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Près de quarante ans plus tard, que reste-t-il de la révolution islamique en Iran ?

Malgré les revendications économiques, les mouvements de protestation et les fissures sociales plus larges, la base populaire de la République islamique et l’establishment semblent tous deux unis face à des menaces mortelles

L’Iran a commémoré dimanche dernier le 39e anniversaire de la révolution iranienne qui a renversé le shah et inauguré la République islamique. Si l’événement est célébré en grande pompe tous les ans, l’anniversaire de cette année est particulièrement sensible dans la mesure où il intervient dans la foulée des protestations qui ont secoué le pays il y a quelques semaines.

Cette année, la priorité était de mobiliser autant de monde que possible pour la grande marche du 11 février à Téhéran. Cette initiative a fait suite à un appel lancé par des organisations nationales de premier plan qui ont exhorté leur communauté immédiate – et le public au sens large – à se présenter au grand rassemblement de dimanche.

Mais alors que la révolution entre dans sa quatrième décennie, l’establishment est confronté à de multiples problèmes politiques, socio-économiques et culturels, dont certains – en particulier dans la sphère socio-économique – sont au bord d’une crise à part entière. 

Une confluence de crises 

Outre un mouvement de protestation énergique, motivé en grande partie par des revendications économiques, il existe des fissures sociales plus larges, comme en témoigne une campagne de faible ampleur mais très visible contre le port obligatoire du hijab islamique.

Malgré ses divisions inhérentes, l’establishment semble uni, du moins pour défendre l’intégrité du système contre ses ennemis jurés. En outre, les diverses forces sociales et politiques qui composent la base de la République islamique semblent s’unir face à des menaces potentiellement mortelles.

Alors que le mouvement de protestation qui a éclaté fin décembre était limité et de courte durée, celui-ci a néanmoins eu un impact profond sur la politique du pays. Des personnalités politiques de premier plan, dont le président Hassan Rohani, ont exhorté l’establishment à tenir compte des exigences légitimes des manifestants. 

La véritable nature du mouvement de protestation n’est toujours pas parfaitement cernée, tandis qu’il n’y a pas de consensus sur son influence auprès du grand public. Selon la première enquête menée auprès de l’opinion publique iranienne suite aux protestations – par le Centre d’études internationales et de sécurité de l’Université du Maryland et IranPoll.com –, seulement 16 % des personnes interrogées souhaitent des changements politiques « fondamentaux ».  

Alors que la révolution entre dans sa quatrième décennie, l’establishment est confronté à de multiples problèmes politiques, socio-économiques et culturels, dont certains – en particulier dans la sphère socio-économique – sont au bord d’une crise à part entière

Cependant, l’incertitude autour de la popularité du mouvement de protestation et de ses véritables intentions n’a pas entamé son impact sur la communauté politique. Plus spécifiquement, les protestations ont déclenché des débats houleux dans le camp réformiste, qui est accusé par les radicaux – appelés « bar andazan », ou « renverseurs » – de diaboliser les protestations.

La plupart des dirigeants réformistes, y compris l’ancien président Mohammad Khatami, ainsi que des idéologues réformistes de premier plan tels que Mostafa Tajzadeh et Abbas Abdi ont pris position contre le désordre public et les émeutes, tout en reconnaissant certaines des revendications « légitimes » des manifestants.

Cette position se reflète pleinement dans une déclaration publiée par seize personnalités réformistes de premier plan, dont Tajzadeh, qui présente le contexte économique et politique des manifestations tout en veillant à ne pas les soutenir.  

Une politique identitaire

Une autre faction parmi les réformistes, notamment le Mouvement vert qui a mené les dernières manifestations majeures en 2009 à la suite d’élections présidentielles controversées, a néanmoins adopté une ligne nettement différente. Tout en ne soutenant pas les dernières protestations, cette faction entend s’y joindre – bien qu’indirectement – en exerçant une pression encore plus forte sur l’establishment.

Cette approche conflictuelle est flagrante dans une lettre très virulente adressée au Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, par Mehdi Karoubi, l’un des dirigeants du Mouvement vert qui croupit actuellement en résidence surveillée.

Dans sa lettre ouverte, Karoubi blâme fermement et sans équivoque Khamenei pour les politiques des trois dernières décennies qui auraient directement contribué aux multiples crises traversées par le pays.

