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Le véritable héritage d’Obama : Trump

Trump n’est pas seulement le plus grand cauchemar de l’Amérique : il est aussi le résultat de conditions créées par Obama, Clinton, Blair et Cameron

Dans quelques heures, les clés du véhicule tout-terrain le plus puissant au monde seront remises à un certain Donald J. Trump, un pilote enragé au volant. Sur les routes les plus dangereuses – le Moyen-Orient, le réchauffement climatique, la Chine – il n’a aucune idée de la destination vers laquelle il se dirige.

Alors que la première de ce road movie approche à grands pas, les uns et les autres ont déjà commencé à regarder avec nostalgie Barack Obama dans le rétroviseur. Ils ne devraient pas.

En jugeant Obama à travers ni plus ni moins que ses propres mots, son mandat s’est avéré être, à bien des égards, une cruelle tromperie

En jugeant Obama à travers ni plus ni moins que ses propres mots, son mandat s’est avéré être, à bien des égards, une cruelle tromperie. Cruelle dans la mesure où des millions de personnes se sont permises de croire aux rêves qu’il a inventés. Une tromperie dans la mesure où c’est lui qui s’est fixé la tâche de devenir rien de moins qu’une figure transformationnelle après huit années de George W. Bush. C’est lui qui a promis de « guérir cette nation [et de] réparer ce monde ».

Personne n’a mis ces mots dans sa bouche. C’est lui qui les a prononcés. C’est lui qui a promis au monde musulman un nouvel accord au Caire. C’est lui qui a promis de faire face aux colons israéliens en Cisjordanie.

Il s’est cependant avéré qu’Obama n’a pas été l’agent du changement, mais son objet. Il n’a rien transformé. C’est lui-même qui a été transformé. Confronté à des brutes régionales, il s’est écarté sur un côté pour observer les événements depuis un point de vue inédit dans les annales de la politique étrangère américaine : depuis la touche.

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C’est ce qui s’est passé avec Benyamin Netanyahou, Abdel Fattah al-Sissi, Vladimir Poutine et Bachar al-Assad. La question de l’intervention en Syrie n’était pas un choix cornélien. Si Obama avait retenu les leçons de deux décennies de mésaventures militaires au Moyen-Orient, il aurait dû faire en sorte que ni la Russie, ni l’Iran n’interviennent non plus. Il avait les outils pour les arrêter tous les deux. Il ne s’en est jamais servi.

Si Obama avait simplement été inactif en Syrie, cela aurait été une chose. Cependant, il a activement empêché les rebelles d’obtenir les armes dont ils avaient besoin pour mettre fin au largage de bombes barils sur leurs hôpitaux, leurs marchés et leurs écoles. Au cours de ses derniers mois de présidence, Obama a tenté de tourner cela comme une politique.

Un héritage laissé ?

Le travail d’Obama sur son propre héritage a commencé avec une interview accordée à Jeffrey Goldberg pour The Atlantic, qui se termine par le jugement suivant : « George W. Bush était aussi un parieur, pas un bluffeur. On se souviendra cruellement de ce qu’il a fait au Moyen-Orient. Barack Obama mise sur le fait qu’il sera bien jugé pour les choses qu’il n’a pas faites. »

Ces mots ont été écrits en avril dernier. En décembre, Alep-Est est tombée et, aujourd’hui, ces mots prennent une connotation tout à fait différente.

Obama a été un président qui a été couvert de louanges avant même d’avoir commencé et qui n’a jamais mérité ces éloges. Cela peut sembler sévère pour l’homme qui a offert une assurance maladie à des millions d’Américains et qui a eu la bonne réponse à la Grande Récession.

Mais le premier président noir des États-Unis a été aussi peu pertinent pour la vie des noirs américains que l’a été la première Première ministre britannique pour le féminisme britannique.

Une relation de cause à effet

Le véritable héritage d’Obama est Trump. Les centristes tels qu’Obama, Bill Clinton, Tony Blair et David Cameron ne devraient pas s’affranchir de leur responsabilité dans la création des conditions dans lesquelles prospèrent des populistes de droite, voire des fascistes purs et simples.

Clinton, Bush et Obama sont tous des figurants de la même pièce de théâtre – celle du déclin et de la chute du leadership occidental

Le nationalisme qui balaye la démocratie libérale est le résultat direct d’un échec – que cet échec prenne la forme d’une adhésion à un retrait de l’État et d’une posture outrageusement décontractée face à des inégalités extrêmes, ou qu’il réside dans la création d’économies qui mondialisent l’insécurité et nationalisent la dette.

Clinton, Bush et Obama sont tous des figurants de la même pièce de théâtre – celle du déclin et de la chute du leadership occidental. Certes, il y a des forces extérieures en action, mais nous assistons surtout à une implosion, à un effondrement des structures internes du monde post-guerre froide. Avec les meilleures des intentions, la présidence d’Obama a joué son rôle dans cet effondrement.

