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L'accord qui a brisé le Yémen

La tragédie du soulèvement yéménite est que ce sont les forces antidémocratiques qui décideront si le pays s’en sortira ou s'il plongera dans la guerre civile
By MEE

Pendant des décennies, les portraits d'Ali Abdallah Saleh, accrochés aux murs des bibliothèques, des mosquées, des cafés, des cours et des cafétérias, ont fait partie du paysage de Sanaa, la capitale poussiéreuse du Yémen. Cependant, au début du mois de mars 2012, les portraits de l'autocrate moustachu se sont mis à disparaître lentement pour être remplacés à la hâte par la photo sur papier brillant d'un homme chauve à l'air solennel, accompagnée du slogan : « Ensemble, nous construirons un nouveau Yémen ».

Ce nouveau visage était celui d'Abd Rabbo Mansour Hadi, un homme politique de 66 ans inconnu de la plupart des Yéménites avant qu’il ne remplace Ali Abdallah Saleh au poste de président en 2012. Son accession au pouvoir, le 27 février 2012, a suscité l'enthousiasme au Yémen. Après des mois de manifestations massives, et pour la première fois depuis 33 ans, le pays avait un nouveau chef d'Etat. Certains y ont vu une occasion historique de mettre un terme à cette sombre période et de prendre les mesures nécessaires à l’avènement de la démocratie.

Mais d'autres se sont montrés sceptiques. Abd Rabbo Mansour Hadi, un ancien général de l'armée discret et modeste ayant occupé le poste de vice-président pendant des années, avait semble-t-il été sélectionné pour son caractère inoffensif (une décennie d'inaugurations et de séances photo consciencieusement accomplies pour le compte d'Ali Abdallah Saleh lui avaient valu le surnom de « Mme Saleh ». D'autres le qualifiaient de « statue » de la scène politique yéménite, toujours présent mais jamais remarqué). Le voyant contraint d'agir dans l'ombre du président Saleh pendant des années, beaucoup doutaient qu’il ne possède la poigne politique nécessaire pour se libérer de l'influence de son ancien patron.

Une nation fragmentée et appauvrie

Entre les divisions au sein de l'armée et les dizaines de milliers de protestataires toujours tapis dans des villes gangrénées par les pannes d'électricité et les pénuries d'eau, Abd Rabbo Mansour Hadi régnait sur une nation fragmentée et appauvrie. Ce poids plume de la politique s'était attelé à ce que l'on peut considérer comme le travail le plus ardu au monde.

L’accord du Conseil de coopération du Golfe (CCG) conçu par l'ONU avec le soutien des Etats-Unis et de l'Arabie saoudite, qui a conduit à l’éviction d’Ali Abdallah Saleh en 2012, paraissait plutôt intéressant sur le papier. Une conférence de dialogue national d'une durée de six mois permettrait de réunir les nombreux groupes ayant participé au renversement d'Ali Abdallah Saleh (membres de tribus, islamistes, femmes et Akhdams, une caste de serfs héréditaire) afin de les aider à résoudre leurs différends et construire un Yémen sans dictateur. L'objectif était d'établir un nouveau contrat social, de rédiger une constitution et de préparer des élections libres et équitables pour 2014.

Mais cet accord comportait des lacunes  fondamentales : plutôt que d'être emprisonnés ou sanctionnés, l'ex-président et sa famille ne furent pas inquiétés. Ali Abdallah Saleh se vit conférer l'immunité judiciaire et conserva son poste de président du Congrès général du peuple, le parti au pouvoir au Yémen. Les griefs qui ont poussé des millions de Yéménites dans la rue en 2011, à savoir le chômage, la corruption et le manque de représentation politique, ont été abordés lors de la conférence de dialogue national mais peu de mesures ont été prises pour les soulager. On a indiqué aux séparatistes du sud, qui se plaignaient de leur marginalisation depuis des années, que le fédéralisme serait une option. Quant aux rebelles houthis du nord, qui avaient affronté les forces gouvernementales lors d'une guerre civile brutale ayant entraîné le déplacement de centaines de milliers de leurs partisans zaydites chiites, ils furent eux aussi gratifiés de promesses timides de « participation future ». On en conclut qu'en toute logique, le Yémen s’en sortirait.

La démission du président Hadi, du Premier ministre et de l'ensemble du gouvernement jeudi soir, quelques jours après la prise de contrôle du palais présidentiel de Sanaa par les rebelles houthis, a exposé au grand jour les points faibles de l’accord du CCG. Le fait qu'Ali Abdallah Saleh ait appelé à organiser des élections anticipées, déclaré son soutien aux Houthis et apporté son aide à leur prise de pouvoir (selon des appels téléphoniques divulgués par Al-Jazeera) ajoute une note d'ironie et d'amertume à l'histoire d'un pays qui s'effondre lentement depuis des années.

La question de savoir si le pacte du CCG, qui s'est avéré être un simple remaniement du paysage politique, était voué à l'échec dès le départ ou non, demeure sujette à débat. Ce qui est clair, c'est que le « modèle yéménite », comme l'a récemment salué le président Obama, était une erreur. Il s'agissait d'un projet irréalisable visant à rassembler une nation qui a été systématiquement déchirée par ses dirigeants pendant des décennies. Le départ d'Ali Abdallah Saleh en 2012 n'a pas marqué le début d'une transition politique au Yémen mais plutôt le point culminant des marchandages entre les factions opposées de la classe politique yéménite, sous l'égide des diplomates américains. Ces négociations ont fait abstraction de la question des élections équitables et de la responsabilité de la répression sanglante des manifestants par le gouvernement.

Le destin du Yémen ne repose désormais plus entre les mains des hommes politiques mais dans celles d'hommes armés (les combattants houthis et les militants d'al-Qaïda) et de puissances étrangères (l'Iran et l'Arabie saoudite). La tragédie du soulèvement yéménite est que ce sont ces forces antidémocratiques – et non les Yéménites rêvant de démocratie – qui décideront si le pays se relèvera ou s'il plongera dans la guerre civile.

Légende photo : un garçon tenant un portrait du président yéménite Ali Abdallah Saleh passe devant une photo de celui-ci avec le roi saoudien Abdallah ben Abdelaziz lors d'un rassemblement pro-régime à Sanaa (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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