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La politique d’Obama en Syrie et l’illusion de puissance américaine au Moyen-Orient

L’un des plus grands échecs d’Obama est d’avoir laissé sa politique en Syrie être déterminée principalement par les ambitions qataries, saoudiennes et turques

Avec l’effondrement de l’accord de cessez-le-feu américano-russe, puis la reprise et l’escalade de la campagne massive de bombardements russes à Alep, la frustration des faucons de Washington au sujet du non-recours de l’administration Obama à la puissance militaire américaine en Syrie a atteint de nouveaux sommets.

Mais l’incapacité de l’administration à faire quoi que ce soit à propos de l’escalade militaire russe à Alep est le résultat logique du rôle joué en Syrie par l’administration Obama au cours des cinq dernières années.

Le problème est que l’administration a poursuivi des objectifs stratégiques qu’elle n’avait pas les moyens d’atteindre. Quand Obama a appelé le président Bachar al-Assad à démissionner en septembre 2011, l’administration a cru, chose incroyable, qu’il le ferait de son propre gré. Comme le révèle Derek Chollet, ancien assistant d’Hillary Clinton et responsable au Pentagone, dans son nouveau livre, The Long Game, « au début de la crise, la plupart des responsables croyaient qu’Assad n’avait pas la ruse et le courage nécessaires pour rester au pouvoir ».

Les décideurs de l’administration ont commencé à utiliser l’expression « transition gérée » au sujet de la politique américaine à l’égard du gouvernement, selon Chollet. L’expression reflète parfaitement les ambitions démesurées des décideurs, qui désiraient participer à un changement de régime qu’ils considéraient comme une grande victoire pour les États-Unis et Israël et une grande perte pour l’Iran.

La secrétaire d’État Hillary Clinton était en première ligne des pressions pour une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à une « transition » en Syrie.

Mais les alliés sunnites régionaux des États-Unis – la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite – fournissaient des armes aux combattants syriens. Le seul rôle des États-Unis dans la guerre était une opération secrète conçue par le directeur de la CIA de l’époque, David Petraeus, pour fournir des renseignements et une assistance logistique à ces alliés, afin que les armes à destination des groupes soient choisies par les régimes sunnites qui payaient pour les obtenir.

Évidemment, il y avait ceux qui, Clinton en tête, voulaient aller plus loin et créer une « zone d’exclusion aérienne » où les insurgés auraient pu être formés et opérer librement. Mais Obama, avec l’appui du commandement militaire des États-Unis, ne soutenait pas cette invitation à la guerre. Les États-Unis jouaient le rôle de grande puissance en Syrie sans se salir les mains en armant une force d’opposition.

Mais en l’espace de quelques mois, il était déjà clair que la « transition gérée » de l’administration avait terriblement mal tourné. Al-Qaïda, confortablement installé en Irak, avait commencé à annoncer la couleur dans une série d’attaques à Damas et ailleurs en Syrie. En août 2012, il était largement reconnu que les djihadistes prenaient rapidement possession de la guerre contre Assad.

Ed Hussein, du Council on Foreign Relations, a observé dans le Christian Science Monitor que la Syrie était en train de devenir « un aimant à djihadistes mondial », tout comme l’Irak l’était devenu après l’invasion américaine. La Defense Intelligence Agency a identifié al-Qaïda, les salafistes et les Frères musulmans comme les trois principales souches de la guerre anti-Assad en développement rapide.

En l’espace de quelques mois, il était déjà clair que la « transition gérée » de l’administration Obama avait terriblement mal tourné

En outre, l’administration savait que la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite envoyaient des armes, dont des lance-roquettes antichars portatifs, non pas à des groupes laïcs, mais à des groupes extrémistes islamiques en Syrie, qui étaient appelés à travailler avec al-Qaïda et d’autres djihadistes. Chollet, qui travaillait sur la Syrie pour le bureau de planification politique de Clinton avant de partir au Pentagone, rappelle que l’administration était « préoccupée » par le fait que « les mauvais éléments de l’opposition – les extrémistes, dont certains étaient affiliés à al-Qaïda – étaient renforcés ».

« Des intérêts en jeu »

On aurait pu s’attendre à ce que l’administration mette ensuite un terme à tout cela et sévisse contre ses alliés, en particulier la Turquie, qui était le principal point d’entrée des armes déversées en Syrie. Au lieu de cela, comme le raconte Chollet, Clinton et le directeur de la CIA de l’époque, Leon Panetta, faisaient pression en faveur d’un programme majeur de la CIA visant à créer, former et armer une force d’opposition syrienne – non pas parce que cela se serait avéré décisif, mais parce que cela aurait donné aux États-Unis une « influence » sur ses alliés sunnites en ayant « des intérêts en jeu ».