Et cela se poursuit avec le prochain comédien de cette pièce de théâtre, Donald Trump.

Un virage à droite

Pour Israël, Trump a nommé David Friedman, un ambassadeur qui soutient les colonies israéliennes, défend l’annexion du territoire de la Cisjordanie et remet en cause la citoyenneté des citoyens palestiniens d’Israël. Conseillé par son gendre Jared Kushner, Trump s’est opposé à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur les colonies et à la Conférence pour la paix de Paris.

Trump a déjà adopté une posture bien à droite par rapport à Benyamin Netanyahou et empiète sur le territoire de Naftali Bennett, chef du parti de droite Foyer juif, qui croit que le nouveau président américain enterrera l’État palestinien, conséquence logique de la volonté de Trump de déplacer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem.

Ainsi, sous Trump, Israël pourrait bien s’attendre à recevoir le feu vert pour annexer la zone C de la Cisjordanie et poursuivre le travail de purification de l’État juif de ses citoyens non juifs. Le nettoyage ethnique est de nouveau en vogue, après ce qu’Assad et les Iraniens ont été autorisés à perpétrer en toute impunité à Daraya et Alep. Israël pourrait bien se sentir libre de faire de même.

Chacune des mesures décrites ci-dessus suffirait pour déclencher une troisième Intifada.

Une aubaine pour al-Qaïda

Pour la Syrie, la réponse de Trump est la mise en place de zones de sécurité, pour lesquelles il entend faire payer les États du Golfe. Alors qu’Obama s’en est au moins tenu à la rhétorique des droits de l’homme et de la promotion de la démocratie, Trump n’a aucun scrupule à témoigner d’un soutien manifeste pour des dictateurs comme Sissi. L’administration de Trump soutiendra non seulement les dictateurs, mais les écoutera également.

Le témoignage de Rex Tillerson, l’ancien PDG d’ExxonMobil que Trump a nommé au poste de secrétaire d’État, en est la preuve. Dans son discours d’ouverture, Tillerson a averti que les États-Unis devaient se montrer honnêtes au sujet de l’islam radical et qu’une fois que l’État islamique serait battu, les États-Unis devaient ensuite s’attaquer à d’autres groupes islamiques « radicaux », parmi lesquels il a inclus al-Qaïda et les Frères musulmans.

L’inclusion par Tillerson des Frères musulmans dans sa liste des forces islamiques radicales n’était pas un lapsus. Le conseiller de Trump pour le Moyen-Orient, Walid Phares, un chrétien maronite originaire du Liban, a déjà déclaré que le futur président envisageait d’interdire le groupe.

Phares traîne derrière lui un passé trouble de par son soutien pour une milice libanaise d’extrême droite qui a commis des crimes de guerre au cours de la guerre civile libanaise, et a lui-même été dénoncé par le Comité américano-arabe contre les discriminations lorsqu’il a rejoint la campagne électorale de Trump.

Obama a déjà refusé de signer le Muslim Brotherhood Terrorist Designation Act (« Loi sur la désignation des Frères musulmans en tant qu’organisation terroriste »), un projet de loi au Congrès rendant les Frères musulmans hors-la-loi. Si Trump le signe, il enverra des millions d’islamistes, qui représentent le plus grand parti politique dans la plupart des pays arabes, entre les mains d’al-Qaïda. Trump offrirait à al-Qaïda la plus grande aïd dont le groupe a jamais pu rêver, beaucoup plus grande que celle célébrant la recrudescence de leurs rangs suscitée par le coup d’État militaire de Sissi.

La connexion avec Dubaï

Le projet de loi au Congrès a été le résultat d’un lobbying intense des Émiratis, pour qui les Frères musulmans restent une obsession. Le lien entre Trump et le régime émirati s’effectue à travers l’homme d’affaires Hussain Sajwani, président de DAMAC Properties Dubai Co. La compagnie a déjà conclu deux contrats pour le développement de complexes de golf avec Trump à Dubaï. Trump a déclaré lors de sa première conférence de presse après son élection qu’il s’est vu proposer 2 milliards de dollars à Dubaï pour un contrat avec « [cet] homme extraordinaire, un grand promoteur du Moyen-Orient ». Il a décliné l’offre, mais comme il l’a répété, il n’était pas tenu de le faire.

Il est donc faux de prétendre que Trump entre à la Maison Blanche comme une inconnue. Ses cartes au Moyen-Orient ont déjà été marquées : par Israël, par la Russie, par les Émirats, par l’Égypte – tous les régimes qui luttent pour réprimer les forces qui finiront par apporter des élections libres, démocratiques et transparentes aux gouvernements du Moyen-Orient.

Ce n’est pas une mince affaire pour un président élu que de faire paraître redondante la cinquième saison de House of Cards ; pourtant, Trump a déjà réussi cet exploit. Attachez vos ceintures. Le trajet va être mouvementé.

David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Obama rencontre le président élu Donald Trump, le 28 décembre 2016 (CNN).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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