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Maroc : le mouvement de la permaculture se développe malgré les pressions

De plus en plus de jardiniers et d’agriculteurs pratiquent la permaculture, une approche de l’agriculture qui encourage le développement durable
Ahmed Ayad, agriculteur biologique, fait sécher des piments frais au soleil pour l’hiver (MEE/Matthew Greene)

TÉTOUAN, Maroc – Le sentier de pneus recyclés et de bûches de bois qui monte la colline serpente entre figuiers, oliviers et grenadiers, passant devant des buissons de cactus et un assortiment dispersé de fleurs et d’herbes. Bien que le jardin ne semble pas refléter des années de planification réfléchie et de travail, tout ici a été planté à dessein.

« La moindre parcelle de terre ici a sa propre histoire », explique Farida Alluch, conceptrice certifiée de permaculture, à propos de son jardin privé à Tétouan, au nord du Maroc.

« Ici, vous nettoyez la vaisselle avec plaisir en sachant que vous arrosez les plantes », explique Farida Alluch, conceptrice certifiée de permaculture (MEE/Matthew Greene)

Alluch fait partie d’un mouvement en plein essor de jardiniers et d’agriculteurs de la région du Rif, au Maroc, qui pratiquent la permaculture – une approche de l’agriculture qui encourage à travailler avec, plutôt que contre, la nature, et où l’accent est mis sur le développement durable.

Développée dans les années 1970 par les biologistes australiens Bill Mollison et David Holmgren, la permaculture a vu sa popularité croître au Maroc, pays sujet à la sécheresse.

« Ici, vous nettoyez la vaisselle avec plaisir en sachant que vous arrosez les plantes »

- Farida Alluch, conceptrice de permaculture

Ce pays d’Afrique du Nord traverse actuellement une crise de l’eau due aux taux élevés de consommation et à la gestion inadéquate des ressources. Selon le World Resources Institute, le Maroc fait partie des pays qui devraient faire face, selon les prévisions, à des niveaux de stress hydrique « extrêmement élevés » d’ici à 2040. 

La météo imprévisible des derniers hivers contribue également à la sécheresse actuelle au Maroc. Le mois de novembre dernier a été le mois le plus sec de la saison des pluies hivernales qu’a connu le pays depuis plus de vingt ans.

Tâtonnements 

Bien qu’ayant étudié la sociologie, Alluch dit avoir « toujours été intéressée par l’idée de ‘‘verdir’’ le désert ». Elle a commencé par une carrière en développement de projets à la Banque mondiale qui l’a envoyée en mission en Érythrée, au Yémen et d’un bout à l’autre de l’Amérique latine, l’exposant aux questions liées au changement climatique et aux défis écologiques.

C’est en Érythrée qu’Alluch a découvert la permaculture pour la première fois. Quand elle a souhaité poursuivre cette activité plus sérieusement, elle est retournée dans sa ville natale de Tétouan, passant près de deux ans à examiner des terres à vendre avant de se décider pour son emplacement actuel.

Un jeune grenadier dans le jardin d’Alluch (MEE/Matthew Greene)

À l’époque, la propriété se composait « juste de quelques buissons et arbustes », décrit-elle en faisant visiter son jardin de devant.

Alluch a conçu une petite maison de style ranch, qu’elle a construite avec l’aide de voisins et d’amis. Elle a utilisé des matériaux principalement naturels provenant de la région, notamment des briques de boue séchées pour les murs et des roseaux de bambou pour la toiture. Ces matériaux conservent la fraicheur des lieux pendant les mois d’été et maintiennent la chaleur quand les températures commencent à baisser.

Elle a aussi installé seule un système de plomberie qui canalise le système d’évacuation des eaux de manière à irriguer certaines parties du jardin.

« Les vendeurs et les distributeurs de fruits et légumes veulent des produits parfaits. Ils n’accepteront pas les défauts »

- Farida Alluch, conceptrice de permaculture

« Ici, vous nettoyez la vaisselle avec plaisir en sachant que vous arrosez les plantes », dit-elle en riant.

Arrivée à ce stade, et malgré l’obtention d’un certificat de conception de permaculture en Argentine, elle est passée par une phase de tâtonnements. La première plante qu’elle a mise en terre était un bananier qui est mort quelques mois plus tard.

« C’était une bêtise. J’ai essayé d’apporter quelque chose à la terre au lieu d’inviter ce qui veut y venir. J’ai regardé ce que mes voisins cultivaient, et c’est là que j’ai commencé à voir des résultats », raconte-t-elle.

Les expérimentations continuent de façonner la manière dont Alluch aborde le jardinage. Elle est particulièrement attirée par les plantes aux caractéristiques adaptées aux climats arides, comme le moringa qu’elle a récemment acquis. La plante, endémique en Inde, est résistante à la sécheresse et produit naturellement de l’azote qui enrichit la terre.

