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En Cisjordanie, un faux pas et vous êtes mort

Les Israéliens les ont pris pour des terroristes. Les Palestiniens expliquent qu’ils ne trouvaient pas leur chemin. Mais aucune enquête n’a été ouverte sur la mort de deux Palestiniens survenue à Qalandia
Des affiches d’Ibrahim et de Maram Abu Ismail placardées sur les murs du village de Katana en Cisjordanie (MEE / Abed al-Qaisi)

KATANA, Cisjordanie – Deux Palestiniens se dirigeaient vers le poste de contrôle à Qalandia, quand, pour une raison que l’on ignore, ils ont tourné en direction de la zone réservée aux véhicules. Les Israéliens ont brandi des armes à feu, ont vociféré des mises en garde, un objet a été lancé. En un instant, le bruit d’une arme à feu s’est fait entendre et les deux Palestiniens gisaient au sol déjà morts ou en passe de succomber.

Selon Israël, Maram Salih Hassan Abu Ismail, âgée de 24 ans, a lancé un couteau en direction des gardes du poste de contrôle, qui ont répliqué avec une force mortelle, laissant la jeune fille pour morte ainsi que son frère de 15 ans, prénommé Ibrahim. Israël a qualifié les deux victimes de « terroristes ». 

La police israélienne a posté sur Twitter la photo de trois couteaux qu’ils disent avoir retrouvés sur la scène après l’attaque.

Mais pour les témoins palestiniens, les faits relatés ne sauraient être plus éloignés de la réalité. Selon eux, Maram qui se rendait à Jérusalem pour consulter un médecin spécialiste, ne comprenait pas dans quelle direction aller pour passer le poste de contrôle, ce qui aurait causé sa mort.

Les témoins palestiniens affirment que l’objet qu’elle a lancé n’était pas un couteau, mais des documents médicaux.

Dans le contexte explosif de la Cisjordanie - où des centaines de Palestiniens ont été tués depuis octobre alors qu’ils tentaient de poignarder des policiers ou des soldats israéliens - marcher dans la mauvaise direction peut s’avérer fatal.

Hyat Taha, la tante de Maram (MEE/Abed al-Qaisi)

La tante de Maram, Hyat Taha a dit avoir parlé à plusieurs témoins au poste de contrôle et avoir visionné les enregistrements vidéo de l’attaque.

Selon elle, Maram a tenté de pénétrer par erreur dans la zone de passage réservée aux véhicules, lorsque les soldats ont brandi leurs armes et lui ont crié de rebrousser chemin.

« Au poste de contrôle, les témoins ont rapporté que Maram levait les mains et tentait d’expliquer aux soldats qu’elle était entrée là par erreur. Elle s’est alors retrouvée avec des armes pointées sur elle. Puis, elle a glissé la main dans son sac pour en ressortir un dossier contenant des papiers qu’elle a lancé à la police frontalière, juste avant que celle-ci ouvre le feu », a déclaré Hyat.

Fatma, la mère des victimes, a indiqué que les documents que sa fille aurait eus entre les mains n’étaient autres que son dossier médical.

Et Fatma d’ajouter que sa fille s’était rendue au poste de contrôle accompagnée de son frère, après avoir été envoyée chez un spécialiste à Jérusalem par des médecins de Ramallah. La mère a précisé qu’elle avait des problèmes à une jambe.

La mère de Maram (gauche) réconfortée par sa cousine, Wasila Taha (MEE/Abed al Qaisi)

Selon des témoignages, Maram a été abattue par une douzaine de coups de feu, et son frère s’est fait tirer dessus alors qu’il courait à sa rencontre pour lui porter secours.

Des témoins ont dit avoir vu les deux corps gisant à terre pendant près d’une heure avant d’être déplacés. Alors que la fille de Fatma a succombé presque instantanément après avoir été touchée, il semblerait qu’Ibrahim se soit vidé de son sang avant de mourir.

Mais les autorités israéliennes n’ont pas répondu aux allégations des témoins palestiniens, et n’ont pas manifesté de volonté d’enquêter plus profondément sur la mort des victimes. 

Le récit du côté israélien est catégorique : « Les policiers et les gardes-frontières au poste de contrôle de Qalandia ont vu un garçon et une femme se diriger vers le passage réservé aux véhicules. La main de la femme était cachée dans un sac à main alors que celle du garçon tenait quelque chose derrière son dos.

« La police leur a ordonné de s’arrêter plusieurs fois, en vain. »

« La femme terroriste s’est arrêtée non loin des policiers, puis elle s’est dirigée, avec le garçon, dans la direction opposée. Après quoi elle s’est soudain retournée pour faire face aux policiers de nouveau, a sorti un couteau de son sac, puis l’a lancé en direction d’un policier qui se trouvait près d’elle. »

Et l’enquête de suivi qui a été menée s’est concentrée sur la famille des enfants décédés.

Selon Salih Abu Ismail, le père des victimes, les forces israéliennes lui ont demandé de se rendre au poste pour l’interroger quelques heures seulement après la fusillade. Ils l’ont retenu pendant trois heures.

« Ils n’arrêtaient pas de me demander si mes enfants avaient l’intention de poignarder des soldats, et si l’un ou l’autre avait un problème qui pourrait expliquer leurs actions. Moi, je répétais sans cesse que ma fille était malade et qu’on lui avait dit de se rendre au poste de contrôle pour aller consulter un médecin à Jérusalem », expliqua-t-il.

Les forces israéliennes ont également assuré au père que le corps de ses enfants lui serait rendu si la famille promettait de ne pas « causer de problèmes » aux forces israéliennes, ajouta-t-il. Cependant, il n’aurait pu dire à quel type de problème la famille aurait été confrontée. 

Des hommes réunis dans la salle de recueillement du village de Katana (MEE/Abed al Qaisi)

Dans les rues de leur village natal de Katana, de nouvelles affiches de la sœur et du frère tués côtoient le portrait usé du cousin de Maram, Yehya Yusri Taha. Ce jeune homme de 21 ans avait été abattu par balle dans le village en novembre dernier, au cours d’affrontements avec les forces israéliennes.

Les ONG locales et internationales, ainsi que l’organisation des Nations unies et plusieurs pays membres ont remis en cause le traitement qu’Israël réserve aux éventuels attaquants palestiniens, qualifiant le meurtre de certains Palestiniens par les forces israéliennes d’« exécutions sommaires ».

La mère du défunt Yehya, Wasila Taha est venue réconforter la famille de Maram et Ibrahim lors du rassemblement du cortège funéraire.

Cette dernière faisait valoir que son fils, qui de toute évidence avait été tué au cours d’affrontements, avait été exonéré de tout soupçon, elle souhaitait donc l’ouverture d’une enquête sur les dernières exécutions ayant eu lieu au poste de contrôle de Qalandia, afin de prouver que les deux victimes n’avaient rien fait de mal non plus.

Et la mère de s’interroger : « Pour nous, il s’agit manifestement d’un homicide. Maram venait de quitter l’hôpital, accompagnée de son frère de 15 ans. Qu’aurait-elle fait en possession d’un couteau à ce moment-là ? »

« Maram avait deux enfants en bas âge. Toute cette histoire d’agression à l’arme blanche ne tient pas debout. »

Les deux filles de Maram Abu Ismail (MEE/Abed al-Qaisi)

Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.

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