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Yémen : comprendre pourquoi le conflit s’enlise en cinq questions

Des affrontements ont fait depuis dimanche une trentaine de morts à Aden entre les forces du gouvernement et les séparatistes, chaque camp étant soutenu par des pays de la région qui, à travers le Yémen, se livrent une véritable guerre
Manifestation des séparatistes du Conseil de transition du sud à Aden, le 28 janvier 2017 (AFP)
By MEE

Les rues d’Aden se sont vidées. Il ne reste que des chars et des véhicules blindés alors que toute la nuit de dimanche à lundi, les affrontements ont continué entre les forces, et les séparatistes du Conseil de transition du sud, soutenus par les Émirats arabes unis.

Dimanche matin, les forces loyales au président du Yémen, Abd Rabbo Mansour Hadi avaient empêché les séparatistes du Conseil de transition du sud d’organiser une manifestation pour exiger le départ du gouvernement de Hadi à Aden, la deuxième ville du Yémen.  

Traduction : « #Yemen : vidéo en direct montrant une scène d’affrontements armés à Aden, rapportée par le journaliste @Aden_Todey’s. Effrayant.

La veille, le Conseil de transition du sud avait alors pris le contrôle de plusieurs bâtiments publics et de bases militaires, dont certains ont été repris depuis par les forces présidentielles. Des affrontements auraient également eu lieu à l’extérieur du palais présidentiel.

Mohammed Mosaed, journaliste à Aden, a rapporté à Middle East Eye des bombardements et des coups de feu dans les deux camps. « Les forces présidentielles ont fermé les rues qui menaient à la place où se tenait la manifestation, car le Conseil de transition avait menacé de former un nouveau gouvernement qui combattrait le gouvernement de Hadi. »

Les affrontements ont fait 36 morts et 185 blessés en deux jours, a indiqué lundi soir le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur son compte Twitter.

Traduction : « La résistance du sud contrôle toutes les institutions et les infrastructures du gouvernement à #Aden. Elle a enlevé les drapeaux du #Yémen et installé ceux de l’État du Yémen du Sud »

Pourquoi ces violences ont-elles éclaté ?

La crise couvait depuis une semaine. Dimanche dernier, le Conseil de transition du sud s’était réuni pour déclarer l’état d’urgence à Aden. L’objectif était de renverser le gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, repositionné à Aden après avoir été chassé en septembre 2014 de la capitale Sanaa, conquise par les Houthis soutenus par l'Iran. Mais aussi de désigner un nouveau gouvernement pour le combattre.

Le Conseil avait alors donné une semaine au gouvernement d’Hadi pour quitter Aden en précisant qu’il inciterait ses partisans à manifester pour exiger son départ, avant de former un nouveau gouvernement et de prendre les armes.

En réaction à cette escalade, le sergent Mahran al-Qubati, à la tête des forces présidentielles, est rentré d’Arabie saoudite à Aden la semaine dernière et s’est réuni avec le Premier ministre au Palais présidentiel d’Aden.

Mahran al-Qubati a expliqué la semaine dernière qu’il avait pour ordre de réprimer tout émeute qui éclaterait à Aden. Le ministre de l’Intérieur a confirmé de son côté qu’il arrêterait tout criminel qui essaierait de créer des troubles dans les rues d’Aden.

Malgré l’interdiction de toute manifestation, annoncée samedi par Hadi, le Conseil de transition du sud a continué à appeler ses partisans à manifester dimanche matin.

« Les deux camps étaient préparés à cette confrontation »

- Mohammed Mosaed, journaliste

« Les deux camps étaient préparés à cette confrontation, et lorsque les combattants de Hadi ont utilisé la force pour empêcher les manifestants d’arriver jusqu’à la place, les forces du Conseil de transition ont résisté. C’était la fin de la paix à Aden », raconte le journaliste Mohammed Mosaed.

« C’est une question de temps, nos forces vont déposer les émeutiers à Aden. Les forces présidentielles ont repris le siège du cabinet et vont reprendre le contrôle d’autres institutions publiques et de camps militaires », a affirmé à MEE une source au ministère de l’Information basé à Aden.

Cette source a appelé les combattants du sud à être raisonnables et à ne pas répéter le scénario des Houthis à Sanaa en 2015. À ce moment-là, les séparatistes houthis avaient combattu le gouvernement et créé une crise dans tout le pays.

« La force n’est pas une solution à nos désaccords. S’ils ont des demandes, nous pouvons discuter avec eux, par le dialogue et non pas par la force. J’espère que les combattants du Conseil du sud choisiront la paix et pas la guerre », a-t-il ajouté.

Le palais présidentiel à Sanaa, frappé par un raid de la coalition menée par l’Arabie saoudite (AFP)

Qu’est-ce que le Conseil de transition du sud ?

Cette instance a été créée en 2017 par l’ancien gouverneur d’Aden, Aidarous al-Zaoubaidi, limogé en avril de la même année. Il en a pris la présidence pour « diriger les provinces du sud et les représenter à l’intérieur et à l’extérieur du pays ».

Le Yémen du Sud était un État indépendant – avec l'ancienne colonie britannique Aden pour capitale –  depuis sa création en 1967 jusqu'à l'unification avec le Yémen du nord en 1990 sous la présidence du nordiste Ali Abdallah Saleh. 

