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Non, le président iranien n’est pas sur le point d’être destitué

Depuis la réélection de Hassan Rohani, ses opposants exercent sur lui une pression intense, mais celle-ci a pour but de mettre en évidence les limites de son deuxième mandat, non de préparer le terrain pour l’évincer

La victoire écrasante de Hassan Rohani lors des élections présidentielles de mai a créé l’attente auprès de ses partisans et de l’électorat en général qu’il puisse avoir les coudées beaucoup plus franches au cours de son deuxième mandat.

La perception que Khamenei est d’une manière ou d’une autre aligné avec les conservateurs et les principalistes contre Rohani est fausse à plusieurs niveaux

Toutefois, cet espoir s’amenuise à mesure que l’establishment et ses alliés principalistes se mobilisent pour contenir ses ambitions.

L’aspect le plus extrême de cette campagne est apparu nettement le mois dernier lors du rassemblement de la journée « Quds » – la démonstration annuelle de solidarité de l’Iran avec les territoires palestiniens – quand un groupe de manifestants voyous a entonné des slogans contre Rohani, qualifiant le président d’« imam américain » et le comparant au premier président destitué de la République, Abolhassan Bani Sadr.

Cette campagne des principalistes (conservateurs) coïncide avec une crise qui va en s’aggravant entre Rohani et le haut commandement du corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI) sur un large éventail de questions, notamment économiques et de politique étrangère.

Rohani marche parmi la foule lors du rassemblement de la journée « Quds » le 23 juin 2017 (AFP)

En dépit de l’intensité de cette campagne, la dispute devrait être analysée dans le cadre de l’approche institutionnelle consensuelle de la République islamique en matière d’élaboration de ses stratégies et de ses politiques et non pas comme une campagne concertée visant à marginaliser Rohani. Quoi qu’il en soit, le président iranien dispose d’un soutien électoral et institutionnel suffisant pour aller jusqu’au bout de son deuxième mandat.

Un second Bani Sadr ?

Au cours des dernières semaines, les adversaires de Rohani l’ont de plus en plus souvent comparé au premier président malheureux de la République islamique, Abolhassan Bani Sadr. Cette comparaison a été provoquée par l’avertissement du guide suprême, l’ayatollah Khamenei, lequel a déclaré le mois dernier que les événements de 1980-1981 qui ont vu le président de l’époque, Abolhassan Bani Sadr, « polariser » la scène nationale, ne devaient pas se répéter.

Les adversaires de Rohani l’ont de plus en plus souvent comparé au premier président malheureux de la République islamique, Abolhassan Bani Sadr

Bani Sadr fut le premier et dernier président iranien à ne pas servir deux termes complets. En fait, son premier mandat a été brutalement interrompu par une procédure de mise en accusation prononcée à son encontre par le parlement en juin 1981, pour des activités subversives présumées. Il a ensuite fui en exil et il réside actuellement à Paris.

Intellectuel perturbateur, Bani Sadr était fondamentalement en désaccord avec le cœur du pouvoir de la révolution iranienne qui rayonnait autour de l’ayatollah Khomeini et de ses plus proches conseillers. Il ne correspondait ni à l’image, ni à l’idéologie qui avait été consolidée au cours de la période immédiatement successive à la révolution. De plus, son style intellectuel excentrique et son manque de compétences politiques l’ont empêché de former des alliances avec des individus et des groupes clés du pouvoir.

Abolhassan Bani Sadr, qui deviendra le premier président de l’Iran après la révolution, lors d’une conférence de presse en 1979 (Wikicommons)

De plus, Banisadr ne disposait pas de sa propre base politique indépendante et n’avait pas la popularité nécessaire pour rassembler les foules. Sa victoire lors de la première élection présidentielle de la République islamique en janvier 1980 a résulté en grande partie de son étroite association avec l’ayatollah Khomeini plutôt que de caractéristiques personnelles ou politiques exceptionnelles.

Hassan Rohani, au contraire, est un pilier de la République islamique depuis près de quatre décennies. Il a joué un rôle de premier plan au sein des cercles de la sécurité nationale, notamment en servant pendant longtemps au Conseil suprême de défense et au Conseil suprême de sécurité nationale. De manière cruciale, en dépit de différences importantes avec des personnalités de premier plan de l’establishment, y compris le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, Rohani a su conserver leur confiance.

