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« On ne devait pas remercier Allah mais Xi Jinping » : Amnesty publie les témoignages des minorités persécutées du Xinjiang

L’ONG a recueilli les témoignages d’ex-détenus musulmans des camps chinois et lance une campagne pour sensibiliser l’opinion internationale sur les graves violations des droits de l’homme subies par les minorités du Xinjiang
« À l’intérieur comme à l’extérieur des camps, les musulmans du Xinjiang sont parmi les populations les plus étroitement surveillées au monde », estime Amnesty International (AFP/Greg Baker)
« À l’intérieur comme à l’extérieur des camps, les musulmans du Xinjiang sont parmi les populations les plus étroitement surveillées au monde », estime Amnesty International (AFP/Greg Baker)
Par MEE

Amnesty International (AI) lance, ce jeudi 10 juin, une nouvelle campagne et un nouveau rapport sur la situation dramatique des Ouïghours, Kazakhs et autres minorités ethniques à majorité musulmane de la région autonome ouïghoure du Xinjiang (Chine), qui « sont victimes d’emprisonnement, de torture et de persécutions à grande échelle orchestrés par l’État, qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité », selon l’ONG.

Dans son rapport, illustré par l’artiste Molly Crabapple pour représenter les scènes décrites par d’ancien(ne)s détenu(e)s, l’ONG détaille les exactions perpétrées contre les musulmans du Xinjiang.

Qui sont les Ouïghours et pourquoi la Chine les cible-t-elle ?

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Selon de nombreux rapports, plus d’un million de Ouïghours, un peuple turcique majoritairement musulman, seraient actuellement détenus dans des camps d’internement à travers le Xinjiang, dans l’ouest de la Chine (ou Turkestan oriental occupé, comme de nombreux Ouïghours désignent la région).

Human Rights Watch a déclaré en septembre 2018 que près de 13 millions de musulmans du Xinjiang ont été « soumis à un endoctrinement politique forcé, à des punitions collectives, à des restrictions en matière de déplacements et de communication, à des restrictions religieuses accrues et à une surveillance massive, en violation du droit international en matière de droits de l’homme ».

Les Ouïghours sont particulièrement visés depuis que le dirigeant du Parti communiste Chen Quanguo est devenu secrétaire du parti pour le Xinjiang en 2016. Sous sa direction, une infrastructure de surveillance massive a été déployée dans toute la région pour surveiller et contrôler la communauté musulmane.

Les Ouïghours et les Kazakhs de souche sont régulièrement arrêtés s’ils pratiquent leur religion, notamment s’ils font la prière, respectent un mode de vie halal ou portent des vêtements exprimant la foi musulmane.

Le gouvernement chinois a même qualifié l’islam de « maladie idéologique » et détruit certaines mosquées de la région. Dans les camps, les détenus sont obligés d’apprendre le chinois mandarin et de faire l’éloge du Parti communiste chinois. Ils subissent également des sévices psychologiques et physiques.

Des activistes ouïghours affirment que des familles entières ont disparu dans les camps ou ont été exécutées.

La Chine a nié à plusieurs reprises les allégations de persécution à l’encontre de cette minorité, décrivant les camps comme des « centres de formation » destinés à lutter contre l’extrémisme religieux.

Le pays juge également « injustifiées » les préoccupations exprimées par les membres de la communauté ouïghoure et des groupes de défense des droits de l’homme, entre autres, et dénonce une « ingérence dans les affaires intérieures de la Chine ».

L’équipe de réaction aux crises d’Amnesty International publie, dans ce rapport intitulé « Comme si nous étions ennemis de guerre », des dizaines de témoignages inédits détaillant « les mesures extrêmes prises par les autorités chinoises, depuis 2017, pour éliminer les traditions religieuses, les pratiques culturelles et les langues des groupes ethniques musulmans de la région ».

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« Loin de servir l’objectif légitime de contrecarrer une menace terroriste supposée, cette campagne vise clairement la population du Xinjiang à titre collectif pour des questions de religion et d’appartenance ethnique et donne lieu à de graves violences et à des manœuvres d’intimidation dont le but est d’éliminer les croyances islamiques et les pratiques ethnoculturelles des populations musulmanes turcophones », lit-on dans ce rapport de 160 pages.

