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Privatiser l’industrie israélienne de l’armement

La technologie militaire d’Israël ne parvient pas à soumettre la population palestinienne et ne peut pas protéger la réputation internationale d’Israël

En 1933, bien avant la fondation de l’État d’Israël, la société Israel Military Industries (IMI) fut créée afin de fournir des armes aux milices juives en Palestine. L’entreprise s’est développée jusqu’à devenir la cinquième plus grande entreprise d’armement et la 45e plus grande entreprise industrielle en Israël.

IMI emploie environ 3 600 salariés et produit des munitions, des systèmes électroniques et des ponts mobiles militaires. Elle tente également d’entrer sur le marché « de la sécurité intérieure » et possède des chaînes de production secrètes.

Appartenant à  l’industrie d’armement publique, IMI bénéficie du prestige provenant du fait que ses produits sont utilisés par l’armée israélienne. Toutefois, cette entreprise démontre que l’industrie de l’armement d’Israël n’est pas qu’une réussite. Les brèches dans les exportations d’armes d’Israël exposent le problème que présente le modèle économique de cette industrie.

Le choix de la privatisation

En 1996, le géant de l’armement américain Lockheed Martin a approché le gouvernement israélien avec une offre d’achat pour IMI. Le gouvernement israélien a refusé, arguant qu’IMI est non seulement une entreprise, mais un atout stratégique pour l’armée israélienne.

Le gouvernement a fait valoir que l’armée a besoin d’un accès constant aux chaînes de production de l’entreprise et de pouvoir exiger des adaptations rapides aux armes qu’elle produit ainsi que des efforts rapides pour reconstituer les stocks de munitions en temps de guerre.

Cependant, un schéma se répète dans l’économie israélienne depuis les années 1990 : les investisseurs privés qui ciblent les entreprises publiques et souhaitent les acheter ont les moyens de dépeindre ces entreprises comme en faillite, de mobiliser la presse spécialisée pour discuter de ces entreprises comme des passifs et donc d’exercer davantage de pression en faveur de la privatisation.

Cette procédure a été utilisée dans le processus de privatisation des plus grandes entreprises d’Israël : Bank Hapoalim, BEZEK, El-Al, Koor, Zim et d’autres, toujours à l’avantage des investisseurs qui achètent la société sous-évaluée.

Dans les années qui ont suivi le rejet de l’offre de Lockheed Martin, la part d’IMI dans le gâteau de la sécurité israélienne a commencé à diminuer. Les responsables du ministère de la Défense et ceux de l’entreprise savaient que si la société se fragilisait sur le plan financier, elle serait vendue pour une fraction de sa valeur et qu’ils ne pouvaient espérer un emploi lucratif quelle que soit l’entreprise qui finirait par acheter IMI, comme cela est arrivé dans d’autres cas de privatisation en Israël.

La presse économique israélienne a appelé ouvertement à une privatisation sans délai. La Knesset a été appelée à statuer sur les prêts d’urgence visant à maintenir l’entreprise à flot et en 2005, le gouvernement est revenu sur sa décision au sujet de la privatisation et a décidé de vendre l’entreprise.

Adoucir l’accord

Au cours des dix dernières années, le gouvernement a lutté pour poursuivre la privatisation. Il a décidé d’imposer des restrictions sur le processus : les investisseurs étrangers ne seraient autorisés à acheter la compagnie que si elles coopèrent avec un partenaire israélien afin de garantir le fait que l’entreprise reste israélienne.

Certaines des usines ont été retirées d’IMI en raison de leur caractère sensible. Toutefois, ces restrictions dissuadent les investisseurs, comme l’a fait la mise en garde du gestionnaire de l’autorité des entreprises publiques d’Israël, Doron Cohen, en 2010, lorsqu’il a indiqué que l’IMI était mal gérée, avait de lourdes dettes et un déficit de trésorerie. La réputation de la société en a pâti et les espoirs du gouvernement d’augmenter les revenus de sa vente ont été anéantis.

Afin d’attirer les investisseurs à faire une offre concernant la société, le gouvernement a approuvé de nombreux et coûteux avantages : ajout d’une entreprise rentable à l’accord de privatisation (l’usine de blindage de véhicule « Ashot Ashkelon ») ; indemnité de départ pour plus d’un millier de travailleurs mis à pied à la charge du gouvernement ; engagement pris par le ministère de la Défense de continuer à acheter des produits d’IMI pour 550 millions de dollars jusqu’en 2018 ; annulation des dettes et plus encore.

L’effondrement de l’appel d’offres

Malgré les efforts du gouvernement, les investisseurs qui ont initialement exprimé un intérêt pour l’achat d’IMI ont commencé à se retirer un par un en signe de protestation. Sami Katzav, qui a déjà acheté l’une des usines d’IMI, a fait valoir que l’appel d’offres favorise fortement Elbit Systems. Aujourd’hui, Elbit Systems, détenue par Miki Federman, reste la seule candidate. Le Comité d’appel d’offres a décidé d’aller de l’avant avec cet appel d’offres, ce qui garantit à Elbit de le remporter sans opposition et de payer que le minimum.

Miki Federman, qui possède déjà Elbit Systems et Dan Hotels, possédera la plus grande entreprise d’armement en Israël. Elbit occupe déjà la deuxième place (après la société Israeli Aerospace Industries [IAI] appartenant au gouvernement). Federman est connu pour être un ami de Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien et ministre de la Défense. Il a de nombreuses relations dans les milieux économiques et politiques d’Israël et exerce une influence notable.

Elbit détient déjà le monopole pour la fourniture à l’armée israélienne de certains types d’équipement, l’entretien et la formation, un fait critiqué par le contrôleur d’État en raison de la dépendance que développe l’armée israélienne envers une entreprise privée. Après l’acquisition d’IMI, Elbit Systems deviendra le plus grand fournisseur de l’armée israélienne et sera en mesure de fixer ses prix comme elle l’entend.

Ce qu’implique un monopole

Elbit Systems et IMI utilisent toutes deux fréquemment les opérations militaires d’Israël pour promouvoir leurs produits. Cela conduit certains à la conclusion erronée que l’économie israélienne profite de la guerre, alors qu’en fait, une grande partie du revenu des entreprises d’armement provient de son plus gros client : l’armée israélienne, financée par les contribuables israéliens.

De nombreux gouvernements se rendent compte que l’impressionnante technologie militaire d’Israël ne parvient pas à soumettre la population palestinienne et ne peut pas protéger la réputation internationale d’Israël qui s’effrite. Il y a certaines choses que la technologie militaire ne peut tout simplement pas résoudre.

Bien que la violence constante au Moyen-Orient fasse le beurre de l’industrie de l’armement (et pas seulement celle d’Israël), les exportations d’armes d’Israël stagnent. Ces entreprises ne survivent que grâce à leur plus gros client : le ministère israélien de la Défense.

Israël consacre déjà une plus grande part de son budget à l’armée et à la sécurité par rapport à tous les autres pays de l’OCDE et toute nouvelle augmentation du budget de la défense se fait au détriment direct des fragiles services publics d’Israël. Si Elbit Systems devait asseoir son monopole et augmenter davantage ses prix, cela alourdirait encore le fardeau de la sécurité sur l’économie israélienne. Est-ce qu’Israël peut se le permettre ?

Shir Hever est étudiant en master à l'université libre de Berlin, et économiste avec le Alternative Information Centre.

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : tests du système de défense antimissile israélien « Fronde de David », un intercepteur de moyenne portée développé avec le soutien des États-Unis, dans un lieu tenu secret en Israël, le 21 décembre 2015 (AFP/HO/Ministère de la Défense israélien).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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