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Pèlerins d’al-Aqsa : « Nous montrons que Jérusalem nous revient »

Certains Palestiniens chanceux ont pu aller prier à al-Aqsa lors de la plus sainte des nuits du Ramadan, Laylat al-Qadr, mais d’autres ont encore payé le prix de l’occupation
Des fidèles prient pendant la nuit de Laylat al-Qadr à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa (MEE/Elia Ghorbiah)

JÉRUSALEM – L’excitation a emporté Ramallah, ses marchés étouffant sous une circulation plus dense que d’habitude. Tous les minibus jaunes ont été pris d’assaut à leur arrivée tandis que les chauffeurs annonçaient : « Au check-point ! Au check-point ! »

Les gens ont soulevé leurs sacs, contenant leur pique-nique, et sont montés à bord – première étape de leur voyage vers Jérusalem.

Une femme lit le Coran pendant la sainte nuit de Laylat al-Qadr à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa (MEE/Elia Ghorbiah)

Mercredi soir, la 27e nuit du Ramadan, connue sous le nom de Laylat al-Qadr (la Nuit du Destin), est l’une des nuits les plus saintes du calendrier islamique. Elle marque la nuit où le Coran a été révélé pour la première fois au prophète Mohammed. Le Coran énonce que « c’est mieux qu’un millier de mois », ce qui représente plus qu’une vie pour beaucoup.

Selon la croyance, la prière serait particulièrement bénéfique cette nuit-là et c’est pourquoi des centaines de milliers de personnes se sont rendues à Jérusalem pour prier à la mosquée al-Aqsa, le troisième site le plus saint de l’islam. Cependant, dans un contexte de nouvelles restrictions à la liberté de mouvement imposées par les autorités israéliennes après une attaque à Jérusalem la semaine précédente et un sentiment persistant de peur, un nombre moins élevé de Palestiniens sont venus prier par rapport à l’année dernière.

La progression des pèlerins

Comme beaucoup de choses en Palestine, le pèlerinage est compliqué par l’occupation. Les Palestiniens de Cisjordanie ont généralement besoin d’une autorisation pour pénétrer dans Jérusalem-Est et, au-delà, Israël. Toutefois, pour le Ramadan, les autorités israéliennes ont assoupli certaines restrictions, délivrant à certaines personnes des autorisations pour aller prier à Jérusalem et laissant passer toutes les femmes et les hommes âgés de plus de 40 ans.

Un soldat israélien ordonne aux femmes de présenter leurs cartes d’identité pour franchir le check-point de Qalandia près de Ramallah (MEE/Elia Ghorbiah)

Par conséquent, le check-point de Qalandia, sur la route entre Ramallah et Jérusalem, était plus animé que d’ordinaire. Les embouteillages commençaient un kilomètre en amont, tandis qu’une foule de personnes descendait de taxis et d’autobus. Ce qui était habituellement la voie réservée aux véhicules au check-point était devenu l’entrée des femmes, où des groupes vêtus de longs manteaux et de hijabs défilaient. La police des frontières israélienne surplombait l’ensemble, perchée sur des blocs de béton, vigilante, fusils au poing.

« En dépit de toutes ces politiques, ces assassinats et ces colonies, nous irons toujours à Jérusalem » – Mowifuq Abu Khalil

À côté d’une fresque de Yasser Arafat noircie par le feu, Harbi Abu Mazen, originaire de Beita près de Naplouse, a déclaré à Middle East Eye qu’il se rendait à Jérusalem pour la première fois en dix-sept ans. « Je ne sais pas ce que je vais trouver là-bas », a-t-il déclaré. « J’emmène mon fils et ma fille avec moi, et ce sera leur première fois dans la ville. »

Une femme de Tulkarem, qui a préféré conserver l’anonymat, a confié qu’elle n’était pas allée à Jérusalem depuis quatre ans, et ses filles, depuis dix ans. « Je n’ai pas peur du check-point », a-t-elle précisé. « J’y vais avec mes filles. »

Par chance, il faisait frais pour un jour d’été, ce qui facilite les choses pour ceux qui jeûnent toute la journée, même si une forte brise soulevait la poussière et les ordures jetées par terre.

