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En Algérie, l’heure des « sacrifices » a sonné

Pour empêcher son économie de sombrer avec la chute du prix du baril de pétrole, l’Algérie tente de redresser sa politique économique. Mais les finances publiques et les foyers ont déjà pris l’eau
L’inflation, la dépréciation du dinar et les augmentations décidées par le gouvernement affectent directement le quotidien des Algériens (MEE/Mélanie Matarese)

ALGER – « Avec nos trois enfants, on a vraiment du mal à s’en sortir. Maintenant, chez le boucher, je n’achète plus de cuisses de poulet. Je prends uniquement les ailes, moins chères. J’ai aussi renoncé au coiffeur et à renouveler mes lentilles de contact. » Avec ses 25 000 dinars de salaire (l’équivalent de 230 dollars), pourtant bien supérieurs aux 18 000 dinars (167 dollars) du Salaire minimum garanti, Saliha, employée dans une entreprise privée à Alger, se demande régulièrement comment « tenir jusqu’à la fin du mois ».

Une situation « banale » pour le Syndicat autonome de l’administration publique, qui a récemment publié une étude concluant qu’un ménage avait besoin de 62 000 dinars (578 dollars) pour assurer « le minimum vital ».

Entre l’inflation (de 5 % selon la Banque d’Algérie mais de plus de 10 % selon certains économistes), la dépréciation du dinar (qui a perdu environ 30 % de sa valeur par rapport au dollar en un an) et les augmentations décidées par le gouvernement, les Algériens l’ont bien compris : la chute du prix du baril de pétrole à 30 dollars affecte directement leur quotidien. Et ils ont un mot pour qualifier ce changement : takachouf (austérité).En réalité, l’austérité ne se devine pour l’instant que dans les chiffres officiels. L’économie algérienne dépendant à 97 % des revenus des hydrocarbures, le baril de brut qui a perdu 75 % de sa valeur depuis l’été 2014 a forcément creusé un gros trou dans les comptes. Selon la Banque mondiale, le déficit budgétaire a quasiment doublé entre 2014 et 2015, passant de 6,2 % à 11,5 %. Mais dans la vie de tous les jours, cette austérité n’en est pas « encore » une.

Au marché comme à la station-service, les consommateurs comptent chaque dinar pour faire des économies (MEE/Leïla Beratto)

Le coiffeur et le café plus chers

Certes, l’année 2016 a commencé avec une série de mesures qui n’ont fait plaisir à personne –augmentation de la TVA sur certains produits et services comme la 3G, du prix de la vignette auto, de la taxe sur les produits importés comme la banane, etc. Certes, tout le monde a répercuté de manière plus ou moins anarchique la hausse du prix du carburant et de l’électricité : le médecin a augmenté ses honoraires de 500 dinars (4,65 dollars), le cafetier et le coiffeur ont quant à eux ajouté 50 dinars (0,46 dollars) au gobelet de café et à la coupe pour hommes.

Pourtant, selon l’économiste Hassan Haddouche, « le pire est à venir ». « Si les gens n’ont pas aimé la loi de Finances 2016, ils ne vont pas du tout apprécier la prochaine », indique-t-il à MEE.

« Nous sommes pour l’instant protégés par nos réserves de change mais d’ici à trois ou quatre ans, nous n’aurons plus d’argent. Et nous nous retrouverons dans la situation du Venezuela, qui lui aussi, malgré des ressources pétrolières importantes, ne peut plus les exploiter parce qu’il n’attire plus les capitaux étrangers. Voilà comment on en arrive au scénario catastrophe : cessation de paiement, recours à la planche à billet pour payer les fonctionnaires, pénurie généralisée et hyperinflation. »

Société anesthésiée

À l’Association de protection des consommateurs, Mustapha Zebdi, le président, contacté par MEE, constate que « les gens ont peur », et c’est selon lui la raison pour laquelle le lancement du crédit à la consommation (qui n’existait pas en Algérie avant le mois de janvier) « n’a pas rencontré le succès escompté ».

Smaïn Kouadria, député du PT (Parti des travailleurs), en tournée dans le pays chaque samedi pour prendre la température, relève que « le mécontentement et la peur », qui touchent toutes les catégories sociales, « des chômeurs aux cadres », ont déjà provoqué « des mouvements de protestation » contre la dégradation du niveau de vie.