Dans son jardin poussent des grenades, des olives, des figues, des oranges, de la menthe, de la verveine, des figuiers de barbarie, des tournesols, des oignons, de l’ail, des pommes de terre, des haricots et des légumineuses, ainsi que d’autres variétés de légumes. En ce moment, elle essaie de faire pousser une grenadille.

Les poules sont en liberté dans le village écologique d’Assilah (MEE/Matthew Greene)

Alluch évite les produits synthétiques tels que les engrais et les pesticides, une position partagée par de nombreux praticiens de la permaculture. Elle préfère à la place nourrir ses plantes avec des mélanges naturels ou « verts », qui se composent généralement de paille et de compost.

Pressions de l’industrie agricole

Quand elle explique cela à ses voisins agriculteurs, ils sont d’accord avec elle sur le principe, mais admettent que les pressions de l’industrie agricole marocaine sont telles qu’il est difficile d’en faire de même.

Beaucoup de ses voisins vivent de la culture du cannabis 

« Malheureusement, le marché impose aux agriculteurs la façon dont ils doivent travailler. Les vendeurs et les distributeurs de fruits et légumes veulent des produits parfaits. Ils n’accepteront pas les défauts », affirme Alluch.

Les membres de la communauté partagent toutefois son intérêt à apprendre des techniques simples de permaculture telles que le compostage ou le positionnement des plantations en vue d’accroître les rendements.

L’agriculture est la principale activité économique du village de Sidi el- Yamani (MEE/Matthew Greene)

Le Maroc met en place depuis près de dix ans un programme national de réforme agricole conçu pour maximiser la production alimentaire et promouvoir les exportations. Le ministère de l’Agriculture affirme que le programme améliorera les rendements, mais certains craignent que la réforme ne force à adopter un modèle d’agriculture intensive conformément aux désidératas des organisations internationales de développement et des grandes entreprises agroalimentaires.

Le programme, le Plan Maroc vert, est soutenu par des groupes tels que la Banque africaine de développement, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Banque mondiale et des sociétés d’engrais comme Maroc Samad.

Une partie du programme consiste à augmenter l’échelle des exploitations agricoles, mécaniser l’agriculture, améliorer les infrastructures (à savoir, les systèmes d’irrigation), utiliser plus d’engrais et faciliter le financement et les investissements des banques dans l’agriculture.

Le pays est le principal fournisseur nord-africain de fruits et légumes de l’Union européenne (UE), envoyant environ 60 % de ses exportations agricoles vers l’UE, et la demande devrait s’intensifier davantage dans les années à venir.

Une plus grande sècheresse

Dans la province de Chefchaouen, à 65 kilomètres au sud de Tétouan, l’agriculteur biologique Ahmed Ayad a observé l’impact de l’agriculture intensive tout autour de lui.

Beaucoup de ses voisins vivent de la culture du cannabis et dépendent des engrais et d’autres produits chimiques pour atteindre leurs objectifs de production. L’application de ces produits épuise cependant des quantités importantes des ressources hydriques de la région, en plus de dépouiller le sol d’une grande partie de sa valeur.

Le Maroc est le premier producteur mondial de cannabis et le principal fournisseur de cette drogue pour le marché européen. Alors que le gouvernement a réussi à éradiquer quelques cultures – qui restent légales dans certaines régions du Rif –, l’industrie est inadéquatement réglementée et continue de fournir leurs moyens de subsistance à environ un million de Marocains.

Ahmed Ayad, un agriculteur biologique de la région de Chefchaouen, a reçu le surnom d’« El Bio » (MEE/Matthew Greene)

Assis à une table basse installée sous un chêne, Ayad montre du doigt le bassin à moitié vide qui se trouve au fond de la vallée montagneuse. La saison des récoltes est terminée, mais les pluies ne sont pas encore venues reconstituer la cuve.

L’agriculture qu’il pratique aujourd’hui n’est pas lucrative pour lui et il est plus ou moins à la retraite. Il poursuit son travail agricole plus par passion que pour faire des affaires. Ayad explique qu’il s’est tourné vers l’agriculture biologique lorsqu’il a commencé à observer la météo irrégulière, la hausse des températures et la baisse des précipitations.

Désormais sur la fin de la cinquantaine, Ayad affirme que les conséquences de la sécheresse sont évidentes.

« Il y a moins d’eau dans cette zone qu’auparavant, au point que même les animaux se font plus rares »

- Ahmed Ayad, agriculteur biologique

« Il y a moins d’eau dans cette zone qu’auparavant, au point que même les animaux se font plus rares », observe-t-il.

Pour faire face aux conditions de sécheresse, Ayad se tourne vers le compostage pour l’enrichissement du sol. Il alterne l’usage de ses jardins pour prévenir l’épuisement des sols et a même créé le premier arroseur éolien de la région pour servir de système d’irrigation improvisé.

