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La bonne action d’un commerçant gazaoui déclenche une campagne d’annulation de dettes

Pour contrer une économie accablante, les habitants de Gaza s’entraident en annulant des dettes, et bien plus encore
Propriétaire d’une boutique de chaussures dans la bande de Gaza, Osama Abudalal a décidé d’annuler toutes les dettes contractées à son endroit (MEE/Maha Hussaini)

BANDE DE GAZA – Osama Abudalal, propriétaire d’une boutique de chaussures dans le camp de réfugiés gazaoui de Deir al-Balah, a décidé de commencer 2018 en annulant toutes les dettes contractées à son endroit.

« Je ne peux pas voir le niveau de pauvreté atteindre son sommet au sein de ma société et fermer les yeux. Je connais beaucoup de pères qui rentrent tard chez eux, après que leurs enfants se sont endormis, parce qu’ils se sentent impuissants face à leurs besoins croissants », a déclaré Abudalal à Middle East Eye.

Si les journalistes locaux estiment qu’Osama Abudalal a annulé environ 102 000 shekels (environ 24 000 euros) de dettes, le commerçant se montre très réservé au sujet du montant (MEE/Maha Hussaini)

Une publication sur Facebook annonçant sa décision a rapidement pris de l’ampleur, encourageant des centaines d’autres à lui emboîter le pas.

« La somme des dettes que j’ai annulées équivaut à la somme d’argent que j’ai gagnée depuis que j’ai commencé à travailler à l’âge de 18 ans », a confié ce jeune homme de 33 ans à MEE tout en feuilletant un carnet répertoriant les montants annulés. 

« Je ne peux pas voir le niveau de pauvreté atteindre son sommet au sein de ma société et fermer les yeux »

– Osama Abudalal, propriétaire d’une boutique de chaussures

Si les journalistes locaux estiment qu’Abudalal a annulé environ 102 000 shekels (environ 24 000 euros) de dettes, ce dernier se montre très réservé au sujet du montant.

« Même mon épouse ne le connaît pas, je préfère le garder pour moi », a-t-il affirmé. 

Abu Muhammed, âgé de 35 ans et père de quatre enfants, vit dans un appartement à Deir al-Balah avec sa mère âgée.

Une semaine avant qu’Abudalal ait annoncé son intention d’annuler les dettes, Abu Muhammed avait acheté à ses enfants et ses neveux 700 shekels de chaussures (environ 164 euros) et promis de payer le montant le mois suivant.

Lorsqu’il a appris la nouvelle de l’annulation de ses dettes, il était ravi. 

« J’assistais à un mariage de famille quand mon cousin m’a dit que le magasin avait annulé mes dettes. C’était comme si j’assistais à deux mariages en même temps », a-t-il raconté à MEE, le sourire aux lèvres.

« Depuis les réductions des salaires en avril dernier, je me trouve dans l’incapacité de répondre aux besoins fondamentaux de ma famille. Selon vous, que peut faire un employé responsable de sept personnes avec 60 % d’un salaire qui était déjà insuffisant ? », a-t-il demandé, d’un ton sarcastique.

Abu Muhammed, fonctionnaire, gagnait 1 550 shekels (environ 363 euros) par mois ; aujourd’hui, son salaire est de 900 shekels (environ 211 euros) par mois.

« Depuis les réductions des salaires en avril dernier, je me trouve dans l’incapacité de répondre aux besoins fondamentaux de ma famille »

– Abu Muhammed, fonctionnaire

En avril 2017, l’Autorité palestinienne (AP) a réduit de 30 % les salaires de 60 000 fonctionnaires à Gaza. Selon l’AP, cette diminution était due à une baisse de l’aide financière extérieure. Cette mesure a suscité des protestations et l’indignation de familles qui éprouvaient déjà des difficultés à s’en sortir dans la bande de Gaza appauvrie.

Depuis 2007, Israël étouffe la bande côtière avec un blocus suite à la prise de contrôle de Gaza par le Hamas face aux forces fidèles au président palestinien Mahmoud Abbas, un an après la victoire du groupe lors d’élections législatives. Selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, 38,8 % des habitants de Gaza vivent coincés sous le seuil de pauvreté – presque le double de la Cisjordanie – à cause du blocus israélien et de la fermeture continue des principaux postes frontaliers de la bande de Gaza avec Israël et l’Égypte.

« Pardonne et tu seras récompensé »

Deux heures après la publication du message d’Abudalal, celui-ci a fait l’objet d’une discussion sur Facebook parmi un groupe de jeunes journalistes et activistes.

Wael Jarwan, un journaliste de 33 ans, est l’un des coordinateurs de l’initiative (avec l’aimable autorisation de Wael Jarwan)

En quelques heures, le groupe de volontaires motivés a contacté des citoyens influents, discuté de l’initiative avec des dizaines de commerçants et lancé une campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag #سامح_تؤجر (« Pardonne et tu seras récompensé »).

« Tout comme le Tunisien Mohamed Bouazizi a déclenché une révolution dans son pays il y a six ans, nous voulions que l’initiative d’Abudalal suscite l’espoir à Gaza », a déclaré Wael Jarwan, journaliste âgé de 33 ans et l’un des coordinateurs de l’initiative.