Quatre ans plus tard, des séparatistes lancent toutefois une rébellion. Le conflit militaire de mai-juillet 1994 entre le Nord et le Sud se solde par la victoire des troupes du général Saleh. Les plaies de ce conflit ne se sont jamais refermées, nourrissant le sentiment séparatiste.

Qui soutient les séparatistes ? 

Derrière les séparatistes, il y a les Émirats arabes unis : ce sont eux qui ont entraîné et soutiennent une force, appelée « Ceinture de sécurité », qui soutient le Conseil de transition.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Premier ministre du Yémen, Ahmed ben Dagher, a clairement accusé les Émirats arabes unis de soutenir les combattants du Conseil de transition du sud contre le gouvernement de Hadi. « Ce qui est arrivé aujourd’hui est un indice clair que les Émirats arabes unis combattent le gouvernement yéménite, les rebelles combattant les forces présidentielles sous la supervision et avec les armes des Émirats arabes unis à Aden. »

Des soldats émiratis montent la garde pendant que des Yéménites débarquent d’un vol à l’aéroport d’Aden, en 2015 (AFP)

Il a dénoncé un « coup de force » séparatiste et demandé à la coalition sous commandement saoudien, présente dans la ville, d'intervenir pour éviter le chaos.

Les tensions entre la Ceinture de sécurité et les forces présidentielles remontent à 2017 mais jamais il n’y avait eu une telle escalade.

Fahd al-Rabie, membre du Conseil de transition du sud, a accusé les forces du gouvernement de mener « une répression ».

À LIRE : Yémen : les Émirats arabes unis dirigent Aden comme un protectorat

« Nous avions prévu de manifester pacifiquement contre le gouvernement, et ces derniers temps, nous n’avions pas utilisé la force, mais les forces présidentielles ont obligé les combattants du sud à répondre à la répression », a-t-il expliqué à MEE. « La répression n’est en rien une solution, mais les forces d’Hadi veulent gouverner par la force sans écouter ses opposants. »

Selon lui, les affrontements à Aden marquent le début d’une nouvelle révolution des Yéménites du sud « pour reprendre leur pays ».

« Ces affrontements sont le début de la fin. Depuis vingt ans, nous demandons l’indépendance. Mais cette bataille va aider les Yéménites du sud à atteindre leur objectif », a-t-il affirmé.  

Drapeaux émiratis peints sur un bâtiment à Aden (MEE)

Que fait la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ?

La coalition – neuf pays dirigés par l'Arabie saoudite qui en mars 2015 ont lancé l'opération aérienne « Tempête décisive » (puis « Restaurer l'espoir ») pour contrer l'avancée des Houthis vers le sud – a appelé au calme et à la retenue de la part de toutes les parties et a exhorté les deux camps « à s’inscrire dans un dialogue » selon une déclaration faite samedi par l’agence de presse officielle saoudienne, la SPA.

De nombreux observateurs considèrent que la solution de ces tensions n’est pas du ressort des Yéménites mais de celui des membres de la coalition – les Saoudiens soutenant Hadi et les Émirats soutenant le Conseil du sud.

À LIRE : Yémen : l’opération « Restaurer l’espoir » devrait s’appeler « Se tirer une balle dans le pied »

Pour le journaliste Tareq al-Mallah, si les tensions entre les deux parties ne sont pas nouvelles, cette fois, la coalition menée par l’Arabie saoudite a échoué à les réconcilier avant qu’elles ne s’affrontent.

« L’an dernier, les forces présidentielles et celles de la Ceinture de sécurité s’étaient affrontées à l’aéroport d’Aden, mais les Saoudiens avaient réussi à les réconcilier. Cette fois, ils n’y sont pas parvenus. Ce serait facile pour la coalition de mettre un terme à cette guerre mais le Yémen est une source de tension entre les Saoudiens et les Émiratis. L’un comme l’autre, s’ils voulaient arrêter les affrontements à Aden, ils pourraient le faire en dix minutes. »

Dimanche soir, les Émirats ont appelé à la retenue, affirmant également leur « opposition à toute acte de sédition ». Jusqu'ici, l'Arabie saoudite a maintenu son soutien au président Hadi et à son gouvernement.

Le président Hadi vit en exil en Arabie saoudite (AFP)

Que fait la communauté internationale ?

Elle reste impuissante face à ce conflit que certains décrivent comme une guerre par procuration entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

La semaine dernière, l'émissaire spécial des Nations unies nommé en 2015, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a annoncé qu’il quitterait son poste « à la fin de son contrat actuel expirant en février 2018 ».

Il a été suivi mercredi, par le coordinateur humanitaire de l'ONU, Jamie McGoldrick, qui a déclaré qu'il quittait ses fonctions.

À LIRE : Après mille jours de guerre au Yémen, l’urgence de dire « Stop »

Toutes les tentatives de cessez-le-feu et de négociations ont échoué depuis la conquête de Sanaa par les Houthis, soutenus par l'Iran.

La guerre au Yémen a fait plus de 9 200 morts et près de 53 000 blessés depuis mars 2015 et aucune solution n'est en vue. Selon l'ONU, le Yémen est le théâtre de « la pire crise humanitaire du monde » avec des risques de famine à grande échelle.

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