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Danser pour guérir de la guerre à Chatila

Originale et pleine de vertus, la danse des cinq rythmes a permis aux enfants syriens du camp de réfugiés de Chatila, au Liban, de guérir des effets de la guerre et d’améliorer leur quotidien
Des jeunes Syriens participent à un atelier dans le camp de Chatila (MEE/Nikita Shahbazi)

L’espace de funérailles dans le camp de Chatila dissimule un passé plus heureux. Le centre en effet a accueilli quotidiennement de février 2015 à septembre 2016 des enfants syriens pour des cours de danse pas comme les autres. Il a dû fermer sous la pression des décisionnaires du camp pour des raisons de sécurité.

CAMP DE CHATILA, Liban – Il est 10 heures un matin de mai, Redwan, Reem, Omar et Khadija font partie des 125 enfants syriens âgés de 3 à 14 ans qui s’apprêtent à suivre leur cours quotidien de danse. Sara, l’une des plus jeunes, trépigne depuis 6 heures du matin, impatiente de participer à ce cours hors du commun. Venus d’Alep ou de Daraa, certains de ces enfants vivent dans le camp depuis cinq ans et d’autres depuis moins d’un an.

Depuis mars 2011, 10 000 Syriens et Palestiniens de Syrie se sont installés dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Le camp de Chatila situé dans la banlieue sud de Beyrouth, accueillerait près de 3 000 Syriens et 2 500 Palestiniens venus du Syrie. Ces « nouveaux réfugiés » sont arrivés dans le camp qui n’accueillait à l’origine que des Palestiniens et souffrait d’une densité déjà importante par rapport à sa superficie et dont les habitants vivaient dans des conditions très précaires.

Les enfants participant au cours se déplacent au gré des différents rythmes musicaux qui résonnent dans la salle, tout en suivant la voix de Nikita, leur professeur. Elle anime ce cours de danse « 5Rhythms », ou cinq rythmes, une méthode d’expression spontanée qui évolue sur cinq climats musicaux : la fluidité, le staccato, le chaos, le lyrisme et la quiétude.

Nikita Shahbazi est née et a grandi à Téhéran jusqu’en 1991. Sa famille obtient le droit d’asile et déménage aux Pays-Bas lorsqu’elle a 15 ans et sa vie change radicalement. Une maîtrise de psychologie sociale en poche, elle obtient un poste de consultante auprès des Nations unies en tant que conférencière, défenseure des droits de l’homme pour le droit à l’alimentation et la nutrition (FIAN).

Photo : Nikita (MEE/Nikita Shahbazi)

Mais tout au long de son enfance, pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), elle s’est retrouvée confrontée aux bombes et au stress du quotidien. Pour résoudre ses problèmes post-traumatiques, elle a trouvé des outils comme le yoga et la méditation, puis a découvert la danse des cinq rythmes.

« Tu peux contrôler ta vie quand tu contrôles ton corps. Ce dernier est un magasin de stress et de traumatismes », explique-t-elle à Middle East Eye.

« Une fois touché par la guerre, vous n’êtes plus la même personne. Votre cerveau et votre système nerveux sont en confrontation. Il faut pouvoir trouver la paix dans votre esprit et votre corps à nouveau afin de vous sentir confiant dans votre mode de vie. Voilà pourquoi vous avez besoin d’activités physiques et psychiques pour vous rapprocher de vous », explique Nikita Shahbazi.

Selon cette professeure de danse, le mouvement est essentiel dans le développement des fonctions cognitives et motrices, en particulier pour le cerveau chez les enfants. Danser les cinq rythmes serait alors un moyen efficace pour soulager les tensions post-traumatiques accumulées dans le corps.

Cette pratique a vu le jour suite aux recherches de Gabrielle Roth, danseuse et metteure en scène américaine, disparue en 2012. Elle a voué très tôt son inspiration à l’exploration et à la transmission du mouvement comme source de libération, de transformation et de guérison. 

Le principe a été repris à travers le projet Move4Syrians lancé en février 2015.C’est un projet de développement de l’alphabétisation des femmes et des enfants à Chatila, avec l’aide financière de la fondation Imove. En plus du mouvement des cinq rythmes, des cours de yoga et de méditation sont proposés.

Des enfants dansent lors du cours de danse des cinq rythmes (MEE/Nikita Shahbazi)

Les bienfaits de la danse

Les résultats ne se sont pas fait attendre. Le personnel encadrant a remarqué que les enfants étaient devenus plus calmes, moins violents et plus concentrés pendant les classes.

Selon une étude menée par l’ONG Defence for Children, organisme indépendant qui protège les droits de l’enfant dans 40 pays dans le monde depuis 35 ans,  60% des enfants qui ont fréquenté les séances ont indiqué que l’atelier a eu un effet positif sur leur comportement à l'école et dans la résolution de leurs problèmes scolaires, tandis que 95% des enfants ont déclaré que leur relation avec les membres de leur famille et amis s’étaient améliorées.

En parallèle, 89% des enfants ont déclaré se sentir plus heureux.

« Les activités ont eu un impact significatif sur l'environnement d'apprentissage des élèves, ainsi que sur leur niveau d'éducation car ils ont beaucoup progressé », explique Manal Eid, qui a réalisé l’étude mentionnée ci-dessus.

Malgré ces résultats, Nikita a dû repartir aux Pays Bas. Elle explique à MEE qu’entre-temps le centre a dû fermer pour des raisons de sécurité suite à une augmentation de tensions dans le camp.

De nouveaux espoirs

Malgré la fermeture du centre,  un nouveau cours de « 5Rhythms » existe maintenant près de la place Sassine dans le centre de yoga, Hamsa Yoga Space. Ce ne sont plus des enfants, mais quatre femmes palestiniennes du camp de Burj El-Barajneh qui viennent pour la seconde fois participer à cette session de groupe ouverte à tous. Elles viennent pour apprendre à enseigner.

Mariam, 27 ans et Sara, 23 ans, sont respectivement professeure et aide psycho-sociale pour des enfants en bas-âge avec l’association Fraternity. Selon elles, cet atelier est une libération pour leur corps et elles espèrent qu’il en sera de même pour les enfants qui vivent dans des conditions précaires, à qui elles ont le projet d’enseigner la danse.

Il s’agit d’une des dernières initiatives de thérapie par l’art au Liban. La pratique s’est développée depuis 2010 dans le pays, en grande partie grâce à Anita Toutikian, créatrice du premier atelier à Beyrouth d’apprentissage et d’enseignement.

Danser pour guérir c’est bien la promesse de Nikita Shahbazi, prête à tout pour soigner les autres de l’intérieur.

La danse des cinq rythmes pourrait sans doute être proposée dans des camps environnants, même si l’alimentation et l’éducation demeurent des axes prioritaires, le corps aussi est un vecteur essentiel de développement psychologique chez l’individu. 

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