Des Iraniens brandissent des portraits du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, et du défunt dirigeant iranien, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, lors d’un rassemblement marquant l’anniversaire de la révolution islamique iranienne de 1979, à Téhé

Les protestations ont peut-être été provoquées en grande partie par des revendications économiques, notamment liées aux politiques d’austérité du président Rohani, mais elles étaient néanmoins frappantes de par leur férocité et leurs slogans sans concessions dirigés non seulement contre l’establishment, mais aussi contre la communauté politique de la République islamique.

Les protestations contre le hijab

Les protestations ont coïncidé avec un mouvement de désobéissance civile visant à contester le port obligatoire du hijab islamique. Dans le cadre de ce mouvement, connu sous le nom de « Mercredis blancs », des femmes enlèvent leur foulard en public, au mépris total de la loi, en vue de porter atteinte à l’un des éléments cardinaux de la République islamique.

Dépeint avant tout comme un mouvement socioculturel centré sur une volonté de choix et de diversité, Mercredis blancs est en réalité un mouvement intrinsèquement politique. C’est une forme de politique identitaire qui défie les valeurs et l’identité les plus profondes du système islamique.

En outre, certaines des vidéos publiées sur les réseaux sociaux (prises par les militantes elles-mêmes) traitent de questions politiques plus larges, notamment la politique étrangère et l’implication de l’Iran dans le conflit syrien.

L’accent mis sur la politique identitaire suscitera une plus grande cohésion systémique alors que les diverses factions se rassemblent pour faire face à une menace dirigée contre l’essence même du système islamique

Bien que Mercredis blancs semble avoir une base relativement étroite – avec au plus quelques centaines de vidéos postées sur les réseaux sociaux –, le mouvement a été suffisamment visible pour avoir un impact sur le discours officiel à ce sujet.

Il a notamment incité le président Rohani – qui semble vouloir tirer parti des divers mouvements de protestation – à publier un rapport sur le hijab rédigé il y a trois ans par le Center for Strategic Studies, un think tank respecté. Selon ce rapport détaillé, près de la moitié de la population s’oppose au port obligatoire du hijab.

Des fioritures opportunistes

L’approche opportuniste du président face à cette question est mise en évidence par la publication d’une vidéo dans laquelle Rohani se vante d’avoir joué un rôle central dans l’obligation du port du hijab au cours des premières années de la révolution. Filmé en 2002, Rohani raconte comment il a procédé à l’introduction du port obligatoire du hijab dans les centres militaires immédiatement après la révolution.  

Faisant une nouvelle fois preuve d’opportunisme, Rohani a évoqué dans son discours de dimanche dernier la perspective d’organiser un référendum pour régler de grandes questions politiques. Cela semble être une concession – bien que probablement hypocrite – faite à certains des manifestants qui réclamaient un référendum, vraisemblablement pour sceller le sort de la République islamique.

L’accent mis sur la politique identitaire a deux conséquences immédiates : premièrement et avant toute chose, elle est vouée à polariser encore plus l’environnement politique. Deuxièmement, elle suscitera une plus grande cohésion systémique alors que les diverses factions se rassemblent pour faire face à une menace dirigée contre l’essence même du système islamique.

Cette cohésion était affichée de manière flagrante le 1er février, le premier jour de Dahe-ye Fajr (« Décade de l’Aube »), qui commémore le retour de l’ayatollah Khomeini en Iran le 1er février 1979 et la victoire de la révolution dix jours plus tard.

Le discours inaugural de Dahe-ye Fajr est d’une importance capitale car il plante le décor des dix jours de commémoration.

Le discours inaugural de cette année a été prononcé par Seyed Ali Khomeini, petit-fils du défunt ayatollah Khomeini. Dans un contexte de protestations et de tensions politiques généralisées, le jeune Khomeini a soutenu fermement l’actuel guide suprême, l’ayatollah Khamenei.

Cela revêt une certaine importance, dans la mesure où le clan Khomeini est souvent identifié à la branche réformiste de l’establishment et tend à se montrer critique envers les dirigeants actuels.

Quoi qu’il en soit, la trajectoire actuelle sous-entend une érosion de la frontière entre réformistes et conservateurs dans la politique iranienne, appelée à être remplacée par une division beaucoup plus explosive entre les fidèles de la République islamique et les « renverseurs ».  

2018 devrait être une année tendue et potentiellement mouvementée en Iran.   

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants brandissent le drapeau iranien et un portrait du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, lors d’une cérémonie marquant le 33e anniversaire de la révolution islamique, sur la place Azadi de Téhéran, le 11 février 2012 (Reuters).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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