Des Saoudiennes lancent une campagne pour mettre en lumière l’« assignation à résidence » qui les étouffe
Les activistes saoudiennes pour les droits des femmes ont lancé une campagne en ligne pour permettre aux femmes de partager leur expérience de « prisonnières » dans leur propre maison et souligner les restrictions sociales qui entravent encore de nombreuses femmes dans ce royaume conservateur.
Sur Twitter, les activistes utilisent le hashtag #PrisonnièresChezSoi pour sensibiliser aux « femmes qui languissent chez elles », un lieu à la fois « tombeau pour la femme et paradis pour l’homme ».
« La tutelle masculine relègue les femmes adultes au statut juridique de mineures incapables de prendre des décisions capitales pour elles-mêmes »
– Human Rights Watch
Les activistes réclament avec ce hashtag l’abolition du « système de tutelle masculine », une structure qui accorde au père, au frère, à l’époux d’une femme le droit de décider de son sort en matière d’« éducation, de travail et de soins ».
En outre, la campagne demande à ce que les Saoudiennes aient le droit « de circuler, d’être indépendante et de prendre des décisions », affirmant que toute femme ou fille qui se sent « prise au piège chez elle » devrait puiser de la force dans les expériences partagées.
Sur le réseau social, des femmes expriment leur frustration vis-à-vis des contraintes qui leur sont imposées, l’une d’elle racontant qu’être piégée chez elle « épuise son âme et sa psyché ».
« Ma prison étouffe mes passions et mes aspirations. Elle asphyxie mes désirs, mes capacités, mes ambitions ainsi que mon caractère. Cela m’a rendue profondément dépressive et obsessionnelle, et m’a accablée de milliers de troubles psychologiques », a écrit une internaute sous couvert d’un pseudo.
Une autre décrit la vie en tant que femme en Arabie saoudite comme comparable au fait de « subir toutes les formes de violence au niveau psychologique, physique et matériel ».
Traduction : « Nous passons nos vies dans ces prisons où la liberté des femmes est violée dans tous les sens du terme. »
Traduction : « Les femmes sont étroitement surveillées chez elles, elles n’ont pas la possibilité de fermer la porte à clé parfois et n’ont pas la moindre chance de sortir explorer le monde extérieur et de vivre la vie qu’elles souhaitent. À quoi sert la vie si je n’ai pas la chance de sortir tenter quelque chose de nouveau sans être étroitement surveillée. »
Traduction : « Mon assignation à résidence m’a radicalement changée et est devenue une cellule d’isolement. Elle a détruit ma capacité à communiquer avec des êtres humains et m’a fait disparaître du monde, me faisant paraître nonagénaire. Mes geôliers ne pensent pas qu’il est temps pour moi de vivre une vie ‘’normale’’. »
Un autre témoignage assimile le sentiment d’être assignée à résidence au fait d’être un « meuble immobile dans un salon », ajoutant qu’on « voit son âge et sa jeunesse passer tout en étant piégée entre quatre murs ».
Plusieurs tweets notent également le soutien de l’État vis-à-vis du statu quo patriarcal :
Traduction : « La famille qui m’a emprisonnée chez moi pendant 24 ans tente de m’emmener dans une prison gouvernementale, me transférant à un autre groupe d’hommes. Notre liberté est une question politique, et si vous tentez de vous en emparer, vous serez confrontée à l’État avant votre père. L’État est à portée de main de l’agresseur, et celui qui le dirige est lui-même un criminel. »
Traduction : « Même quand vous vivez dans une autre maison, vous continuez à être sous le regard scrutateur des hommes dans la rue, des propriétaires de la maison et du gouvernement. »
Traduction : « Ce gouvernement lui-même traite les femmes comme des détenues chez elles, et si une femme quelconque tente de s’échapper de ce centre de détention, un rapport est rédigé pour l’y renvoyer. Les maisons sont des prisons pour les femmes et sont conçues pour les faire disparaître du monde. »
Les activistes saoudiennes pour les droits des femmes font depuis longtemps campagne contre le système restrictif de tutelle masculine qui « contrôle la vie des femmes, de leur naissance à leur mort ».
Selon Human Rights Watch, ces lois sont le plus gros « obstacle à l’obtention des droits des femmes ».
« Cela relègue les femmes adultes au statut juridique de mineures incapables de prendre des décisions capitales pour elles-mêmes. »
Malgré les réformes du prince héritier Mohammed ben Salmane qui visaient à étendre la participation des femmes au sein de la société, HRW et les organisations saoudiennes des droits de l’homme soutiennent que la liberté des femmes reste « insuffisante » et qu’une femme ne peut être indépendante sans que ses proches « la retrouvent et menacent de la placer dans les tristement célèbres centres de soins et d’accueil ».
« Il y a des discriminations profondément enracinées au sein du système juridique et les tribunaux admettent les plaintes portées par des tuteurs à l’encontre de femmes indépendantes et qui restreignent la circulation des femmes ou font appliquer l’autorité du tuteur », écrivait HRW en 2016.
Cette campagne intervient peu après la libération inopinée de deux membres de la famille royale après quasiment trois années de détention. Le princesse Basmah et sa fille Souhoud al-Sharif ont été arrêtées en 2019 et incarcérées dans la prison de haute sécurité de Riyad, Al Ha’ir.
Si aucune de ces deux femmes n’a été officiellement inculpée, l’avocat de Basmah, Henri Estramant, a affirmé que la « franchise [de la princesse] à propos du traitement des femmes dans le royaume et ses lois rigides en matière de tutelle » ainsi que son opposition à la guerre menée par le royaume au Yémen « ont probablement conduit à son arrestation ».
La campagne #AssignationàDomicile est parvenue à dépasser les frontières saoudiennes : les femmes arabes de la région ont repris ce hashtag pour raconter leurs expériences à elles et souligner que ces situations ne se limitent pas au royaume.
Traduction : « Je suis Koweïtienne. Malgré la distance et les différences de genre et d’origine ethnique, nous partageons la même douleur et la même souffrance et les mêmes prisons établies par le régime terroriste patriarcal. »
Sous ce hashtag, d’autres internautes ont imaginé leur vie si elles n’étaient pas assignées à domicile. L’une d’elle écrit : « Si je n’étais pas en prison, je sortirais tous les matins à l’aube. »
Traduction :
« Si je n’étais pas ‘’en prison’’, je visiterais un nouveau quartier chaque jour.
« Si je n’étais pas ‘’en prison’’, je placerais une chaise sur le seuil de chez moi et je regarderais le coucher du soleil et les passants.
« Si je n’étais pas ‘’en prison’’, je prendrais tout en photo et nommerais tout. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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