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Les frères Barberousse et Sayyida al-Hurra : trois corsaires musulmans qui défièrent l’Europe

À partir du XVe siècle, la flotte ottomane et les pirates barbaresques engagèrent le combat contre une alliance d’États chrétiens en quête de la suprématie en Méditerranée
La corsaire andalouse Sayyida al-Hurra tourmentait les navires espagnols afin de se venger de l’expulsion des musulmans d’Ibérie (WikiMedia)
La corsaire andalouse Sayyida al-Hurra tourmentait les navires espagnols afin de se venger de l’expulsion des musulmans d’Ibérie (WikiMedia)

La seconde moitié du XVe siècle fut une période extraordinaire de l’histoire du monde, alors que Constantinople tombait aux mains des Turcs ottomans conduits par le sultan Mehmet II, que les Rois Catholiques menaient la Reconquista en Ibérie et que Christophe Colomb découvrait accidentellement qu’il y avait quelque chose de l’autre côté de l’Atlantique…

Avec la découverte de l’Amérique, l’Europe conquit de nouvelles terres riches en ressources naturelles et commença à développer les routes commerciales qui allaient alimenter son développement économique et militaire de manière rapide pour les siècles à venir.

Jusqu’au développement des réseaux de transport transatlantiques, cependant, les puissances du sud de l’Europe portèrent leur attention à des contrées plus proches de chez elles.

Alors que Mehmet II fit de l’Empire ottoman la plus grande puissance militaire d’Anatolie et d’Europe de l’Est, ses successeurs entreprirent d’exercer cette force à travers la Méditerranée.

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Cela créa un conflit entre les Turcs d’une part et les Vénitiens et les ordres militaires religieux tels les chevaliers de Saint-Jean (ordre des Hospitaliers) d’autre part, qui cherchèrent à limiter le pouvoir des musulmans sur les rives méridionales de l’Europe.

En Afrique du Nord, les flottes ottomanes étaient soutenues par des forces irrégulières, connues sous le nom de pirates barbaresques, dont beaucoup étaient des descendants de musulmans expulsés d’Espagne.

Les guerres pour le contrôle de la Méditerranée durèrent des décennies et les conflits connexes se poursuivirent pendant des siècles. Ces batailles exténuantes pour les deux parties furent à l’origine de morts massives en mer et de la capture d’esclaves, entre autres atrocités.

Elles marqueront durablement la culture turque et européenne, ainsi que l’illustrent les descriptions des batailles contre les Ottomans dans Candide de Voltaire ou l’usage de ces conflits comme toile de fond de l’Othello de Shakespeare.

En Turquie, des navires de guerre portent encore les noms des amiraux qui menèrent ces batailles navales en Méditerranée.

Middle East Eye se penche ici sur trois marins ottomans qui jouèrent un rôle crucial dans les premiers succès musulmans.

Oruç Reïs, Barberousse

Parfois appelé Oruç ou Baba-Oruç, Oruç Reïs était un amiral et corsaire ottoman. Il deviendra plus tard le sultan d’Alger.

Né probablement dans les années 1470 sur l’île ottomane de Midilli, qui correspond aujourd’hui à l’île grecque de Lesbos, Oruç Reïs était le second de quatre frères qui prirent tous la mer d’abord comme commerçants, puis comme corsaires au service de l’Empire ottoman.

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 Oruç devint l’un des pirates barbaresques les plus célèbres de l’histoire, apprenant à parler italien, espagnol, français, grec et arabe lors de ses expéditions commerciales.

En revenant de l’une d’entre elles, Oruç et son frère furent attaqués par un groupe de chevaliers de Saint-Jean à Rhodes.

Oruç perdit un de ses frères dans l’attaque et fut blessé, capturé et retenu captif pendant plusieurs années.

Après avoir été secouru par son frère Hayrettin (Khayr ad-Din) et emmené à Antalya, dans le sud de la Turquie, Oruç reçut la protection de Şehzade Korkut, fils du sultan ottoman Bayezid II.

Avec le soutien de Korkut, les deux frères devinrent des corsaires pour contrer la menace posée par les chevaliers de Saint-Jean ainsi que les navires portugais et espagnols.

Parmi ses partisans, Oruç acquit une réputation de figure paternelle (« Baba-Oruç » signifie papa Oruç), après avoir aidé des réfugiés juifs et musulmans à s’échapper d’Espagne pour rejoindre l’Afrique du Nord après la Reconquista.

Il est largement admis que le nom Barberousse est une version romancée de Baba-Oruç ou qu’il a été surnommé ainsi en raison de la couleur de sa barbe.

Oruç Reïs. Représentation allemande de la fin du XVIe siècle (domaine public)
Oruç Reïs. Représentation allemande de la fin du XVIe siècle (domaine public)

À ce jour, Hayrettin et Oruç, connus sous le nom de frères Barberousse, ont inspiré de nombreuses représentations de pirates.

En 1516, Oruç conquit Alger, étendant la puissance ottomane en Afrique du Nord aux dépens de l’Espagne et de ses alliés maures.

Oruç perdit la vie au combat contre les Espagnols en 1518 à Tlemcen (Algérie), mais le contrôle total des Ottomans fut lentement restauré au cours des décennies suivantes.

Après la mort de son frère, Hayrettin poursuivit le combat en Méditerranée, honorant le nom et la mission de son aîné.

L’héritage d’Oruç Reïs est toujours aussi fort en Turquie, où plusieurs vaisseaux, notamment océanographiques, ont été nommés en son honneur.