« Je crois que l’objectif [des cours au sein des centres d’internement] était de détruire notre religion et de nous assimiler [...] Ils ont déclaré́ qu’on ne pouvait pas dire ‘’salam aleïkoum’’ et que, si on nous demandait notre appartenance ethnique, nous devions répondre « chinois » [...]

« Ils ont dit qu’on ne pouvait pas se rendre à la prière du vendredi [...] Et que ce n’était pas Allah qui nous avait tout donné, mais Xi Jinping [le président chinois]. On ne devait pas remercier Allah mais Xi Jinping, pour tout », témoigne Yerulan, un ancien détenu.

Un système de surveillance généralisé

L’endoctrinement se double aussi de pratiques de torture, documentées par AI dans son rapport. 

Mansur, un agriculteur, a ainsi indiqué « qu’il avait été torturé à plusieurs reprises dans deux camps lors de sa détention – à la fois en interrogatoire et au cours de multiples séances de punition ».

« Deux gardiens m’ont sorti de la cellule et déposé [dans la pièce où j’ai été interrogé]. Il y avait deux hommes à l’intérieur [...] Ils m’ont demandé ce que je faisais au Kazakhstan, si je priais là-bas, ce que mes parents faisaient. J’ai dit que je restais toujours auprès de ma famille, que je m’occupais du bétail et que je ne faisais rien d’illégal [...]

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« Ils m’ont questionné au sujet de la mosquée et de la prière [...] J’avais entendu que, si je leur disais que je priais, je serais condamné à 20 ou 25 ans. Alors je leur ai dit que je ne priais jamais. Ils se sont énervés. Ils ont dit : ‘’Tout ce temps passé avec le bétail a fait de toi un animal aussi !’’. Ils m’ont battu avec une chaise jusqu’à ce qu’elle casse [...] Je suis tombé par terre. J’ai failli m’évanouir [...] Ensuite, ils m’ont remis sur la chaise. Ils ont dit : ‘’Cet homme n’a pas encore changé, il doit rester plus longtemps [au camp]’’ », témoigne Mansur.

Le rapport pointe aussi le système de surveillance généralisé ciblant ces minorités : « À l’intérieur comme à l’extérieur des camps, les musulmans du Xinjiang sont parmi les populations les plus étroitement surveillées au monde. »

Une fois libérés des camps, les ex-prisonniers « sont l’objet d’une surveillance électronique et physique constante, qui consiste notamment pour l’État à désigner des cadres de l’administration pour effectuer des ‘’séjours à domicile’’ intrusifs pendant lesquels ils doivent assurer un contrôle et signaler tout comportement ‘’suspect’’ ».

Ces « comportements suspects » peuvent englober « des pratiques religieuses pacifiques, le recours à un logiciel de communication non autorisé [comme un VPN ou WhatsApp] ou encore l’achat d’une quantité ‘’inhabituelle’’ de combustible ou d’électricité ».

Faire « cesser tous les transferts forcés vers la Chine »

Selon l’ONG, qui s’est entretenue avec 55 personnes ayant été détenues dans des camps d’internement, les politiques répressives de Pékin « bafouent plusieurs droits humains, notamment le droit à la liberté et à la sécurité, le droit au respect de la vie privée, le droit de circuler librement, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de croyance, le droit de participer à la vie culturelle ainsi que le droit à l’égalité et celui de ne pas être discriminé ».

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« Ces violations sont tellement généralisées et systématiques qu’elles sont désormais un aspect inexorable de la vie quotidienne des millions de membres des minorités ethniques à majorité musulmane du Xinjiang », ajoute Amnesty.

L’ONG liste une série de recommandations, aussi bien à l’attention du gouvernement chinois que des instances onusiennes et de la communauté internationale. AI exhorte notamment cette dernière à « respecter et appliquer strictement le principe de ‘’non-refoulement’’ pour toutes les personnes, y compris refugiées ou demandeuses d’asile, venant du Xinjiang ».

Il faut « cesser tous les transferts forcés, directs ou indirects, vers la Chine et garantir qu’aucune personne ne sera obligée de retourner dans un endroit où elle risque véritablement d’être victime de graves violations des droits humains », demande Amnesty.

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