérusalem-Est abandonnent l'école précocement. Parmi eux, les garçons sont plus nombreux que les filles. Étant donné qu’ici les hommes sont souvent le principal soutien de famille, cela soulève des questions sérieuses sur ce que ces garçons font ensuite de leur temps – compte tenu de leur bas niveau de compétences et du manque d’opportunités d'emploi – et sur l’impact global de ce phénomène sur la société.

Beaucoup de parents qui constatent le caractère inadéquat des écoles publiques sont obligés de se tourner vers l'enseignement privé. Cela est extrêmement coûteux, surtout si l'on considère la situation économique à Jérusalem-Est, caractérisée par des salaires bas et des impôts élevés.

Les cœurs et les esprits

L'autre caractéristique inquiétante de la situation actuelle consiste dans les efforts déployés par Israël pour influencer la compréhension qu’ont les enfants de leur identité ainsi que la façon dont ils devraient la percevoir. À cette fin, Israël cherche depuis des années à imposer le programme scolaire israélien plutôt que celui de l’Autorité palestinienne dans les écoles de Jérusalem-Est. Après avoir fait face à une forte résistance de la part des parents et des écoles elles-mêmes, Israël lie désormais son financement des établissements scolaires à l'adoption de son programme d'études.

Mon expérience récente me dit cependant qu’Israël ne peut gagner la bataille pour les cœurs de ces enfants, qui sont palestiniens, se sentent palestiniens et grandiront en tant que palestiniens

Les personnes avec lesquelles je me suis entretenu lors de ma récente visite ont décrit cela comme du « chantage éducatif ». Plusieurs m'ont dit qu'elles ont l’impression qu’Israël procède à « un lavage de cerveau de nos enfants afin qu’ils oublient leur identité palestinienne et deviennent des admirateurs de leur occupant », ainsi que l’a formulé un parent.

Le programme scolaire israélien se réfère à Jérusalem comme la capitale d'Israël et encourage les enfants à célébrer ce qu'Israël a fait depuis la capture de la ville ou, comme le disent les Israéliens, son « unification ». Ceci n’est qu’un exemple de la façon dont Israël tente d'imposer son propre récit à de jeunes enfants impressionnables dès leurs premières années d'école.

Mon expérience récente me dit cependant qu’Israël ne peut gagner la bataille pour les cœurs de ces enfants, qui sont palestiniens, se sentent palestiniens et grandiront en tant que palestiniens. Israël pense peut-être qu'imposer sa propre version par le chantage peut changer les esprits, mais son projet échouera. Les écoles palestiniennes peuvent certes adopter le programme scolaire israélien afin d'obtenir des fonds, mais Israël devrait se rendre compte que les Palestiniens, industrieux et fiers, s'assureront que leurs enfants pensent également palestinien.

Jérusalem-Est est peut-être sous occupation, mais les cœurs et les esprits des enfants ne le sont pas.

- Kamel Hawwash est professeur d’ingénierie palestinien-britannique, basé à l’Université de Birmingham. Il milite depuis toujours en faveur de la justice, et pour le peuple palestinien en particulier. Il est vice-président de la Campagne de solidarité Palestine (PSC) et apparaît régulièrement dans les médias pour s’exprimer sur les questions du Moyen-Orient. Il dirige un blog à http://www.kamelhawwash.com/

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des écoliers palestiniens passent devant une section de la controversée barrière de séparation d'Israël dans le quartier de Ras Khamis à Jérusalem-Est, le 12 novembre 2013 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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