Obama a rejeté en 2012 cet argument attestant d’une « influence », avant de faire volte-face en 2013 sous la pression des allégations faisant état de l’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement. Comme tant de choses qui servent de justification des activités militaires et paramilitaires agressives des États-Unis à travers le monde, cet argument n’a pas de sens. L’influence exercée par les États-Unis sur la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite est formée par l’éventail d’avantages politico-militaires et économiques dont chacun d’eux tire d’une alliance formelle ou de facto avec les États-Unis.

J’ai récemment demandé à Chollet pourquoi le renforcement par la CIA de nos propres forces anti-Assad en Syrie aurait donné aux États-Unis plus d’« influence » sur les alliés sunnites. Sa réponse a été la suivante : « Parce que tout s’effondrerait alors autour de nous ! »

Mais évidemment, les « intérêts en jeu » grandissants des États-Unis n’ont pas donné à l’administration une influence sur les politiques des alliés sunnites en Syrie ; ceux-ci ont eu l’effet complètement inverse en rendant les États-Unis complices du projet sunnite visant à se servir des djihadistes et des salafistes pour maximiser la pression en faveur du renversement du régime syrien. Pas le moindre élément de preuve n’a indiqué que les États-Unis avaient fait quoi que ce soit pour pousser leurs alliés à couper les canaux d’armes qui renforçaient le groupe militant affilié à al-Qaïda, le Front al-Nosra.

Par conséquent, la stratégie sunnite d’approvisionnement des djihadistes en armes et le soutien apporté par les États-Unis aux « modérés » étaient deux volets d’une stratégie politico-diplomatique faite de pressions visant à forcer Assad à démissionner. Comme l’ancien ambassadeur américain Robert Ford l’a observé en février 2015, l’administration « regardait [depuis longtemps] dans l’autre direction » pendant que les forces soutenues par les États-Unis se coordonnaient avec le Front al-Nosra.

L’intervention russe

Cette stratégie a été bouleversée lorsque les Russes sont intervenus énergiquement en septembre 2015. Obama, qui était fermement engagé à éviter tout conflit direct avec la Russie au sujet de la Syrie, opposait son veto à toute menace de recours à la force en Syrie en réponse à l’intervention russe. Pendant presque un an, Obama s’est appuyé sur la coopération avec les Russes en tant que stratégie politico-diplomatique principale de gestion du conflit, qui a produit deux cessez-le-feu ayant finalement échoué.

Le sort de ces deux cessez-le-feu a révélé davantage la nature illusoire du rôle de grande puissance que les États-Unis ont prétendu jouer au cours de l’année écoulée. Kerry a engagé les États-Unis sur deux accords de cessez-le-feu sur la base du principe selon lequel les États-Unis pouvaient séparer les groupes armés que la CIA avait armés et formés du commandement militaire dirigé par le Front al-Nosra. La réalité était que les États-Unis n’avaient pas de pouvoir réel sur ces groupes, parce qu’ils dépendaient plus fortement de leurs alliés djihadistes que des États-Unis pour soutenir leur viabilité.

Néanmoins, sous cet échec réside la réalité plus large d’une administration Obama qui a laissé sa politique en Syrie être déterminée principalement par les ambitions de ses alliés sunnites qui souhaitent renverser Assad. L’administration a affirmé qu’elle n’avait jamais favorisé la destruction des institutions syriennes ; néanmoins, cette affirmation est contredite par sa complaisance devant le soutien apporté par ses alliés sunnites au Front al-Nosra.

La complicité américaine dans les centaines de milliers de morts de la guerre syrienne, et maintenant dans les pertes civiles massives découlant du bombardement russe d’Alep, ne repose pas sur son refus d’entrer en guerre en Syrie, mais sur la couverture politique et diplomatique qu’elle a apportée au renforcement du Front al-Nosra et de son système entrelacé plus large de commandements militaires.

Une administration américaine au véritable rôle de superpuissance aurait sommé ses alliés de ne pas commencer une guerre en Syrie en armant des djihadistes, et cela, en se servant de l’influence conférée par les bases de l’alliance. Mais ceci aurait impliqué de menacer de mettre fin à l’alliance en elle-même si nécessaire, ce qu’aucun gouvernement américain n’est disposé à faire. Tel est donc le paradoxe de la puissance américaine au Moyen-Orient : afin de jouer un rôle hégémonique dans la région, avec toutes ces bases militaires, les États-Unis doivent se laisser manipuler par des alliés plus faibles.

Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur d’un livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président américain Barack Obama rencontre le prince saoudien Mohammed ben Salmane à la Maison Blanche (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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