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Liban : une loi électorale en trompe l’œil

En théorie, le passage à la proportionnelle garantit la percée de nouvelles forces politiques au Parlement libanais. Mais dans le détail, la nouvelle mouture consacre malgré tout le vote communautaire
Affiches de campagne pour les prochaines élections parlementaires, prévues le 6 mai, dans la capitale libanaise Beyrouth (AFP)

Après des années d’attente, le Liban adoptait il y a un an une nouvelle loi électorale, enterrant le mode majoritaire en vigueur depuis 1960. Le 6 mai prochain, les 128 députés du Parlement seront élus selon un système basé, dans les grandes lignes, sur la proportionnelle.

Avec ce changement majeur, de nouvelles formations politiques espèrent concurrencer dans les urnes les grands partis traditionnels et faire ainsi leur entrée à la Chambre.

« Avant, le vainqueur remportait toute la mise. Si un candidat obtenait 50 % des votes plus une voix, il récupérait l’ensemble des sièges de la circonscription. Avec la proportionnelle, une liste qui reçoit 20 % des votes est certaine d’avoir 20 % des sièges », explique Elias Abou Mrad, membre du Mouvement de citoyenneté, une formation politique indépendante qui ne se présente pas aux élections.

Cette brèche a poussé de nouveaux visages à se lancer dans la bataille électorale.

« Cela a bien libéré la parole politique et permis de démultiplier l’offre au Liban », observe le politologue Karim El Mufti. Au total, plus d’une quinzaine de listes sur 77 sont composées d’indépendants ou de mouvements politiques de la société civile qui se sont lancés dans la campagne.

Vote préférentiel, un outil à double tranchant

La loi adoptée prévoit également un vote préférentiel facultatif. Concrètement, au moment de voter, l’électeur se prononce pour une liste mais coche aussi au sein de celle-ci le nom du candidat auquel va sa préférence.

« Si aujourd’hui, la loi n’impose pas le vote communautaire, le fait que le vote préférentiel soit limité à la région d’origine encourage le citoyen à choisir quelqu’un de son groupe communautaire. Dans le contexte culturel politique libanais, cela risque de renforcer le sectarisme politique et le clientélisme »

- Karim El Mufti, politologue

Pour Karim El Mufti, cette option donne « un poids réel aux électeurs ».  

« Il n’y a de première ou de deuxième position comme en Allemagne, par exemple. Cela redonne un peu de souveraineté populaire aux gens, qui façonnent eux même le résultat final de la liste gagnante. C’est pour cela que beaucoup de groupes font actuellement campagne sur un nom, car le vote préférentiel est très tentant à capter », relève l’expert.

Avec un bémol. Le vote préférentiel ne peut être accordé qu’à un candidat se présentant dans le caza où est inscrit l’électeur (la carte électorale est découpée en circonscriptions qui, dans certains cas, comprennent des sous-régions appelées caza).

Session parlementaire à Beyrouth le 9 octobre 2017 (Reuters)

« C’est une manière indirecte de consolider le vote de l’électeur à un candidat de sa communauté. Si aujourd’hui, la loi n’impose pas le vote communautaire, le fait que le vote préférentiel soit limité à la région d’origine encourage le citoyen à choisir quelqu’un de son groupe communautaire. Dans le contexte culturel politique libanais, cela risque de renforcer le sectarisme politique et le clientélisme », estime Karim El Mufti.  

La logique communautaire l’emporte toujours  

La nouvelle loi ne rompt pas de surcroît avec le système de répartition confessionnelle qui prévalait avec le mode majoritaire.

Au Parlement, l’attribution des sièges obéit à un strict partage communautaire. Chaque liste comprend un éventail de candidats représentatifs du tissu confessionnel propre à chaque circonscription électorale.

« Au final, on ne vote pas pour le meilleur mais pour le représentant de telle ou telle religion »

- Elias Abou Mrad, membre du Mouvement de citoyenneté

Par exemple à Beyrouth 1 – région à majorité chrétienne –, chaque liste de huit sièges est organisée comme suit : trois candidats arméniens orthodoxes, un arménien-catholique, un maronite, un grec-orthodoxe, un grec-catholique et un pour les minorités.

« La loi crée de mauvaises dynamiques au niveau des listes et des élections en général, déplore Elias Abou Mrad. Les formations politiques sont censées former des équipes avec des personnes ayant une vision commune. Or, les critères confessionnels éloigne de facto la loi de la proportionnelle vers des pratiques similaires à l’ancien système majoritaire ».

Au moment du décompte, certains candidats peuvent par ailleurs se voir disqualifiés au profit d’autres compétiteurs ayant pourtant obtenu un score moins important.

« Si, par exemple, il reste un siège chrétien à pourvoir, celui-ci sera attribué à un candidat chrétien au détriment d’un candidat d’une autre confession même si ce dernier a eu plus de votes préférentiels. Au final, on ne vote pas pour le meilleur mais pour le représentant de telle ou telle religion », poursuit Elias Abou Mrad.

À LIRE : Liban : le Hezbollah peut-il contrôler le prochain Parlement ?

Enfin, avec cette loi, les candidats ne sont pas tous égaux puisque le seuil d’éligibilité – qui fixe le score en dessous duquel une liste est disqualifiée – varie drastiquement d’une circonscription à l’autre. 

« Le quotient électoral tourne autour de 20 % dans la région de Saïda/Jezzine et de 9 % à Beyrouth », constate Elias Abou Mrad. « En général, dans la plupart des systèmes électoraux de par le monde, le quotient électoral est standardisé, oscillant entre 5 et 10 % ».

« La loi remet à l’ordre du jour un découpage de circonscriptions qui nous ramène aux heures les plus sombres de l’histoire »

- Karim El Mufti, politologue

Le nombre de circonscriptions électorales passe lui de 26 à 15. La capitale libanaise est par exemple divisée en deux circonscriptions – Beyrouth 1 et 2 (contre trois auparavant) –, rappelant la délimitation durant la guerre civile entre le Beyrouth-Est chrétien d’un côté et le Beyrouth-Ouest musulman de l’autre.

Là encore le découpage suit une logique confessionnelle. Karim El Mufti : « La loi remet à l’ordre du jour un découpage de circonscriptions qui nous ramène aux heures les plus sombres de l’histoire. La dynamique électorale aurait pu être différente si Beyrouth avait été une seule circonscription ».  

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