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La société civile syrienne lutte toujours six ans après le soulèvement

Bien que les idées fondatrices de la révolution soient menacées, les organisations de la société civile syrienne continuent de promouvoir la paix et l’égalité
Des hommes et des femmes posent avec leurs certificats après avoir terminé un cours de compétences avec l’organisation Baytna Syria de la société civile syrienne, dans l’est d’Alep (Photo fournie par Baytna Syria)

Un appareil photo et un téléphone portable sont les seules choses qu’Abdel Radman el-Khedr a pris avant de quitter sa maison à Alep. Les forces gouvernementales syriennes étaient sur le point de reprendre l’est d’Alep et il a été l’un des derniers activistes civils pris au piège dans la ville.

Ni le pilonnage, ni le bombardement ne l’ont surpris en sortant, parce qu’il s’était habitué aux bruits de la guerre.

« J’ai filmé les destructions », a-t-il déclaré à MEE depuis Azaz, une ville syrienne située à 32 kilomètres au nord d’Alep. « Les missiles [russes et du gouvernement syrien] sont conçus pour endommager les abris souterrains. Je voulais montrer au monde qui était responsable. »

Abdel Radman el-Khedr était membre du conseil local élu d’Alep, lequel visait à compenser l’absence des services publics. Durant une grande partie du siège d’Alep, il a moulu du blé et fourni de la farine aux boulangeries afin que les civils ne meurent pas de faim. Pour aider à soutenir les citoyens les plus vulnérables de la Syrie, il a également travaillé au Life Makers Center, qui fournissait une éducation, des conseils psychologiques et un soutien social aux enfants à Alep-est.

Bien qu’il ait failli être tué par une bombe à fragmentation lors de l’assaut sur l’est d’Alep et qu’il n’ait pu recevoir de soins médicaux pour ses blessures causées par des éclats d’obus en raison de la destruction de nombreux hôpitaux, Abdel Radman s’accroche encore à l’espoir d’un avenir meilleur.

Abdel Radman travaille maintenant comme journaliste militant à Azaz tout en étant membre du conseil local.

« Nous essayons de protéger les gens des conséquences de la guerre », a-t-il déclaré. « La plupart d’entre nous n’ont pas de travail et les bombardements se poursuivent. Nous avons besoin de stabilité », a-t-il ajouté.

« Nous essayons de protéger les gens des conséquences de la guerre » – Abdel Radman el-Khedr, membre du conseil local d’Alep

En décembre, Abdel Radman figurait parmi les milliers de civils contraints d’évacuer la ville qui était la sienne.

La chute d’Alep a porté un coup dur à la société civile syrienne puisque la plupart des organisations sont incapables d’opérer librement dans les zones contrôlées par le gouvernement. Depuis que le père de Bachar al-Assad, Hafez, a pris le pouvoir en 1970, les organisations de la société civile ont été interdites ou soumises à un contrôle strict.

Le soulèvement syrien a néanmoins été un catalyseur pour la croissance rapide de ces groupes qui se sont multipliés davantage en six ans de conflit qu’ils ne l’ont fait en quatre décennies de régime assadiste. Il existe aujourd’hui plus d’une centaine d’organisations de la société civile opérant à Alep, mais leur flexibilité est limitée. Chaque action des organisations doit être approuvée et aucune n’est autorisée à défier le gouvernement. Toute interaction avec les groupes de secours dans les zones d’opposition est également interdite, selon plusieurs activistes qui ont parlé à MEE.

Alors que les forces gouvernementales et les groupes radicaux contrôlent désormais les grandes villes, la société civile lutte pour rester pertinente puisqu’un nombre toujours croissant d’activistes fuient leur pays déchiré par la guerre, tandis que d’autres travailleurs de la société civile ont disparu. La Société médicale syro-américaine (SAMS) a déclaré qu’elle avait perdu le contact avec 70 salariés après que les loyalistes ont pris le contrôle d’Alep-est.

« Certains [de nos salariés] ont fui vers les zones du régime et nous n’avons toujours aucune nouvelle d’eux », a déclaré le docteur Mohammad Katoub, un dentiste qui travaillait dans la Ghouta orientale et est aujourd’hui chargé de presse et de plaidoyer de SAMS en Turquie.

