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Tensions Iran/États-Unis : une troisième guerre du Golfe ?

L’escalade de la guerre des mots entre Washington et Téhéran annonce-t-elle une confrontation militaire à venir ?

Les États-Unis font systématiquement monter la pression sur l’Iran à la fois au niveau rhétorique et pratique. Dernière initiative hostile des États-Unis, dix-huit groupes et individus iraniens ont été sanctionnés sur des questions qui ne sont pas liées au Plan global d’action conjoint (JCPOA), l’accord nucléaire historique de juillet 2015.

Au niveau rhétorique, l’administration Trump semble avoir adopté le discours de changement de régime de l’administration George W. Bush, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson suggérant que la politique américaine à l’égard de l’Iran sera guidée en partie par l’objectif d’un changement de régime « pacifique ».

Il existe suffisamment de nuances dans les relations américano-iraniennes – ainsi qu’une masse critique de têtes froides – pour empêcher un conflit militaire à grande échelle

Comme le Congrès et les médias américains sont entièrement mobilisés contre l’Iran, l’administration Trump rencontre une faible opposition interne à son escalade de la guerre des mots avec la République islamique. La question clé est de savoir quelles sont les conséquences pratiques de l’intensification de la pression sur l’Iran.

Le discours du changement de régime est obsolète et on ne peut plus fantasque car, à moins de lancer une invasion à grande échelle de l’Iran, les États-Unis n’ont aucun espoir de renverser la République islamique. Mais même au-delà de cet objectif maximaliste, les options belligérantes des États-Unis sont limitées.

Contrairement à ce qu’affirment certains analystes, les États-Unis et l’Iran ne sont pas sur la voie de la guerre. Il est certain qu’une forte détérioration des relations est quasiment garantie, mais même si l’accord historique sur le nucléaire s’effondre en raison des provocations de l’administration Trump, il existe suffisamment de nuances dans les relations américano-iraniennes – ainsi qu’une masse critique de têtes froides – pour empêcher un conflit militaire à grande échelle.

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Inimitié persistante

Plus que tout, la fixation de l’establishment américain sur le « changement de régime » en Iran conforte l’antiaméricanisme des dirigeants iraniens. Il y a une raison pour laquelle la République islamique et ses partisans scandent « mort à l’Amérique » depuis près de quatre décennies. La position extrême des États-Unis conforte la croyance des Iraniens selon laquelle l’Amérique n’a jamais accepté les conséquences de la révolution iranienne, qui a radicalement modifié le profil géopolitique de l’Iran, passant d’un allié dépendant des Américains à une puissance régionale indépendante.

Les détracteurs iraniens de l’accord sur le nucléaire souligneront que, contrairement à l’Iran, la Corée du Nord possède des armes nucléaires et développe régulièrement sa capacité à les envoyer sur le continent américain

C’est pourquoi le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a constamment prévenu les gouvernements iraniens successifs, au cours des vingt-cinq dernières années, de ne pas développer la moindre confiance envers les États-Unis.

La dernière fois qu’un gouvernement iranien a coopéré avec les États-Unis, ce fut lorsque l’administration réformiste de l’ancien président Mohammad Khatami a collaboré partiellement avec les Américains dans le but de renverser le régime taliban en Afghanistan à l’automne 2001. La réponse immédiate aux États-Unis a été la description de l’Iran par George W. Bush comme appartenant à un « axe du mal » dans son discours sur l’état de l’Union à la fin de janvier 2002.

Des gens regardent un reportage sur un test de missile balistique intercontinental diffusé sur écran géant sur une place publique à Pyongyang, le 29 juillet 2017 (AFP)

Pour apprécier pleinement le caractère extrême de la rhétorique du « changement de régime » en ce qui concerne l’Iran, il est instructif de noter que les États-Unis ont juste déclaré explicitement qu’ils ne cherchaient pas de changement de régime en Corée du Nord, un régime qui, contrairement à l’Iran, constitue une menace directe pour la sécurité des États-Unis.

Les radicaux iraniens et ceux qui s’opposent à l’amélioration des relations avec l’Occident sauteront sur la dernière annonce américaine concernant la Corée du Nord pour étriller le JCPOA qui, au moins dans un avenir prévisible, empêche l’Iran de développer une dissuasion formelle face à une éventuelle agression américaine.

