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En France, les musulmans se convertissent au bio

En France, le bio gagne aussi les produits halal. Plus qu’une tendance de consommation, il est devenu un style de vie pour des musulmans en quête de sens, sur fond de valeurs religieuses
En France, le marché halal pèserait environ 5,5 milliards d’euros (AFP)

PARIS – Consommer sainement, et surtout bio, est une préoccupation de plus en plus grande pour la communauté musulmane en France. Quelques commerçants spécialisés dans le halal ont choisi de sauter le pas et de passer au tout bio. 

C’est l’exemple de Karim et Slim Loumi. Ces frères jumeaux, ont ouvert en 2010 la première boucherie halal et bio « Les Jumeaux » aux Lilas, une commune aux portes de Paris.

« On veille à ce que les bêtes ne soient pas tuées à la chaîne avec les autres »

- Karim, boucher aux Lilas

Le bio est « une conviction » revendique Karim Loumi à Middle East Eye. « On n’était pas très content des bouchers qu’on trouvait sur les marchés. On a décidé d’ouvrir notre propre boucherie selon nos principes », explique ce passionné de viande rouge. 

Mais les débuts n’étaient pas faciles pour les jumeaux, soucieux de la bonne qualité de viande. « Dès qu’on a voulu faire de la viande qualitative, on a rencontré des grandes difficultés. Cette viande n’était pas au programme des abattoirs et des fournisseurs, car pour eux le halal est un produit basique, bas de gamme », se souvient Karim. 

Karim et Slim Loumi, frères jumeaux, ont ouvert en 2010 la première boucherie halal et bio aux Lilas, aux portes de Paris (MEE/Safa Bannani)

Les jumeaux n’ont pas baissé les bras et ont trouvé une alternative. « On a donc commencé à faire nous-même du bœuf bio avec un seul fournisseur, ensuite on a mis en place des abattages bio et halal pour les autres variétés de viande », raconte Karim.

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Les deux frères puisent leur inspiration dans leur éthique religieuse, qui exige le respect de l’animal. « On veille à ce que les bêtes ne soient pas tuées à la chaîne avec les autres, et donc sacrifiées le plus rapidement possible pour leur éviter stress et souffrance. On vient même visiter les abattoirs pour s'en assurer », insiste Karim. 

« On est en train de faire un travail de conscientisation à long terme pour banaliser le halal bio ». Cet artisan boucher veut convertir au bio bien au-delà de sa communauté religieuse. « Notre boucherie est ouverte à tout le monde », revendique Karim, fier de compter comme clients réguliers des « athées, chrétiens et hindous ».

« Prendre soin de ma santé, un devoir religieux »

Il faut dire que le marché halal en France, même s’il est peu structuré, se porte bien : l’institut de sondage Ifop et l’institut Montaigne ont recensé que 70 % de la population musulmane, de quatre à cinq millions de personnes, achète « toujours » de la viande halal. Une étude du cabinet Solis réalisée en 2010 estime que ce marché pèserait environ 5,5 milliards d’euros et que son expansion rapide serait d’environ 10 % par an. 

Le coût encore élevé du bio ne serait en tout cas pas rédhibitoire à cette croissance, car il ne freine plus les consommateurs musulmans issus de milieux populaires, à l’instar d’Amal. Cette maman de deux filles, habitante de Seine-Saint-Denis, est adepte du bio depuis dix ans. « Je cible surtout les fruits et légumes, trop traités chimiquement, et je les achète au rayon bio », explique-t-elle en poursuivant : « L'achat groupé est aussi un moyen pour réduire le coût du bio. Cela fait quatre ans que j'achète mes produits en achat groupé auprès d'une famille qui va toutes les deux semaines au marché de Rungis [le plus grand marché de produits frais dans la région parisienne], au pavillon bio, là où tous les magasins et grandes surfaces se fournissent ». 

La maman de 35 ans est bloggeuse et gère une page Facebook, « Easy and healthy by Oum Noussayba », où elle partage des recettes saines et des bons plans bio. Pour Amal, c’est sa foi musulmane qui l’a motivée à opter pour ce style de vie. « Prendre soin de ma santé et celui de mes deux filles est une recommandation religieuse. C’est un dépôt de mon créateur, il faut donc que j’en prenne soin », revendique-t-elle.

Mais l’engouement pour ce mode de vie bio va bien au-delà de la consommation au sein de la communauté musulmane en France. L’îlot des Combes en est un exemple emblématique. 

Avec deux bâtiments sur environ deux hectares, ce centre agro-écologique situé au Creusot propose un gîte, une microferme en permaculture et une cuisine pédagogique. Ses visiteurs, souvent urbains, y séjournent pour renouer avec la nature notamment à travers des activités agricoles. 

Le respect de la nature, une éthique commune 

Jean-Philippe, gérant du centre, accueille « un grand public, des enfants, des adultes et des associations, dans l’idée de les sensibiliser aux alternatives à la société de consommation ». 

« L’îlot des Combes accueille des personnes de toutes les confessions »

- Jean-Philippe, gérant de L’îlot des Combes

« À l’îlot des Combes, on essaye de montrer qu’avec nos actes au quotidien, en changeant notre manière de cuisiner, en apprenant à fabriquer nos savons par exemple, on peut apprendre concrètement à respecter la nature et la préserver », explique-t-il à MEE.

L’éthique musulmane est clairement une inspiration pour Jean-Philippe et son îlot des Combes. Un projet conçu par des musulmans convaincus que « la nature a une place très importante en islam, ainsi que le devoir de la protéger. » 

Jean-Philippe, gérant de L’îlot des Combes, prépare du compost (MEE/Safa Bannani)

Sur le site de l’association, figure une parole du prophète Mohamed : « Si le monde est sur le point de disparaître alors que vous pouvez planter un arbre, faites-le ! ». Une conviction d’un islam écolo que l’association veut diffuser au sein de la communauté musulmane. « Une bonne partie de la communauté musulmane n’a pas comme préoccupation principale la préservation de la nature. Notre projet a voulu sensibiliser cette partie de la communauté à cette relation de bienveillance vis-à-vis de la nature », précise-t-il.

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Un projet avant tout écologique et ouvert à tous. « L’îlot des Combes accueille des personnes de toutes les confessions, qui dans leur diversité, se réunissent autour de la nature et du bien-être », explique Jean-Philippe.

Le gérant de ce centre agro-écologique se félicite d’avoir « réussi à créer des liens entre des personnes de différents horizons qui partagent une éthique commune qui est le respect de la nature ». Des liens universels dont « on a vraiment besoin par les temps qui courent », revendique-t-il.

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