Hayrettin Pacha Barberousse

Hayrettin Pacha Barberousse, également connu sous le nom de Hızır Hayreddin ou Hizir Reïs, établit sa réputation aux côtés et indépendamment de son frère.

À l’instar d’Oruç, son principal ennemi était l’Empire espagnol : sa haine de la monarchie était sans aucun doute alimentée par les expulsions de musulmans résultant de la Reconquista.

Représentation par un artiste inconnu de Khayr ad-Din (Hayrettin) tenant un trident, symbole de sa puissance navale, XVIe siècle (domaine public)
Représentation par un artiste inconnu de Khayr ad-Din (Hayrettin) tenant un trident, symbole de sa puissance navale, XVIe siècle (domaine public)

Ses succès navals contre les Espagnols en firent l’un des corsaires les plus célèbres de l’histoire et convainquirent les Ottomans d’en faire le grand amiral de leur marine.

Son application à venger la défaite musulmane en Espagne et l’aide qu’il apporta aux réfugiés expulsés d’Ibérie lui valurent le titre honorifique d’« Hayrettin », de l’arabe Khayr ad-Din, qui signifie « la bonté de la foi ».

Hayrettin fut nommé gouverneur d’Algérie après avoir promis fidélité au sultan ottoman Sélim Ier. Il fit par la suite du territoire nord-africain une base d’attaque des navires européens et de missions de sauvetage, y compris le transport de réfugiés d’Ibérie vers l’Afrique du Nord.

À la suite de ses succès contre les Espagnols, les Ottomans le chargèrent de diriger leurs forces navales lors de leurs conflits avec les Vénitiens et les Habsbourg.

En 1538, le corsaire légendaire mena les Ottomans à la victoire lors de la bataille de Préveza contre une alliance de puissances catholiques connue sous le nom de Sainte-Ligue, qui comprenait notamment l’Espagne, le Portugal, Venise et les États pontificaux.

Il joua également un rôle central dans l’établissement de la domination turque en Tunisie, ainsi qu’en Algérie.

Sous Hayrettin, les Ottomans devinrent la puissance dominante en Méditerranée, une situation qui perdura longtemps après sa retraite à Istanbul en 1545, où il mourut un an plus tard.

La bataille de Préveza par les artistes ottomans Osman Nuri Pacha et Hovhannes Umed Behzad, XIXe siècle (Musée naval turc)
La bataille de Préveza par les artistes ottomans Osman Nuri Pacha et Hovhannes Umed Behzad, XIXe siècle (Musée naval turc)

Les frères Barberousse sont les protagonistes d’un drame turc, produit par le radiodiffuseur public TRT, intitulé Barbaros : Épée de la Méditerranée.

Sayyida al-Hurra

D’enfant réfugiée à reine, Sayyida al-Hurra, également connue sous le nom de Lalla Aïcha al-Alami, vit le jour à Grenade en 1485 au sein d’une famille aristocratique andalouse qui fuira l’Espagne après la défaite de l’émirat de Grenade face aux armées chrétiennes en 1492. Elle est mieux connue sous le nom de Sayyida al-Hurra, qui signifie « dame libre » en arabe.

Dans son pays d’accueil, qui représente aujourd’hui le Maroc, Sayyida épousa Sidi al-Mandri II, le gouverneur de la ville de Tétouan, qui fit d’elle son adjointe de facto.

Polyglotte, Sayyida avait un don pour les conseils stratégiques et devint la consultante incontournable de son mari en matière de gouvernance et de diplomatie.

Lorsqu’il mourut en 1515, elle prit ses fonctions de gouverneur et entreprit de faire payer aux dirigeants de sa terre natale leur traitement des musulmans conquis.

Tableau de l’artiste Francisco Pradilla y Ortiz de 1882 représentant la reddition finale des forces musulmanes sous Mohammed XII (Boabdil) face aux soldats dirigés par les monarques espagnols Isabelle et Ferdinand (domaine public)
Tableau de l’artiste Francisco Pradilla y Ortiz de 1882 représentant la reddition finale des forces musulmanes sous Mohammed XII (Boabdil) face aux soldats dirigés par les monarques espagnols Isabelle et Ferdinand (domaine public)

Sayyida, comme la plupart des Grenadins, ne se remit jamais vraiment de la perte de sa patrie. Son mari avait fortifié Tétouan afin de s’en servir comme base de combat contre les Espagnols et les Portugais.

L’ancienne réfugiée andalouse contacta les corsaires barbaresques, puis constitua sa propre flotte avec l’aide et le soutien des frères Barberousse.

Sayyida prit en main l’activité navale musulmane en Méditerranée occidentale tandis que Hayrettin contrôlait la partie orientale.

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Ils forgèrent une alliance qui limita sérieusement les activités des Espagnols et des Portugais en Méditerranée.

Soutenue par ses alliés ottomans, la flotte de Sayyida s’enrichit considérablement grâce au butin et à l’argent des rançons dérivant de leurs batailles et raids. Bien que les chiffres exacts ne soient pas connus, il y avait suffisamment de richesses pour permettre à Tétouan de prospérer et devenir une ville majeure d’Afrique du Nord.

Sa force navale était si puissante que les Espagnols et les Portugais la considéraient comme leur principal point de contact pour les négociations avec les forces musulmanes.

Vers la fin de sa carrière et de sa vie, Sayyida épousa le roi du Maroc, qu’elle aurait impressionné au premier regard.

Une fois mariée, elle continua à gouverner Tétouan et à diriger les corsaires sous son contrôle.

Son règne prit fin après un coup d’État mené par son beau-fils, l’enfant d’al-Mandri, qui la destitua.

Traduit de l’anglais (original).

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