Les détracteurs iraniens de l’accord sur le nucléaire souligneront que, contrairement à l’Iran, la Corée du Nord possède des armes nucléaires et développe régulièrement sa capacité à les envoyer sur le continent américain via des missiles balistiques intercontinentaux.

Rhétorique à part, le discours du changement de régime reflète une profonde incompréhension aux États-Unis quant à la nature et à la résilience du système politique iranien. L’absurdité de la situation ressort nettement de l’appel de Tillerson à un changement de régime « pacifique », parfaitement oublieux du fait que l’Iran a réussi à organiser les élections les plus importantes de la région.

Inévitable conflit ?

Malgré la profonde inimitié politique et idéologique entre les establishments politiques des deux pays, les relations irano-américaines sont complexes et les nuances qui en résultent indiquent que les deux puissances ne se dirigent pas nécessairement vers une confrontation militaire à grande échelle. En effet, l’histoire de la relation tendue entre ces deux puissances au cours des quatre dernières décennies corrobore cette affirmation.

Concrètement, les positions iranienne et américaine étaient plus conflictuelles à la fin des années 1980 qu’aujourd’hui, comme en témoignent les profonds désaccords sur la conclusion de la guerre Iran-Irak, la liberté de navigation dans le golfe Persique et le sort des otages américains au Liban. Mais même durant cette période incroyablement tendue, les deux parties sont parvenues à éviter une confrontation militaire soutenue, malgré l’opération « Mante religieuse » de 1988, lors de laquelle les États-Unis ont attaqué des navires de la marine iranienne dans le golfe Persique.

Compte tenu de ce passif et de la capacité et volonté démontrée des deux puissances à faire preuve de retenue même dans un contexte de tension considérable, les analystes risquent de peindre un tableau trop simpliste et réducteur qui ne tient pas suffisamment compte des nuances dans les relations bilatérales.

Il ne fait aucun doute que les États-Unis sont en train de serrer la vis à l’Iran, comme en témoigne le projet de loi anti-Iran de la Chambre des représentants, qui sanctionne le puissant Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et ordonne au gouvernement américain de développer des stratégies pour contenir l’Iran dans la région et au-delà.

À l’exception de malentendus et d’engagements navals relativement limités dans le golfe Persique, les deux puissances ont de nombreuses raisons d’éviter une guerre frontale majeure

En outre, la fixation des États-Unis sur le programme de missiles balistiques de l’Iran devrait s’intensifier, mais il est peu probable que cela dissuade le CGRI, qui considère la capacité de l’Iran dans cette sphère comme constituant la seule dissuasion crédible du pays contre les puissances hostiles comme les États-Unis et Israël. En effet, les gardiens de la révolution auraient construit une troisième usine souterraine de production de missiles balistiques pour souligner leur détermination et leur résolution.

Mais même dans un contexte de tensions croissantes, une confrontation militaire à grande échelle reste peu probable. À l’exception de malentendus et d’engagements navals relativement limités dans le golfe Persique, les deux puissances ont de nombreuses raisons d’éviter une guerre frontale majeure. Malgré l’obsession anti-iranienne de l’establishment politique des États-Unis, ni le Pentagone ni la communauté américaine du renseignement ne semblent faire preuve d’une position belliqueuse anti-iranienne.

Comme les experts américains en sont tout à fait conscients, une guerre avec l’Iran comporte d’énormes risques, notamment une atteinte au prestige des forces armées américaines, dans la mesure où une confrontation militaire entraînerait vraisemblablement des pertes non observées depuis la guerre du Vietnam. En dernière analyse, même en cas de crise, telle que l’effondrement du JCPOA, l’Iran et les États-Unis ont une détermination et une vision stratégique suffisantes pour éviter une guerre frontale.

 

- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le 29 juillet 2017, Téhéran et Washington ont mutuellement accusé les forces navales de l’autre pays de manœuvres provocatrices dans le Golfe, qui ont culminé avec le tir de fusées éclairantes sur des navires iraniens par un hélicoptère américain, dernière confrontation proche entre les pays au cours des derniers mois (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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