Pour Smaïn Kouadria, député du PT, la crise concerne « tous les Algériens, des chômeurs aux cadres » (MEE/Adlène Meddi)

C’est le cas chez les transporteurs en Kabylie, chez les pompistes et les salariés de la Santé publique à l’est du pays, chez les distributeurs de lait un peu partout dans le pays.

« Pour l’instant, la société est anesthésiée parce que l’État peut continuer à subventionner certains produits et maintenir la paix sociale », analyse Hassan Haddouche. « Mais la paupérisation de la société est insoluble. L’Algérie risque une explosion sociale généralisée avant même que les réserves ne soient épuisées. Car la société ne pourra plus accepter les sacrifices que l’on va lui demander. »

« Sacrifice ». Le mot a même été lâché dans un communiqué de la Présidence ce mercredi 24 février. Abdelaziz Bouteflika y appelle les Algériens « à suivre l’exemple des glorieux chouhadas [martyrs de la guerre de Libération] qui ont arraché l’indépendance du pays au prix de lourds sacrifices », en évoquant l’histoire de l’Algérie qui s’est toujours construite « dans un contexte économique et sécuritaire défavorable ».

Panique virale

Brahim, transformateur de viande importée, raconte à MEE : « Si la situation n’était pas si grave, j’aurais presque envie de rire. Mais je n’ai pas fermé l’œil de la nuit parce qu’hier soir, j’ai vu passer sur un média électronique une note du Premier ministre instruisant les Douanes de supprimer ‘’l’ensemble des franchises’’, c’est à dire les avantages douaniers sur les produits importés. Pour moi, ça veut dire une hausse d’environ 40 % sur mes produits. De quoi détruire tout ce que j’ai construit depuis des années. »

La panique qui a suivi la diffusion de cette note a été virale. « Certaines entreprises ont convoqué leur conseil d’administration pour réétudier sans tarder les perspectives de marché, d’autres ont mis sur pied des équipes spéciales pour réévaluer les coûts de production, d’autres sont parties directement au port pour retirer leur marchandise », confie un autre chef d’entreprise à MEE.

« Et malgré cette pagaille, le pouvoir n’a pas cru nécessaire de démentir ou de communiquer clairement, du coup, on ne sait toujours pas à quoi s’en tenir, c’est terrifiant. »

Affrontement entre deux courants au pouvoir

Un entrepreneur d’Oran, dont la marchandise est restée subitement bloquée plusieurs semaines au port après la décision du gouvernement de limiter les importations, résume à MEE : « En fait, on ne comprend plus rien. Des décisions sont prises mais personne n’est tenu au courant. Ce n’est pas comme ça qu’on va redresser l’économie. »

Une note du Premier ministre sur la suppression des avantages douaniers à l'importation a créé la panique dans les milieux économiques (MEE/Adlène Meddi)

Pour Slim Othmani, PDG de la Nouvelle conserverie algérienne (leader des jus de fruits), l’économie subit les conséquences « d’un affrontement entre deux courants au pouvoir : celui des ultraconservateurs qui souhaitent le statu quo, et celui des modernistes, qui proposent des solutions pour sortir de la crise. » Notamment, le recours à l’endettement extérieur, un ciblage des subventions vers les classes sociales qui en ont vraiment besoin, et la révision de la règle du 49/51 (obligeant un investisseur étranger à prendre un partenaire algérien majoritaire dans son conseil d’administration) pour encourager les investissements directs à l’étranger.

Le capitaine d’industrie, aussi président du Cercle d’action et de réflexion autour de l'entreprise, affirme que les décisions sont prises « sans que personne ne réfléchisse à leur impact. Sur le pouvoir d’achat, d’abord, car les taxes se répercuteront forcément sur les prix. Ensuite, sur la compétitivité. Parce que si un chef d’entreprise paye plus cher ses intrants, il sera moins concurrentiel et cela affectera directement nos exportations ».

Invité de son think tank la semaine dernière, l’ex-ministre des Finances Abdellatif Benachenhou a insisté : « Il faudra que l’on arrive à vivre avec un baril de pétrole à 50 dollars. Nous devons aussi tirer les leçons de l’histoire pour ne pas gérer la crise comme nous l’avons fait dans les années 1990 ». À cette époque, le FMI avait contraint l’Algérie à un programme d’austérité très dur en contrepartie d’un rééchelonnement de la dette extérieure.

« Mais quand j’entends les responsables parler comme s’ils étaient persuadés que le prix du pétrole allait remonter, je suis très préoccupé », a confié l’ancien ministre.

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