De plus, bien qu’il n’eût aucune expérience politique avant 2013, Rohani s’est révélé être un politique compétent, capable de former et de soutenir de larges coalitions. Son alliance avec les réformistes a permis de remporter une victoire confortable lors des élections législatives de mars-avril 2016.

C’est cette alliance centriste-réformiste qui a formé la base de la victoire écrasante de Rohani lors du scrutin présidentiel de mai. Sa propre base de pouvoir centriste lui donne une portée institutionnelle suffisante dans les institutions les plus sensibles d’Iran, y compris les services de renseignements actuellement dirigés par ses loyalistes.

Les partisans de Rohani célèbrent sa victoire au centre-ville de Téhéran le 20 mai 2017 (AFP)

De surcroît, la formidable base populaire des réformistes, conjuguée à leur popularité durable, a permis à Rohani d’atteindre une base électorale beaucoup plus large qu’il ne l’aurait fait autrement.

En résumé, Rohani est aussi éloigné que possible de Bani Sadr. Ce sont généralement les loyalistes de Rohani, désireux de radicaliser l’environnement en vue de repousser les principalistes et les partisans de la ligne dure, qui parlent de mise en accusation formelle devant le parlement ou de son renversement par des moyens moins constitutionnels. La réalité sur le terrain, cependant, est que même les principalistes les plus inconditionnels sont opposés aux slogans contre Rohani, et encore plus à l’idée de préparer sa destitution.

Un acte d’équilibre

La campagne contre Rohani s’est intensifiée début juin lorsque l’ayatollah Khamenei a encouragé ses partisans à « tirer à volonté » en réponse à une atrophie politique et culturelle perçue au sein de la République islamique.

Bien que Khamenei ait émis ce conseil à des militants spécialisés dans une guerre de lobbying (par exemple, via les agents culturels et politiques), cela a néanmoins causé suffisamment de controverses et de malentendus pour que Khamenei nuance ses propos en soulignant que « tirer à volonté » ne devait pas aboutir à « l’anarchie ».

La perception que Khamenei est d’une manière ou d’une autre aligné avec les conservateurs et les principalistes contre Rohani est inexacte à plusieurs niveaux. Avant tout, le discours de Khamenei le mois dernier portait sur la direction générale du pays pendant une période de tensions régionales aiguës. En tout état de cause, d’un point de vue institutionnel, la priorité absolue de Khamenei est de créer un équilibre entre Rohani et ses adversaires principalistes.

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Deuxièmement, les principalistes n’ont pas de position cohérente ou largement partagée au sujet de Rohani. Au contraire, au niveau institutionnel du moins, ils sont profondément divisés. À l’intérieur du parlement, les principalistes sont divisés entre anti et pro-Rohani. La principale faction des « partisans principalistes de Velayat » (qui est anti-Rohani) est maintenant contrebalancée par les « partisans indépendants de Velayat », pro-Rohani.

On peut estimer de façon réaliste que ce que les factions anti-Rohani du parlement peuvent le plus espérer, c’est de faire pression aux côtés des commandants des Gardiens de la révolution de manière à modérer les politiques de Rohani au cours des quatre prochaines années. Sur le plan économique, les principalistes et leurs alliés des GRI ne sont en principe pas si opposés que cela aux plans économiques de Rohani, dans la mesure où ils veulent que les GRI restent impliqués dans les grands projets d’infrastructure. L’accord de 5 milliards de dollars (4,38 milliards d’euros) avec le français Total et la National Petroleum Corporation chinoise en est un parfait exemple.

En ce qui concerne la politique étrangère, le résultat souhaité par les GRI est l’abandon par Rohani de sa rhétorique « soft » vis-à-vis des ennemis régionaux et internationaux de l’Iran. La pression semble fonctionner car Rohani s’est légèrement écarté du ton modéré qui le caractérise lors d’une récente conférence sur l’environnement en prévenant les ennemis de l’Iran que l’ère de la « construction des murs » avait pris fin. Reste à voir si Rohani saura maintenir ce cap rhétorique.

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Rohani salue le public lors d’un rassemblement dans la ville d’Ardabil, au nord-ouest de l’Iran, au cours de la campagne électorale de cette année, le 17 mai 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.

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