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Maroc-MINURSO : retour à la case départ

Le Conseil de sécurité de l’ONU a voté vendredi 29 avril une résolution prorogeant d’un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental. Si le Maroc s’en félicite, faut-il y voir une possible sortie de crise ou un maintien du statu quo ?

C’est dans un contexte politique tendu qu’a eu lieu le vote de la résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara. Finalement adoptée, cette résolution, présentée par les États-Unis, prolonge d’un an – jusqu’en avril 2017 – la Mission de l’ONU pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO).

Déployée en 1991 dans le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole annexée en 1975 par le Maroc, la MINURSO a un objectif précis : surveiller le cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario et préparer un référendum d’autodétermination au Sahara.

Or, Rabat s'oppose catégoriquement à l'organisation d'un référendum. À la place, le royaume préconise un plan de large autonomie au Sahara, qu'il considère comme partie intégrante de son territoire historique. Le Front Polisario, appuyé par l’Algérie, revendique quant à lui l’indépendance du Sahara.

Le vote s’est révélé houleux et intense, survenant deux mois après l’« affaire Ban Ki-Moon » qui avait défrayé la chronique le 6 mars dernier. Depuis Alger et Tindouf, le secrétaire général de l’ONU avait qualifié d’« occupation » la présence marocaine au Sahara, sortant de sa réserve et de son impartialité.

La remarque avait provoqué un tollé dans le royaume chérifien. Courroucé, Rabat expulsa en mars dernier près de 75 des membres civils expatriés de la mission. Selon l’ONU, il ne restait sur place que 28 experts civils. Trop peu pour permettre à la MINURSO de remplir son mandat, qui devait s’achever fin avril, en attendant sa prorogation.

La résolution a été soutenue par dix des quinze pays membres du Conseil de sécurité. Le Venezuela et l’Uruguay ont voté contre, tandis que la Russie, l’Angola et la Nouvelle-Zélande se sont abstenus. La Chine, le Royaume-Uni, la France et l’Espagne ont soutenu la résolution avec l’Ukraine, le Japon, l’Égypte, la Malaisie et le Sénégal.

Le Conseil de sécurité « déplore que la capacité de la MINURSO de s’acquitter pleinement de son mandat ait été limitée » après l’expulsion des 75 membres civils, dont le rôle est de vérifier la cessation des hostilités. Et « souligne qu’il est urgent que la MINURSO puisse de nouveau exercer pleinement ses fonctions », selon le texte de la résolution, qui laisse trois mois à Ban Ki-Moon pour estimer si la mission a été rétablie dans sa pleine capacité. Si ce n’est pas le cas, le Conseil entend « examiner les meilleurs moyens pour parvenir à cet objectif », selon le texte.

Le discours musclé de Mohammed VI à Ryad

Rabat a pris acte de la résolution onusienne. La diplomatie marocaine estime qu’elle constitue un « revers cinglant pour toutes les manœuvres du secrétariat général de l’ONU » – allusion aux commentaires formulés en Algérie – et affiche son rejet d’un éventuel retour de la composante civile de la MINURSO. Pour le ministère marocain des Affaires étrangères, le vote « réaffirme les paramètres de la solution politique, tels que définis par le Conseil de sécurité depuis 2004 et précisés, en termes opérationnels, en 2007 ». Soit l’engagement des parties à poursuivre le processus de négociations dans le cadre des pourparlers sous égide onusienne « dans le but d’entrer dans une phase plus intense et plus substantielle de négociations », d’après le Conseil.

Le ministère se félicite en outre que le Conseil de sécurité ait « tranché avec toutes les tentatives de changement du mandat de la MINURSO et de son élargissement à des missions non-convenues et à des actions étrangères à sa raison d’être ». Référence aux tentatives du secrétariat général de l’ONU et de la diplomatie américaine d’ajouter une composante de surveillance des droits de l’homme à la mission onusienne en 2013 et en 2014 suite à des rapports faisant état de violations des droits de l’homme.

La réaction du Maroc avait été extrêmement virulente et la crise avait dû être réglée directement entre le roi Mohammed VI et Barack Obama à la Maison Blanche.

Pour Rabat, la MINURSO doit se concentrer « essentiellement sur ses missions fondamentales de surveillance du cessez-le-feu et de déminage dans la zone tampon à l’est du dispositif de défense ».

Retour à la case départ donc, sans vainqueur ni vaincu.

Nul doute que le Conseil de sécurité avait à l’esprit le discours musclé du roi Mohammed VI prononcé à Ryad le 20 avril dernier, lors du sommet Maroc-pays du Golfe. Un discours qui annonçait la couleur.

Faisant feu de tout bois, le souverain en appelait à une politique marocaine souverainiste et national-monarchiste, mettant parfois en garde les traditionnels alliés, notamment les États-Unis, contre des trahisons et autres coups bas :

« Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix, et n’est la chasse gardée d’aucun pays. Il restera fidèle à ses engagements à l’égard de ses partenaires, qui ne devraient y voir aucune atteinte à leurs intérêts », a déclaré Mohammed VI, qui a en outre déploré qu’« avec la persistance de ces manigances, le mois d’avril, qui coïncide avec les réunions du Conseil de sécurité sur l’affaire du Sahara, est devenu un épouvantail qu’on agite à la face du Maroc et, parfois, un moyen de pression ou d’extorsion ».

