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La France « avait connaissance d’un accord » entre Lafarge et l’État islamique, selon une note « confidentiel défense »

Un document de la DGSE révélé par Libération atteste que l’État français était au courant des versements d’argent du cimentier à l’EI dès l’été 2014. La Cour de cassation devait se prononcer ce jeudi sur la mise en examen de l’entreprise mais a reporté la décision à septembre
Le logo de Lafarge sur une usine du cimentier français photographié à Paris le 7 avril 2014 (AFP)

Des responsables du renseignement français étaient au courant d’un accord entre le cimentier Lafarge et le groupe État islamique (EI) en Syrie à l’été 2014, selon un article du quotidien Libération citant un document gouvernemental confidentiel.

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Ce dernier, émanant de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), montre que l’État français « était bien au courant des conditions dans lesquelles Lafarge maintenait son activité en Syrie en territoire en partie occupé par l’État islamique ».

« C’est une note qui ne laisse plus de place au doute », affirme Libération.

Le document est daté du 26 août 2014 et estampillé « confidentiel défense ». Il y est consigné qu’un « agreement [accord] » a été trouvé entre le cimentier et l’EI pour la poursuite de l’activité commerciale.

Selon l’accord, l’EI a autorisé Lafarge à maintenir ses opérations à Jalabiya dans le nord de la Syrie en échange de 13 millions d’euros.

Middle East Eye n’a pas pu vérifier de manière indépendante l’authenticité du document. Le gouvernement français n’a pas encore émis de commentaires à ce sujet.

« Crimes contre l’humanité »

En juin 2018, Lafarge a été inculpée de complicité de crimes contre l’humanité et de financement d’une organisation terroriste pour des paiements effectués à des groupes armés en Syrie.

Le géant du ciment est accusé d’avoir versé des millions de dollars à des groupes armés, dont l’EI, via des intermédiaires, afin de maintenir ouverte son usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Il est également soupçonné d’avoir vendu du ciment à l’EI.

L’entreprise a par ailleurs été accusée d’avoir mis en danger la vie de ses employés à Jalabiya.

Ce jeudi, la Cour de cassation devait se prononcer sur les différents pourvois déposés dans l’enquête sur les activités du cimentier en Syrie jusqu’en 2014, et en particulier sur l’annulation de sa mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », mais la décision a été reportée au 7 septembre.

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D’un côté, l’ONG Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme (ECCHR) ainsi que onze anciens salariés de Lafarge en Syrie contestent depuis novembre 2019 l’annulation par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris de la mise en examen du groupe pour cette très lourde qualification pénale.

Les associations se lèvent aussi contre le rejet de leurs constitutions de parties civiles, qui les empêche d’avoir accès au dossier, de demander des actes d’enquête aux juges d’instruction et d’espérer une indemnisation en cas de condamnation.

De l’autre, le cimentier, qui reste mis en examen pour « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo », et deux anciens responsables du groupe, l’ex-directeur Sûreté de l’entreprise Jean-Claude Veillard et l’un des ex-directeurs de la filiale syrienne, Frédéric Jolibois, qui se sont pourvus contre l’ensemble des poursuites à leur encontre.

Lafarge a nié à plusieurs reprises sa responsabilité dans les paiements effectués à des groupes armés en Syrie. Lors d’une audience le 8 juin devant la Cour de cassation, Patrice Spinosi, avocat de Lafarge, a souligné que la seule intention de la société était « de poursuivre l’activité de la cimenterie ».

Lafarge, qui a fusionné avec la société suisse Holcim en 2015 pour devenir le plus grand producteur de ciment au monde, a été condamné à verser 35 millions de dollars aux autorités françaises à titre de dépôt de garantie avant le procès.

Selon Sherpa, il s’agit de la première fois au monde qu’une entreprise est accusée de complicité de crimes contre l’humanité. La décision d’inculper Lafarge a été « une étape décisive dans la lutte contre l’impunité des multinationales opérant dans les zones de conflits armés », a déclaré l’ONG.

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