Ces techniques ont aidé Ayad à atteindre pratiquement l’autosuffisance alimentaire mais il ne vend aucun produit.

Il sèche et stocke les haricots, les fruits et les légumes cueillis dans son jardin pour les consommer pendant les mois d’hiver. C’est un exploit qu’il aime rappeler à ceux qui viennent visiter son exploitation, qui est également une « auberge écologique ». Le fils d’Ayad, Ibrahim, gère les réservations, favorisées par une publicité sur Airbnb. 

« Tout vient du jardin », déclare fièrement Ayad devant une assiette de tajine de légumes préparé plus tôt dans la journée.

Cultiver la scène

Le mode de vie d’Ayad – il n’utilise pas l’électricité – lui a valu dans le village le surnom d’« El Bio » et la réputation parmi ses voisins de jardiner « comme il se doit ». 

Certains de ses appareils comme la radio fonctionnent avec des piles, tandis qu’il utilise un brûleur à gaz pour l’éclairage du soir. Des objets tels que son téléphone portable sont maintenus en vie grâce à un chargeur solaire. 

Comme Ayad, Alluch a elle aussi suscité des discussions dans son quartier quand les gens ont remarqué ce qu’elle faisait.

« Ils posaient des questions du style ‘’Pourquoi achète-t-elle de la paille ? Elle n’a pas de vaches’’ », rapporte Alluch en souriant. « Je suis un peu un phénomène ici. »

Alluch accueille tous ceux qui posent des questions sur son jardin. Elle aime profiter de cet intérêt pour montrer aux visiteurs que la permaculture favorise un style de vie attentif, mais pas moins moderne.

« Tout ce que je veux faire, c’est exploiter leur curiosité. Ma porte est ouverte à tous ceux qui veulent entrer et voir ce qui se passe ici », dit-elle.

Alluch espère également qu’elle pourra initier les plus jeunes à la permaculture, comme son voisin Ali Fares, un fermier de 32 ans qu’elle persuade actuellement de suivre une formation en conception de permaculture. Des cours sont offerts dans les villes marocaines d’Essaouira et de Marrakech.

« Je me suis peu à peu intéressé à tout. Je voulais plus d’informations. Je partais marcher dans la forêt et je commençais à me poser des questions sur la relation entre ceci et cela. Tu ouvres les yeux sur ce qui se passe autour de toi », commente Fares.

Alors qu’Alluch enseigne les concepts de la permaculture de manière informelle, elle a l’ambition d’intégrer un volet éducatif plus structuré à son projet dans un avenir proche, d’autant qu’elle remarque que de plus en plus de professionnels urbains s’inquiètent des problèmes climatiques et de sécurité alimentaire.

Linsey Taylor-Auad, fondatrice du village écologique d’Assilah, indique que les concepts de conservation et de développement durable ne sont pas des idées radicales pour nombre de ses voisins à Sidi el-Yamani, un village situé près de la côte atlantique du nord-ouest du Maroc.

Un vitrail fabriqué à partir de bouteilles recyclées situé au-dessus d’un cadre de porte dans le village écologique d’Assilah (MEE/Matthew Greene)

Le village, fondé en 2014 et financé par les propres fonds de Taylor-Auad, s’inspire du style architectural traditionnel de la campagne anglaise et possède des aspects uniques, tels qu’une cabane d’hôtes construite à partir d’enrouleurs de câbles recyclés.

« D’après mon expérience, les habitants des zones rurales sont incroyablement ingénieux. Ils sont doués pour rafistoler et réparer à peu près tout, des vêtements aux appareils électroniques », explique Taylor-Auad. 

Taylor-Auad aimerait un jour inviter sur son site des artisans locaux pour des collaborations visant à enseigner aux volontaires et aux touristes l’artisanat traditionnel, comme le tissage, et à offrir des ateliers consacrés à la construction de maisons entièrement naturelles, aux chauffe-eaux solaires et à d’autres compétences en écoconstruction.

En bas de la rue, les voisins de Taylor-Auad, Ismael Jimenez et Nina Wagner, disent avoir besoin de toute l’aide qu’ils peuvent recevoir pour convertir les terres héritées de la famille de Jimenez en une ferme de permaculture et une maison d’hôtes.

Le couple, qui a initié son projet il y a trois ans, bénéficie des contributions et des conseils des ouvriers agricoles locaux.

« Nous découvrons de nombreuses possibilités en comparant et en combinant notre style avec leur approche », explique Wagner. 

Ayant appris surtout en lisant des livres de permaculture et en regardant des tutoriels en ligne, Jimenez et Wagner trouvent les encouragements dont ils ont bien besoin dans l’intérêt et l’aide qu’ils reçoivent des habitants du coin. Dans l’idéal, ils aimeraient voir leur projet inspirer les autres à faire de même. 

« Vraiment, n’importe qui peut faire de la permaculture », estime Jimenez.

Traduit de l’anglais (original) par Monique Gire.

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