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Les raisons de l’altercation avec l’ambassadeur saoudien à Bagdad

Après avoir affirmé avoir fait l’objet de menaces de mort, l’ambassadeur saoudien en Irak a été officiellement prié de démissionner, alors que Bagdad se rapproche de plus en plus de Téhéran

Il y a quelques jours, l’Irak a officiellement demandé à l’Arabie saoudite de remplacer son ambassadeur. Cette requête est survenue quelques jours après que l’ambassadeur saoudien en Irak Thamer al-Sabhan a accusé des milices irakiennes soutenues par l’Iran d’essayer de l’assassiner.

En janvier dernier, Thamer al-Sabhan était devenu le premier ambassadeur saoudien posté en Irak depuis 25 ans. L’Arabie saoudite avait interrompu ses relations diplomatiques avec l’Irak quand ce dernier avait envahi le Koweït.

En réponse aux accusations insistantes de Thamer al-Sabhan, Aws al-Khafaji, dirigeant de la milice Abu al-Fadl al-Abbas, une importante faction des Unités de mobilisation populaire (UMP) soutenues par l’Iran, a déclaré que « l’hostilité d’al-Sabhan à l’égard de l’Irak est évidente pour tout le monde ». Il n’est pas le bienvenu en Irak, a ajouté al-Khafaji, et « s’il survenait réellement une tentative d’assassinat contre lui, ce serait un honneur pour quiconque la revendiquerait ».

Des relations irano-saoudiennes au bord de la rupture

Une telle altercation entre l’Irak et l’Arabie saoudite est la conséquence d’une rivalité généralisée dans la région, qui oppose l’Arabie saoudite à l’Iran.

De nombreuses factions et milices en Irak – en particulier celles soutenues par l’Iran – n’ont pas caché leur hostilité envers l’Arabie saoudite, surtout après la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran suite aux tensions croissantes suscitées par l’exécution par les Saoudiens du dignitaire chiite saoudien Nimr al-Nimr.  

Arrêté en 2012 pour avoir critiqué avec véhémence le gouvernement saoudien, Nimr al-Nimr a été exécuté en janvier dernier. Il était une figure de proue des protestations qui avaient éclaté dans la province orientale de l’Arabie saoudite en 2011 pour réclamer un changement de régime. Peu après son exécution, l’ambassade saoudienne à Téhéran a été envahie, prise d’assaut et incendiée par des manifestants. Les dirigeants iraniens et plusieurs personnalités influentes ont sévèrement condamné l’exécution d’al-Nimr, tandis que le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, brandissait la promesse d’une vengeance divine.

Cette exécution a aussi entraîné une réaction cinglante en Irak. L’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki l’a fermement condamnée et a affirmé qu’elle contribuerait à « renverser le régime saoudien », tandis que l’actuel Premier ministre Haïder al-Abadi a déclaré qu’elle aurait des « répercussions sur la sécurité dans la région ».

L’arrivée des Houthis à Bagdad

Un jour à peine après que les Irakiens ont officiellement demandé le remplacement de l’ambassadeur saoudien, le ministre irakien des Affaires étrangères a reçu une délégation de rebelles houthis, venus du Yémen dans l’espoir d’obtenir de l’Irak la reconnaissance du conseil qu’ils avaient récemment formé. Les Houthis, qui sont soutenus par l’Iran, se sont emparés de Sanaa en 2015 et ont contraint le président à l’exil. Cette visite s’est produite quelques jours après une tentative américaine d’organisation de nouvelles négociations de paix entre les Houthis et le gouvernement yéménite en exil.

Manifestement, en recevant une telle délégation, l’Irak ne se souciait que peu ou pas du tout de l’opinion de Riyad. L’Arabie saoudite, qui mène depuis dix-huit mois une campagne militaire contre la prise de pouvoir par les Houthis au Yémen, a été la cible d’attaques sur ses frontières et a intercepté plusieurs missiles en provenance du Yémen, notamment voici quelques jours.