« Je vis dans cet appartement depuis plus de deux ans maintenant, mais je n’ai pas payé le loyer depuis six mois »

– Ahmed, chauffeur de taxi

« Ce qui a contribué au succès et à la poursuite de l’initiative, c’est le formidable soutien que nous recevons de centaines de personnes, de boutiques, d’entreprises et même de partis politiques », a-t-il ajouté.

Alors que certains commerçants ont annulé des dettes équivalant à plusieurs milliers d’euros, d’autres ont fait don de nourriture, de vêtements, de médicaments, de repas chauds, de radiateurs et de couvertures d’hiver à des centaines de familles dans le besoin dans le cadre de la campagne.

En moins de deux semaines, les coordinateurs de l’initiative ont estimé que le montant total des dons et des dettes annulées s’élevait à 850 000 shekels (environ 199 000 euros).

En juillet 2017, un rapport des Nations unies a révélé que les conditions de vie de près de deux millions d’habitants – dont 1,3 million de réfugiés – s’aggravaient considérablement et que la bande de Gaza était devenue « invivable ».

« Je n’arrivais pas à dormir »

Alors que de fortes pluies et des crues éclair assaillent la bande de Gaza durant l’hiver, près de 560 000 personnes sont sous la menace d’un départ forcé de leur habitation en raison de mauvaises conditions de logement. Néanmoins, cette année, de nombreux propriétaires d’appartements ont renoncé à leurs arriérés de loyer dans le cadre de la campagne, ce qui a permis à des dizaines de familles à faible revenu de rester au chaud pendant les mois d’hiver.

Un Palestinien passe devant une clôture détruite lors d’une tempête dans la ville de Gaza, le 19 janvier 2018 (Mohammed Abed/AFP)

Ahmed, 42 ans, vit dans le camp de réfugiés d’al-Shati, dans l’ouest de la ville de Gaza, et travaille comme chauffeur de taxi. Il ne peut plus payer son loyer depuis six mois en raison d’une hausse des prix du carburant qui a fait grimper le litre d’essence à environ 6 shekels (environ 1,40 euro).

« Je suis si reconnaissant. Je vais pouvoir garder ma famille et mes enfants au chaud cet hiver »

– Ahmed, chauffeur de taxi

« Je vis dans cet appartement depuis plus de deux ans maintenant, mais je n’ai pas payé le loyer depuis six mois. J’étais tellement stressé que je n’arrivais pas à dormir la nuit », a-t-il confié.

Ahmed, qui doit payer un loyer mensuel de 500 shekels (environ 117 euros), affirme qu’il peut enfin pousser un soupir de soulagement suite à l’annulation de sa dette.

« Je suis si reconnaissant. Je vais pouvoir garder ma famille et mes enfants au chaud cet hiver. »

Au lendemain de l’offensive israélienne contre Gaza à l’été 2014, plus de 100 000 personnes sont devenues des déplacés internes en raison de la destruction totale ou partielle de leur habitation. Trois ans plus tard, 29 000 personnes (près de 6 300 familles) sont encore déplacées et vivent dans de mauvaises conditions.

Plus que des dettes annulées

Quelques jours après le lancement de la campagne, les coordinateurs ont été surpris de découvrir que des personnes et différents établissements trouvaient des moyens innovants et créatifs de « pardonner » après avoir été inspirés par l’initiative.

L’hôpital international al-Helou, situé dans l’ouest de la ville de Gaza, a annoncé que son centre de fertilité prévoyait d’effectuer gratuitement 120 traitements de fécondation in vitro en plus d’appliquer des réductions sur tous les services médicaux que de nombreuses familles n’ont pas les moyens de s’offrir. 

« J’étais tellement stressé que je n’arrivais pas à dormir la nuit » 

– Ahmed, chauffeur de taxi

Bien que les hôpitaux publics tels que celui d’al-Shifa offrent généralement des services médicaux essentiels gratuitement, ces établissements débordent toujours de patients et manquent de fournitures médicales et de matériel, ce qui oblige parfois les patients à attendre jusqu’à dix-huit mois avant d’être opérés.

Le secteur de la santé dans la bande de Gaza est au bord de l’effondrement : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne que 43 % des produits pharmaceutiques ne sont plus en stock et que des équipements de survie essentiels ne fonctionnent pas en raison de pénuries d’électricité. En outre, en moyenne, environ 50 % des patients qui formulent une demande de traitement médical à l’étranger font l’objet d’un refus.

Muhammed Seyam est un avocat de 25 ans qui délivre des services juridiques gratuits au cours de la campagne (avec l’aimable autorisation de Muhammed Seyam)

Tandis que l’initiative a été soutenue par des médecins, des journalistes, des commerçants et des partis politiques, des avocats ont également apporté leur soutien en offrant des services juridiques gratuits aux familles à faible revenu et aux jeunes sans emploi.

« J’ai pris part à cette campagne parce que la protection juridique ne doit jamais dépendre de la capacité de la personne à payer pour en bénéficier », a déclaré Muhammed Seyam, un avocat de 25 ans.

« Les gens d’ici ont été déçus par les responsables locaux et internationaux qui se montrent toujours incapables de prendre des mesures contre la punition collective infligée à deux millions de personnes vivant sous un blocus depuis plus d’une décennie », a soutenu Seyam.

« Il est temps pour eux d’agir eux-mêmes. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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