Enfants dans un centre de jeunes pendant les cours, à Deraa, en Syrie (Photo fournie par Baytna Syria)

Démocratie et aide

Space of Hope, une organisation qui travaillait dans l’est d’Alep pendant le siège, a été créée par un groupe d’étudiants de l’université d’Alep au début de l’euphorie de la révolution.

Hiba Brais, coordinatrice de la protection pour Space of Hope, a déclaré que l’une de leurs premières initiatives consistait à recueillir des dons de Syriens vivant à l’étranger pour aider les habitants piégés dans la ville de Homs. En outre, l’organisation a soutenu les veuves qui ont perdu leurs maris dans la guerre.

Les activistes syriens qui composent l’équipe ont depuis obtenu le financement de plusieurs donateurs internationaux – dont l’Unicef et la Société allemande pour la coopération internationale (GIZ) – afin de diriger des centres de protection et des écoles dans toute la Syrie.

« En 2012, nous ne savions pas qu’il existait ce concept de "société civile". Nous prenions juste des initiatives. Nous ne savions pas que nous devions créer des administrations, rédiger des propositions et chercher des donateurs », a déclaré Hiba Brais à MEE lors d’un appel Skype depuis son bureau de Gaziantep.

« Nous essayions juste d’aider les gens », a-t-elle affirmé.

Monther Etaky a travaillé avec Space of Hope dans l’est d’Alep jusqu’en octobre de l’année dernière. À cette époque, le siège paralysait la ville, ce qui l’a amené à partir et à s’occuper de sa famille.

« J’ai continué à coopérer avec Space of Hope », a-t-il précisé. « Ils m’ont soutenu pour ouvrir un studio d’enregistrement souterrain [pour produire des vidéos documentant les violations des droits de l’homme en Syrie]. J’ai ouvert les portes du studio pendant l’offensive afin que les familles puissent se cacher », a-t-il ajouté.

Monther et sa famille ont finalement été évacués vers Idleb où ils sont restés pendant trois mois. Pourtant, Monther était réticent à mener des opérations de secours là-bas en raison des frappes aériennes constantes. Il y a deux semaines, la situation s’est stabilisée et il a réussi à faire passer sa famille en Turquie.

Idleb est contrôlé par Hayat Tahrir Al-Sham (HTS), qui a été formé en janvier après que le groupe militant Jabhat Fateh al-Sham a englobé plusieurs autres factions radicales dans la ville. HTS a systématiquement tenté d’imposer ses propres programmes scolaires et coutumes, minant les conseils civils dans la province.

En raison du problème de sécurité, Space of Hope évalue encore si oui ou non elle peut dispenser une éducation à Idleb sans être contrainte de soumettre les enfants à des croyances sectaires, politiques ou religieuses.

Des enfants jouent avec des cerfs-volants dans un centre de jeunes à Deraa, en Syrie (Photo fournie par Baytna Syria)

« Nous ne favorisons aucune idéologie ou religion dans la salle de classe », a déclaré Hiba Brais. « Nous croyons en la révolution, mais nous ne pouvons pas forcer les enfants à partager notre cause », a-t-elle ajouté.

« Nous ne favorisons aucune idéologie ou religion dans la salle de classe » – Hiba Brais, coordonnatrice de la protection pour Space of Hope

Baytna Syria (qui signifie Syrie notre foyer) est un autre groupe de la société civile qui se compose d’un personnel exclusivement syrien basé dans la ville turque de Gaziantep et qui finance et surveille des projets en Syrie. Il a été créé en 2013, grâce au soutien du gouvernement danois.

Le dernier projet que Baytna Syria a financé était à l’est d’Alep où elle a poursuivi ses activités jusqu’en octobre 2016, soit deux mois avant que les forces d’Assad ne prennent le contrôle de la région. Ils ont maintenant déplacé leurs opérations dans la campagne du nord et du sud d’Alep.

