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Le Hezbollah s’expose à Israël

En dépit des fanfaronnades habituelles contre Israël, l’Iran et le Hezbollah voient les rebelles syriens et l’Arabie saoudite comme une menace directe plus importante à l’heure actuelle

Le 18 mai dernier, Middle East Eye a rapporté que le mouvement libanais Hezbollah a été chargé par son patron, l’Iran, de suspendre les opérations contre Israël et de cibler l’Arabie saoudite à la place.

La véracité de ce reportage, qui cite « des sources bien informées présentes au Liban », a fait l’objet de débats sur les réseaux sociaux. Le temps nous le dira, mais la réaction inhabituelle du Hezbollah à la mort à Damas de son haut commandant militaire Mustafa Badreddine étaie cette affirmation.

Le Hezbollah n’a pas pointé du doigt Israël, qui a refusé de commenter son implication ou non dans cette mort, bien qu’il ait assassiné d’autres personnalités du Hezbollah en Syrie et que le mouvement l’ait auparavant accusé d’autres assassinats. Parmi ces assassinats figurent celui de Samir Kantar et de huit autres personnes en décembre, celui de Jihad Moughnieh et de cinq autres personnes en janvier 2015, ainsi que celui d’Imad Moughnieh en 2008, sans parler des personnalités assassinées au Liban.

Au lieu de cela, le mouvement a déploré « un bombardement d’artillerie effectué par les groupes takfiris » et soutenu par Riyad, sans nommer un groupe en particulier. MEE a rapporté que « les paroles scandées par les membres du Hezbollah lors de l’enterrement de Mustafa Badreddine sont peu équivoques sur le fait qu’ils tiennent l’Arabie saoudite pour responsable ».

Et ce, malgré l’absence de revendication de la part d’une quelconque partie, alors que MEE a indiqué que « les sites les plus proches abritant l’artillerie de groupes adverses se situent à 20 kilomètres de là [et que] certains émettent des doutes quant au fait que leurs obus aient pu frapper si précisément depuis un point si éloigné ».

Le retournement de veste du Hezbollah peut avoir été conçu comme un casus belli visant l’Arabie saoudite ou les intérêts saoudiens. Celui-ci peut également, ou à la place, avoir été conçu pour sauver la face, dans la mesure où accuser Israël susciterait des menaces et des représailles attendues, ce que le Hezbollah aurait du mal à mener à exécution étant donnée son implication de plus en plus profonde dans le conflit syrien.

Des représailles seraient source de graves risques pour son armée, sous pression face à l’armée la plus puissante de la région, tandis que l’absence de représailles donnerait au Hezbollah un air de faiblesse contre un ennemi juré. Il est ainsi bien plus opportun d’accuser les forces qu’il combat déjà.

En ce qui concerne l’Iran, les chances de subir des frappes aériennes israéliennes ont reculé depuis l’accord sur le nucléaire signé l’an dernier, non pas parce qu’Israël s’en satisfait (bien au contraire), mais parce que cela provoquerait la fureur des alliés cruciaux qui ont contribué à la conclusion de l’accord.

Pendant ce temps, les tensions saoudo-iraniennes continuent de croître et la menace représentée par les rebelles syriens a augmenté étant donnée l’implication de plus en plus forte de Téhéran sur le terrain en Syrie, qui a entraîné une hausse des pertes iraniennes, parmi lesquelles des figures militaires de haut rang.

De ce fait, en dépit des fanfaronnades habituelles contre Israël, l’Iran et le Hezbollah voient les rebelles syriens et l’Arabie saoudite, qui a juré d’accroître le soutien pour ces derniers si Damas poursuit son intransigeance diplomatique, comme une menace directe plus importante à l’heure actuelle.

Ni Téhéran, ni le Hezbollah ne l’admettront un jour, ni ne reconnaîtront qu’ils se concentrent sur l’Arabie saoudite plutôt que sur Israël si cela a été décidé, car cela porterait atteinte à leur image de soi-disant « axe de la résistance » contre Israël. Néanmoins, les considérations mentionnées ci-dessus signifient que la décision de cibler l’Arabie saoudite plutôt qu’Israël, du moins pour le moment, n’est pas improbable.

Ces évolutions soulignent la mesure dans laquelle le Hezbollah a limité ses options vis-à-vis d’Israël en raison de son implication en Syrie, qui représente pour le mouvement un bourbier de plus en plus grand et sans fin. Le Hezbollah ne cherche pas à s’en extirper, bien au contraire.

Suite à la mort de Badreddine, décrite par Reuters comme « l’un des plus grands coups portés au leadership du groupe soutenu par l’Iran », le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a promis de renforcer sa présence en Syrie et d’y envoyer plus de dirigeants.

Cependant, le mouvement risque ainsi de s’éparpiller. Le Hezbollah a déjà envoyé des milliers de combattants en Syrie, tandis que Nasrallah a reconnu il y a un an que le Hezbollah combattait dans tout le pays plutôt que dans certaines régions, comme cela était affirmé précédemment.

De même, le déploiement de nouveaux combattants entraînera inévitablement plus de victimes. Nasrallah a reconnu la semaine dernière que le Hezbollah avait perdu « un grand nombre » de combattants en Syrie. Les estimations varient entre 1 200 et 2 000 morts, dont des personnalités de premier plan, tandis qu’en décembre, environ 5 000 combattants blessés ont été comptabilisés.

Le bilan des pertes encaissées jusqu’à présent par le Hezbollah au cours du conflit syrien éclipse celui de la guerre de 2006 contre Israël, compris entre 250 morts selon le mouvement et 600 morts selon l’armée israélienne. Enlisé en Syrie, le Hezbollah s’est dangereusement exposé à Israël, qui n’est pas étranger aux démonstrations de force subies par le groupe.

Si Israël décide d’agir contre le Hezbollah au Liban ou en Syrie, soit par des opérations individuelles, une escalade générale ou une guerre à part entière, il le ferait en sachant que le mouvement ne peut plausiblement pas combattre sur deux fronts et que sa popularité à l’échelle nationale et régionale a plongé en raison de son intervention en Syrie. Ces éléments pourraient s’avérer tentants pour Israël, qui n’a jamais réussi à vaincre le Hezbollah jusqu’à présent.

Le mouvement a dévié de sa raison d’être légitime, à savoir résister à l’agression israélienne, en préférant se concentrer sur le soutien à un dictateur qui opprime brutalement son propre peuple. C’est toutefois Israël, et non les rebelles syriens, qui représente une menace existentielle pour le Hezbollah, ce que le mouvement oublie à ses risques et périls.

- Sharif Nashashibi est un journaliste et analyste primé spécialiste des affaires arabes. Il collabore régulièrement avec al-Arabiya News, al-Jazeera English, The National et The Middle East Magazine. En 2008, il a reçu une distinction de la part du Conseil international des médias « pour avoir réalisé et contribué à des reportages systématiquement objectifs » sur le Moyen-Orient. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un partisan du groupe militant chiite libanais Hezbollah brandit un portrait de son ancien commandant, Mustafa Badreddine, lors d’une cérémonie commémorative à l’occasion de la première semaine suivant sa mort survenue au cours d’une attaque d’artillerie près de Damas, dans la banlieue sud de Beyrouth, capitale libanaise, le 20 mai 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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