Mowafaq Abu Khalil, 62 ans, est venu de Tulkarem pour traverser le check-point de Qalandia près de Ramallah et prier pendant la nuit de Laylat al-Qadr à la mosquée al-Aqsa (MEE/Alaa Daraghmeh)

À l’entrée des hommes, Mowifuq Abu Khalil, âgé de 62 ans, a voulu insister sur l’importance de la présence des Palestiniens à Jérusalem. « Nous voulons montrer que Jérusalem nous revient et al-Aqsa nous revient », a-t-il déclaré. « En dépit de toutes ces politiques, ces assassinats et ces colonies, nous irons toujours à Jérusalem. »

Mesures désespérées

D’autres hommes, moins chanceux, se sont vu refuser le passage. On pouvait les voir s’affairer et murmurer avec d’autres malchanceux, cherchant une solution. Ahmed Qalaweh, de Jénine, était l’un d’eux. « J’ai essayé trois fois », a-t-il rapporté. « J’ai eu une autorisation pour rendre visite à de la famille en Israël, mais ils disent qu’elle a été révoquée. »

« Je suis vraiment triste de ne pas pouvoir leur rendre visite. J’essaierai d’y arriver par tous les moyens » – Ahmed Qalaweh, de Jénine

« Je suis vraiment triste de ne pas pouvoir leur rendre visite. J’essaierai d’y arriver par tous les moyens », a-t-il déclaré.

Suite à l’attaque mortelle du vendredi précédent à Jérusalem, au cours de laquelle une policière des frontières israélienne a été poignardée par trois assaillants palestiniens qui ont été abattus, le gouvernement israélien a annulé 250 000 de ces autorisations de visite familiale. Cette décision représentait, selon les Palestiniens et les groupes de défense des droits de l’homme, un exemple des mesures de punition collective qui suivent souvent les attaques.

Environ 300 000 personnes sont venues de toute la Palestine pour prier pendant la nuit de Laylat al-Qadr (MEE/Alaa Daraghmeh)

Le Waqf, l’organisme islamique qui gère le complexe d’al-Aqsa, a déclaré initialement que 270 000 personnes étaient venues prier, bien en deçà des 400 000 de l’an dernier et aussi moins que les 300 000 venues le vendredi précédent. Le responsable du Waqf a ensuite déclaré à l’agence de presse palestinienne Maan qu’il estimait que seules 220 000 personnes étaient venues.

Pourtant, pour les agiles et les audacieux, il existe un chemin vers Jérusalem qui ne nécessite pas de papiers.

Le long de la limite occidentale d’al-Ram, une ville palestinienne densement peuplée, s’étend la limite municipale de Jérusalem et l’énorme mur d’Israël. C’est un lieu privilégié pour les Palestiniens qui souhaitent tenter de sauter par-dessus – en dépit des huit mètres de hauteur du mur, des barbelés qui le surmontent et de l’armée et de la police des frontières qui y patrouillent.

Un homme venait de sauter par-dessus quand MEE est passé à côté en voiture. Le fil de fer barbelé avait été retiré du haut du mur, et l’échelle qu’il avait utilisée était cassée, gisant au sol. La jeep des soldats avait immédiatement démarré, des lumières orange clignotantes, un drapeau israélien battant dans la brise. On ignore ce qui lui est arrivé de l’autre côté.

Plus loin, des hommes attendaient dans des voitures. Pour 50 shekels (13 euros), ils vous conduiraient dans un endroit plus calme, à l’écart de la route principale, d’où il est selon eux plus facile de traverser. « Peu de gens traversent ici aujourd’hui », a indiqué l’un d’eux à Middle East Eye.

Selon les rumeurs, la police israélienne avait arrêté beaucoup de monde ici le vendredi précédent – et en avait battu certains. Les gens se méfiaient donc. Les hommes ici ne voulaient pas dire où se trouvait l’autre endroit, et ont prévenu MEE de ne pas filmer. « Ceux qui traversent ne sont pas stupides », a déclaré le guide. « Ils vont casser votre appareil photo. »

Destination Jérusalem

À Qalandia, les Palestiniens continuaient de tenter de traverser le check-point, espérant passer la journée à Jérusalem en prévision de la nuit de prière. Le soleil de fin de journée filtrait à travers les barres des cages où attendaient ceux qui souhaitaient passer. Les gens étaient serrés, l’odeur de sueur était forte. Des tourniquets actionnés à distance par les gardes-frontières laissaient passer les personnes une par une, ou quelques-unes à la fois, et les sacs étaient soumis aux rayons X.