« Nous envisageons également des projets à Idleb et dans la Ghouta orientale. Notre plus grande interrogation concerne la Ghouta orientale parce que nous craignons que le régime ne réalise sa prochaine attaque majeure là-bas », a déclaré à MEE le directeur exécutif de Baytna Syria, Assad al-Achi.

La Ghouta orientale est l’une des 39 zones actuellement assiégées – en grande majorité imposés par les forces et les militants soutenant Assad. Ces zones sont constamment bombardées et les travailleurs de la société civile luttent pour préserver la vie de la population.

Salah al-Ashkar, le responsable du suivi de Baytna Syria, a déclaré que la plupart des projets étaient conçus pour offrir aux enfants des espaces conviviaux et des cours éducatifs qui autonomisent à la fois les femmes et les hommes.

« Nous avions un projet appelé Sport Kid pour enseigner les arts martiaux [aux enfants] et leur fournir un terrain de football pour jouer », a déclaré Salah al-Ashkar, qui est désormais à Gaziantep. « Nous avons également financé des projets qui dispensaient des cours d’anglais et d’informatique à des hommes, des femmes et des enfants », a-t-il ajouté.

Assad al-Achi a souligné que Baytna Syria n’avait pas de bureau à Alep-est : il était jugé plus sûr pour les salariés de travailler de chez eux pour éviter d’être pris pour cible.

« Nous faisons toujours attention à l’endroit où nous travaillons, aux programmes que nous soutenons et à leur durée », a déclaré Assad sur Skype depuis son bureau de Gaziantep.

Fuir Alep

Salah al-Ashkar, de Baytna Syria, a à peine survécu à la chute de l’est d’Alep. Lorsqu’il a appris que les forces gouvernementales avançaient vers son quartier, il a rapidement emballé quelques affaires et a fui. Des heures plus tard, sa maison a été bombardée et ses voisins ont été tués.

« Je savais que je n’aurais pas le même degré de liberté à Idleb qu’à Alep. J’aurais eu beaucoup de différends et de problèmes avec [des groupes armés] » – Salah al-Ashkar, agent de surveillance de Baytna Syria

Selon lui, il faisait partie des milliers de personnes qui ont dormi dehors pendant des jours jusqu’à l’embarquement dans un bus d’évacuation à destination d’Idleb. Là-bas, l’idée de travailler comme photographe pour Baytna Syria lui a traversé l’esprit, comme le groupe avait déjà un agent de surveillance dans la ville. Mais Salah s’est rendu compte que ce n’était pas le meilleur chemin pour lui et a plutôt décidé de rejoindre son personnel à Gaziantep.

« Je savais que je n’aurais pas le même degré de liberté à Idleb qu’à Alep. J’aurais eu beaucoup de différends et de problèmes avec [des groupes armés] en essayant de travailler comme journaliste », a-t-il estimé.

Un homme soigné pour une insuffisance rénale à Douma, en Syrie (Photo fournie par le Douma Medical Office)

Un avenir incertain

Alors que les forces d’Assad et les militants renforcent leur emprise sur la Syrie, il est clair que les idées fondatrices de la révolution sont menacées.

« Les groupes de la société civile travaillent pour la paix, la stabilité et un avenir démocratique pour la Syrie. Ils sont la dernière ligne de défense pour que notre pays mène à bien ces trois missions » – Assad al-Achi, directeur exécutif de Baytna Syria

« Les groupes de la société civile travaillent pour la paix, la stabilité et un avenir démocratique pour la Syrie. Ils sont la dernière ligne de défense pour que notre pays mène à bien ces trois missions », a déclaré Assad al-Achi.

Il n’est pas certain que la stabilité soit suffisante pour protéger la société civile, à la place des forces de Bachar al-Assad semblent être solidement ancrées au pouvoir.

Aujourd’hui, les civils pensent simplement à comment survivre, a expliqué Hiba Brais. On peut en dire autant de la société civile syrienne dans leur lutte continue contre les risques.

« Tant qu’il existera le moindre pan de territoire libéré, nous ne cesserons de fournir des services à notre peuple », a déclaré Hiba Brais. « Nous soutiendrons notre peuple jusqu’à la fin. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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