L’Iran a financé, équipé et formé des milices en Irak, en particulier de nombreuses UMP. Ces milices appuyées par l’Iran obéissent au guide suprême iranien et constituent en quelque sorte une ramification de la politique étrangère iranienne. Non seulement elles combattent en Irak, mais elles collaborent aussi avec les forces du président Bachar al-Assad en Syrie. Ces milices soutenues par l’Iran ont quasiment le champ libre en Irak et n’ont jamais été tenues pour responsables des meurtres de centaines de civils sunnites par le passé. Leurs membres ont même fait partie du gouvernement, allant jusqu’à occuper des postes de ministres.

L’Arabie saoudite, qui avait initialement appuyé la nomination d’Haïder al-Abadi au poste de Premier ministre, a certainement été déçue.

L’Arabie saoudite était déjà en froid avec l’Irak depuis un certain temps, avant le transfert de son ambassade irakienne d’Amman, en Jordanie, à Bagdad au début de cette année. Il ne fait aucun doute que Bagdad penche globalement du côté de l’Iran.

Les hésitations et le déclin des Saoudiens

Haïder al-Abadi avait sévèrement critiqué l’Arabie saoudite au cours de sa première visite à la Maison Blanche au printemps 2015 pour s’entretenir avec Barack Obama. Alors que les États-Unis avaient à l’époque réaffirmé leur « ferme soutien » et leur assistance à l’intervention saoudienne contre les Houthis au Yémen, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En août, les États-Unis ont retiré d’Arabie saoudite la majorité de leur personnel qui collaborait à la campagne aérienne menée par les Saoudiens au Yémen.

En contraste avec leur recul par rapport à la position saoudienne au Yémen, les États-Unis ne se soucient déjà plus des préoccupations des Saoudiens concernant la Syrie – ces derniers ayant fréquemment exprimé leur opposition à Assad et exigé son départ.

Les États-Unis s’inquiètent désormais surtout de satisfaire la Turquie, qui fait maintenant preuve d’une vigueur et d’une assurance grandissantes en matière de politique étrangère et vis-à-vis du conflit syrien. L’Arabie saoudite paraît aujourd’hui presque absente de la scène syrienne, ce qui contraste avec l’importance initiale de son engagement dans le conflit, et cette même absence s’applique, d’une façon générale, aux affaires courantes dans la région.

Le désengagement apparent des Saoudiens des autres conflits régionaux pourrait bien être la conséquence des problèmes causés par leur campagne au Yémen, où ils semblent avoir subi de lourdes pertes. En outre, l’économie saoudienne souffre déjà d’un déficit colossal, alors que le secteur non-pétrolier amorce une récession technique pour la première fois depuis les années 1980. Les dirigeants saoudiens n’ont pas l’habitude de telles difficultés économiques. En revanche, le régime iranien, qui a toujours été soumis à une pression économique, est parvenu à s’immiscer bien au-delà de ses frontières.

Le manque d’engagement de l’Arabie saoudite dans la région est dû en partie à sa politique étrangère réactionnaire et décousue, et à l’absence de stratégies globales cohérentes et bien appliquées. L’Arabie saoudite a plusieurs fois essayé de se rapprocher des Frères musulmans ; elle a hébergé des réunions importantes de rebelles et de forces de l’opposition syriennes à Riyad ; et elle a dirigé une pompeuse « Alliance militaire contre le terrorisme » composée de 34 pays musulmans. Toutes ces mesures ont été prises l’année dernière, mais comme on n’y a pas donné suite, il est peu probable qu’elles obtiennent des résultats.

L’Arabie saoudite a certainement plus d’un tour dans son sac. Pour le moment, en tous cas, l’Iran conserve l’avantage en Irak comme dans toute la région, et c’est pour cela que le chef d’une milice sans scrupules soutenue par l’Iran peut ouvertement se vanter de menacer de mort l’ambassadeur saoudien.

Mustafa Salama est un analyste, consultant et journaliste politique indépendant. Sa formation universitaire et son expérience en font un spécialiste des questions du Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une photo publiée le 14 janvier 2016 sur le site internet officiel du ministre iranien des Affaires étrangères, Ibrahim al-Jaafari (à droite), le montre en train de rencontrer le nouvel ambassadeur saoudien en Irak, Thamer al-Sabhan, à Bagdad (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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