Certaines personnes qui s’étaient vu refuser l’entrée revenaient des tourniquets, abattues. De l’autre côté, un homme appuyait sa carte d’identité contre la vitre de séparation pare-balles, et le soldat à l’intérieur plissait les yeux en tentant de lire à travers le verre brumeux. « Mamnoua » – interdit, a-t-il lancé après avoir fait signe à l’homme de mettre son doigt sur le scanner d’empreintes digitales et vérifié ses données sur son ordinateur. « Pourquoi ? » a demandé l’homme, mais le soldat a juste levé le menton et écarté les bras, dans un geste qui signifie à la fois « Je ne sais pas » et « Je m’en fous », puis lui a fait signe de reculer.

À la sortie du check-point, les femmes et les enfants attendaient les hommes de leur famille, dont les contrôles de sécurité prenaient beaucoup plus de temps. Sur la piste de ce qui était autrefois l’aéroport international de Qalandia, désormais réquisitionnée pour servir de station de bus au check-point, une chaîne continue d’autocars s’engageait dans le trafic du soir de Jérusalem.

À Jérusalem, alors que le coucher du soleil approchait, et avec lui le moment de rompre le jeûne du Ramadan, les gens se précipitaient pour acheter la nourriture dont ils avaient besoin. Un magasin de shawarma à l’extérieur des murs de la vieille ville fourmillait, ses employés roulant frénétiquement des tas de viande dans du pain.

Une tendance à la baisse

Dans l’ensemble, la ville de Jérusalem semblait relativement calme. Les vendredis de Ramadan précédents l’attaque avaient vu les voies principales encombrées de fidèles. Les foules, lors de la Nuit du Destin, n’ont atteint que rarement ce point. Un fidèle à l’intérieur de la mosquée a déclaré par sms que l’année dernière, il n’avait pas pu se pencher pour prier, ni avoir un signal téléphonique. Hier soir, il pouvait faire les deux.

« Chaque Ramadan depuis trois ans, il y a des attaques ou des guerres. Lorsque cela se produit, les Israéliens ferment certaines choses, et les gens ont peur de venir » – Osama Risheq, militante pour les droits de l’homme

Les commerçants de la ville ont déploré le manque d’opportunités économiques et ont déclaré que cela faisait partie d’une tendance à la baisse qui avait commencé bien avant l’attaque de vendredi dernier.

« Ce n’est pas seulement l’attaque », a déclaré un marchand de journaux de la vieille ville. « Les autorités d’occupation ont accru toute leur pression sur nous et les affaires vont mal. »

Osama Risheq, un militant pour les droits de l’homme qui gère également un magasin de snacks rue Salah ad-Deen, à Jérusalem-Est, a indiqué que l’activité était en baisse de 30 % par rapport à l’année dernière. « Le Ramadan a été très mauvais », a-t-il estimé.

« Chaque Ramadan depuis trois ans, il y a des attaques ou des guerres. Lorsque cela se produit, les Israéliens ferment certaines choses, et les gens ont peur de venir », a-t-il ajouté.

En dépit des chiffres en baisse, une ambiance festive régnait à al-Aqsa. Une famille de Naplouse en train de rompre son jeûne sur l’esplanade écrivait des cartes postales et prenait des photos pour envoyer aux hommes de leur famille qui n’avaient pas eu la chance de passer les check-points, comme des milliers d’autres.

Posant près du glorieux Dôme doré du Rocher, les fidèles envoyaient un message à ceux pour qui Jérusalem demeurait, cette année encore, juste une photographie : « Vous manquez à al-Aqsa ».

 

Elia Ghorbiah et Alaa Daraghmeh ont contribué à cet article.

Traduit de l’anglais (original).

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