Polémique en Algérie : détenus du hirak versus victimes palestiniennes, le match des solidarités ?
Une nouvelle polémique enflamme les réseaux sociaux de la sphère algérienne. À l’origine des débats : la solidarité avec les Palestiniens dans le contexte de la répression israélienne en cours. Des posts Facebook et des tweets ont réagi, au début, à la solidarité affichée par la star de football algérienne, Riyad Mahrez, avec la Palestine.
Ce message de solidarité du joueur vedette de Manchester City a vite été commenté par des dizaines de twittos, pour lesquels la solidarité devrait d’abord s’exprimer envers les détenus du hirak, vaste mouvement populaire de contestation du pouvoir.
L’un d’eux écrit : « Nos frères et sœurs sont emprisonnés injustement, ils méritent d’être soutenus haut et fort. D’après les dernières statistiques, nous avons 76 détenus d’opinion à travers 25 wilayas [préfectures] d’Algérie. » Une référence aux arrestations qui se multiplient en Algérie durant les manifestations du hirak, alors que les autorités tentent d’interdire ces marches qui ont repris depuis février.
Mardi 11 mai, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme s’est dit « de plus en plus préoccupé » par la situation en Algérie, où plusieurs droits fondamentaux, comme les droits à la liberté d’opinion et de réunion pacifique, « continuent d’être attaqués ».
Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), qui recense les arrestations et les libérations, plus de 70 personnes sont actuellement incarcérées, poursuivies pour des faits en lien avec le hirak et/ou les libertés individuelles.
D’autres messages reprennent également un slogan employé sur les réseaux sociaux en Égypte pour dénoncer la situation politique sous le président Abdel Fattah al-Sissi : « Désolés la Palestine, mais nous sommes tous sous occupation ».
En revanche, certains internautes ont tenu à défendre la position de Riad Mahrez :
Ces critiques envers la solidarité exprimée par l’international algérien ont été diffusées, notamment, par deux activistes – recherchés par la justice algérienne –, Mohamed Larbi Zitout, membre de Rachad (organisation d’opposition en exil), et Amir DZ, blogueur exilé en France :
Traduction : « C’est bien, frère Mahrez, de se solidariser avec nos frères opprimés en Palestine, mais c’est bien aussi de se solidariser avec tes frères opprimés en Algérie. »
Traduction : « Celui qui n’a pu soutenir les libres [militants du hirak] de son pays ne peut soutenir les libres d’al-Qods et de Palestine. Arrêtez l’hypocrisie. » Suivi du hashtag : « Désolés la Palestine, mais nous sommes tous sous occupation ».
D’autres internautes ont préféré souligner la solidarité entre les deux peuples, algérien et palestinien, loin de toute polémique :
Traduction : « L’Algérie toujours avec la Palestine. »
Ces réactions se sont répercutées sur le fil Facebook algérien, comme le démontre ce post de Nazim Baya, responsable et fondateur du site satirique El Manchar :
Cette publication a suscité de nombreuses réactions. Yasmina, par exemple, commente : « Les posts de ces dernières heures et les pseudos polémiques sur les concurrences des solidarités ne servent en rien la cause de la démocratie en Algérie mais elles servent à coup sûr à relativiser l’apartheid brutal et total sous lequel vivent les Palestiniens. Les outrances qui consistent à comparer l’occupation subie par les Palestiniens à coups de bombardements et la répression politique qu’affronte l’opposition fi bladna [dans notre pays] ne fait que décrédibiliser ceux qui tiennent ces discours. La préférence nationale à la sauce algérienne est aussi dégueulasse que toutes les autres. Et les injonctions comminatoires à se solidariser de tel quand on est solidaire de tel autre sont juste insupportables. »
Consacrant un numéro, mardi 11 mai, aux « dissensions » entre internautes sur la question de la solidarité avec les Palestiniens, l’émission de Radio M (radio web privée) « Maranach saktin » (On ne se taira pas) a donné la parole à des intervenants.
« Les gens ne sont pas contre la solidarité avec la Palestine mais veulent en priorité être solidaires avec ce qui se passe en Algérie », précise l’un des deux animateurs de l’émission.
Ce dernier explique que certains événements en Algérie « ressemblent à ce qui se passe sous occupation », évoquant l’image d’un homme âgé frappé par des policiers lors de son interpellation lors de la manifestation du vendredi 7 mai.
Un des intervenants par téléphone tente de nuancer : « Je ne suis pas en train de dire que nous vivons en démocratie en Algérie, mais c’est exagéré de parler d’‘’occupation’’, on peut, par contre, parler de répression. »
« Tu ne peux demander la liberté pour la Palestine alors que tu vis comme un esclave », réagit un des intervenants, alors qu’un autre appelant de l’étranger précise : « On ne peut aider la Palestine sans s’aider d’abord nous-mêmes. »
La journaliste qui co-anime l’émission regrette, pour sa part, qu’« aucun acteur ou star vivant en Algérie n’ait parlé des événements depuis 2019 [depuis le déclenchement du hirak], c’est dommage ».
« Je ne sais pas quel cœur ils ont, ces gens-là », renchérit alors son collègue.
Indignations des politiques
Réagissant à ces polémiques, Abderrezak Makri, président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), a commenté sur sa page Facebook : « La tentative de certains de pousser les peuples à abandonner la cause palestinienne sous prétexte de la priorité de combattre le despotisme dans nos pays fait partie de la pensée sioniste. »
« Que ces personnes sachent que nos héros, quand ils affrontaient le colonialisme français, ne cessaient de soutenir la Palestine en fonds et en hommes. De plus, la persistance de l’occupation est la raison principale de l’existence des régimes despotiques », poursuit-il.
Postant sa photo en keffieh orné de l’image du dôme du Rocher à Jérusalem, le porte-parole du Front des forces socialistes (FFS, opposition), Chafaâ Bouaiche, écrit pour sa part : « Ceux qui se sont attaqués à Riyad Mahrez pour avoir soutenu le peuple palestinien ont montré qu’ils ne partagent rien avec le peuple algérien : ni sentiments, ni convictions et ni intérêts. »
Le poète algérien Amin Khan préfère avancer d’autres parallèles entre l’Algérie et la Palestine, loin de la polémique :
Le cinéaste algérien Damien Ounouri a quant à lui rappelé, en repostant une vidéo d’une manifestation du hirak datant du 16 mars 2019, la « solidarité avec la Palestine lors du hirak » :
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