Le monarque a aussi accablé le secrétaire général des Nations unies, « instrumentalisé pour essayer de porter atteinte aux droits historiques et légitimes du Maroc concernant son Sahara », pour son approche approximative du contentieux : « Que peut faire le secrétaire général alors qu’il admet ne pas avoir une connaissance complète du dossier du Sahara marocain, comme c’est le cas pour de nombreuses autres affaires ? Mieux encore, il ignore le détail des développements et les véritables dessous du dossier. »

La visite de Mohammed VI à Ryad avait par ailleurs comme l’un de ses objectifs principaux de confirmer le partenariat stratégique – économique et politique – entre le royaume et les pays du Golfe, des pays gagnés à la cause marocaine sur le dossier sahraoui. « Le partenariat entre le Maroc et les pays du Golfe n’est pas le produit d’intérêts conjoncturels ou de calculs éphémères. Il puise plutôt sa force dans la foi sincère en la communauté de destin et la concordance des vues concernant nos causes communes. Nous nous réunissons donc aujourd’hui pour donner une forte impulsion à ce partenariat. »

Confiance aléatoire et équilibres changeants

Quel décryptage faire de cette succession d’événements et de discours ? Que Rabat rebat ses cartes, qu’il élargit son cercle de partenaires, voire d’alliés potentiels ? Certains observateurs parlent de l’émergence d’un axe Rabat-Ryad-Moscou, mais le terme est, pour d’autres, excessif et erroné.

« Les États-Unis sont l’allié traditionnel du Maroc et ils le resteront. Mais Rabat leur fait savoir qu’il n’est pas dupe de leurs revirements multiples. Voilà pourquoi le royaume recherche de nouveaux partenaires qui pourraient l’appuyer », explique à Middle East Eye Abdellah Rami, chercheur au Centre marocain des sciences sociales.

De fait, le royaume a noué des relations avec Moscou, puis s’apprête à se rapprocher de l’empire du Milieu et de l’Inde. « Dans ce dossier épineux, ajoute l’expert, le Maroc ne peut plus mettre tous ses œufs dans le même panier. Les alliés d’hier peuvent changer d’avis demain. On ne peut pas avoir confiance ad vitam æternam en un pays ».

Ainsi, dans son communiqué, la diplomatie marocaine égratigne au passage l’allié américain, qui selon elle « introduit des éléments de pression, de contraintes et d’affaiblissement, et agi contre l’esprit du partenariat qui le lie au royaume du Maroc ».

Pour Youssef Belal, professeur à l’Université de Californie (Berkeley), « avec cette résolution, les États-Unis et l’ONU se montrent fermes envers le royaume. Le Maroc et les Nations unies doivent trouver une solution dans les mois qui viennent ».

L’expert ne croit pas que le Maroc tourne le dos à l’Occident : « Le royaume est inscrit dans son ancrage à l’Occident. Nombre de ses intérêts y sont adossés ». Reste qu’il y a, selon lui, « une tentative de sortir du giron de la France, en se rapprochant d’autres alliés, qui pourraient apporter une solution à ce conflit ».

La France, ancienne puissance coloniale du Maroc et l’un de ses plus puissants alliés, a exercé à plusieurs reprises son droit de veto au Conseil de sécurité pour ne pas inclure les questions relatives aux droits de l’homme dans le mandat de la MINURSO. « Sur le fond, la France considère le plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007 comme une base sérieuse et crédible pour une solution négociée », a estimé le représentant français François Delattre, lors du vote de la résolution.

Avec le discours du roi Mohammed VI à Ryad, confie Youssef Belal, « le royaume a joué une carte tactique : montrer une rhétorique plus virulente, nationaliste, en disant : ‘’laissez notre pays faire et décider de ses choix’’ ». Aussi, pense l’universitaire, « la question pour le régime est de savoir ce qu’il peut obtenir de cette approche très risquée ».

Peut-elle être payante ? Pas sûr : « Peut-être n’y aura-t-il pas de progrès. Peut-être n’aboutira-t-on au fond qu’à un retour à la case départ, mettant le royaume dans une position défensive, de recul ».

D’après Abdellah Rami, « l’Amérique entretiendrait volontairement la dégradation du dossier du Sahara pour avoir toujours le fin mot de l’histoire, pour trancher dans le vif ». Pourquoi ces palinodies de pays dits amis ? « C’est une question d’équilibres politiques et régionaux, estime Abdellah Rami. Ce dossier est l’otage des changements politiques, d’intérêts contradictoires, des volontés changeantes des dirigeants, des agendas de chacun, des règlements opaques… »

D’après le spécialiste, le maintien de la MINURSO jusqu’en avril 2017 n’est d’ailleurs pas anodin : « Il couvre la période délicate de l’élection présidentielle américaine ».

Pour Abdellah Rami, le scepticisme prévaut : « L’horizon de ce dossier est bouché. Il ne pourrait être dégagé qu’avec l’entrée d’un nouvel acteur dans la région, comme les pays du Golfe. En injectant des pétrodollars, ils changeraient la donne, les intérêts et les équilibres en jeu ». Réaliste ? En tous cas, le dossier entre dans une phase cruciale, à l’heure où le Maroc hausse le ton et entend voir sa volonté respectée par l’ONU.

Photo : le roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz al-Saoud et le roi du Maroc Mohammed VI écoutent l’hymne national saoudien lors de la visite du souverain marocain à Ryad le 20 avril 2016 (AFP).

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