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À travers la mode, une créatrice appelle à mettre un terme à la détresse des Ouïghours

Bien que ses performances sur les podiums touchent une audience mondiale, Louise Xin est bien consciente que son activisme ne peut se résumer à des filles dans des jolies robes protestant lors de défilés de mode
Les prises de position de Louise Xin sur la mode ont suscité énormément de réactions, mais elle est déterminée à sensibiliser au sort des Ouïghours (Photo fournie/Emma Grann)
Les prises de position de Louise Xin sur la mode ont suscité énormément de réactions mais elle est déterminée à sensibiliser au sort des Ouïghours (photo fournie/Emma Grann)

Louise Xin a grandi en adorant la mode et les textiles, ne sachant pas encore que des années plus tard, son amour pour la création allait la catapulter sur la scène mondiale où elle s’exprimerait également sur le plan politique.

Peignant et dessinant sans cesse quand elle était enfant, elle se mit très vite au travail avec les tissus. Bien que Louise Xin n’ait pas de diplôme dans la mode, son travail a réussi à faire tourner les têtes. 

Louise Xin a passé un an à se documenter sur la situation des Ouïghours et utilise aujourd’hui ses créations pour sensibiliser à leur persécution (Photo fournie/Emma Grann)
Louise Xin a passé un an à se documenter sur la situation des Ouïghours et utilise aujourd’hui ses créations pour sensibiliser à leur persécution (photo fournie/Emma Grann)

Cette créatrice de 28 ans vit en Suède et est la propriétaire de la première marque scandinave de haute-couture disponible uniquement à la location. Elle a créé sa marque, à laquelle elle a donné son nom, au pic de la pandémie de covid, une période au cours de laquelle elle a eu le temps de se concentrer sur son rêve pour en faire une réalité.

Connue pour défendre la mode durable et la diversité dans ses looks, le travail de Louise Xin a attiré l’attention de la communauté internationale lorsqu’elle a utilisé sa marque pour appeler à mettre un terme au travail forcé et à la détention des Ouïghours en Chine.

Si Louise Xin avait l’habitude de recycler et d’utiliser des tissus de seconde main dans son travail, ses créations ont toutefois pris un nouveau cap lorsqu’elle a découvert la persécution de la communauté ouïghoure. 

« Mettez fin à l’esclavage moderne »

« J’étais au Japon, c’était pendant la pandémie, lorsque je suis tombée sur un article de BBC News contenant des vidéos des camps dans le Xinjiang », rapporte-t-elle à Middle East Eye.

« C’est la première fois que j’en entendais parler, il m’a fallu un an pour effectuer des recherches solides et me renseigner parce qu’il y avait énormément de propagande chinoise que j’essayais de filtrer », explique-t-elle. 

Louise Xin a passé des jours à se documenter sur ce qui arrivait aux Ouïghours, à lire divers rapports et à regarder des documentaires.

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Ce qu’elle a découvert lui a donné l’envie de faire ce qui était en son pouvoir pour faire la différence. Et le plus puissant des outils à sa disposition était la mode. 

« Quand j’ai creusé davantage et découvert qu’un gouvernement sur cinq à travers le monde a recours au travail forcé ouïghour. Je me suis donné pour mission d’utiliser la tribune que dont je dispose en tant que créatrice de mode pour agir à ce propos. »

Selon un rapport de l’ONU publié cette année, le gouvernement chinois a commis des crimes contre les Ouïghours qui pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité. 

Le rapport cite des exemples et des témoignages de victimes de détention arbitraire, de torture, de persécution culturelle, de travail forcé et d’autres atteintes graves aux droits de l’homme.

Lors de la Fashion Week de Stockholm, qui s’est tenue du 31 août au 2 septembre, la créatrice a vêtu ses mannequins de tenues frappantes, masquées par des tee-shirts blancs oversize sur lesquels on pouvait lire des messages tels que « Mettez fin au travail forcé des Ouïghours », « Mettez fin à l’esclavage moderne » et « Mettez fin au travail des enfants ».

Cette prestation a attiré l’attention de la communauté mondiale qui a été diffusée dans six pays européens, notamment au Royaume-Uni, au Danemark et aux Pays-Bas. 

À la Fashion Week de Stockholm l’année dernière, Louise Xin avait déjà soutenu les droits des Ouïghours, des Palestiniens, des Afghans et de la population du Tigré en Éthiopie.

Les mannequins portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire différentes déclarations notamment « Stop à la guerre à Gaza » et « Je soutiens l’Afghanistan ».

La campagne a été largement saluée par les internautes, l’image postée sur son compte Instagram a été likée plus de 38 000 fois. 

Des mannequins étaient parfaitement informées

« Je crois qu’il y a eu plus d’une trentaine d’articles en neuf langues », indique Louise Xin à propos du succès de sa campagne. Elle a également reçu le prix Fabric of Life, qui célèbre les accomplissements extraordinaires en conception, innovation et durabilité textile.

Cependant, cette campagne n’a pas fait écho qu’auprès des internautes. Selon Louise Xin, elle a également touché de nombreuses personnes de la communauté ouïghoure. 

« Après le défilé, une mère ouïghoure m’a contactée sur Instagram me montrant sa fille de 5 ans et m’expliquant que son père était en prison en Chine. Elle m’a remerciée parce que je continue à me battre pour sa famille. Une autre fille a commenté sous ma vidéo YouTube que c’était la première fois qu’elle voyait de l’humanité en sept ans », relate Louise Xin. 

La créatrice a aussi eu l’occasion de parler à quelqu’un ayant survécu à un camp de travail ouïghour à travers son travail, cette personne vit désormais aux États-Unis et a été touchée par sa campagne de mode. 

Bien que sa performance frappante sur les podiums ait touché une audience mondiale, Louise Xin est bien consciente que son activisme ne peut se résumer à des filles dans des jolies robes protestant lors de défilés de mode. 

Elle s’est assurée avant le défilé que tous les mannequins étaient parfaitement informées des différentes causes et des atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu. 

« Toutes les filles ont fait leur propre pancarte. Je voulais que ces filles fassent partie de mon défilé, il m’a fallu aussi les sensibiliser à propos de leurs pays », précise-t-elle. 

Les mannequins sont d’origines diverses. Chacune portait ses propres accessoires traditionnels en hommage à sa culture.

Louise Xin a même pu utiliser un tissu traditionnel ouïghour qui lui a été donné et l’a fusionné avec son style personnel en en faisant un kimono et un caftan. 

Des efforts qui font la différence

« C’était une campagne pour laquelle nous n’avions pas de budget, je pense qu’elle a reçu la reconnaissance qu’elle a eue parce qu’il ne s’agissait pas de moi ou des vêtements, il était question de la population et des pays faisant l’objet de cette sensibilisation ». 

Au-delà du défilé, Louise Xin s’assure que ses efforts font la différence. 

Cette année, elle est devenue la première citoyenne européenne et première dans l’industrie de la mode à bénéficier de la bourse Sakharov qui permet aux défenseurs des droits de l’homme de suivre une formation de deux semaines au Parlement européen.

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Les participants développent et améliorent leurs capacités à plaider et à créer un changement positif et à protéger les droits de l’homme. 

« J’ai un bon aperçu du travail fait par l’Union européenne pour les droits de l’homme, j’obtiens les outils et les contacts avec des défenseurs des droits de l’homme et des victimes du monde entier pour entrer en contact avec eux et travailler sur des résultats à long terme », indique-t-elle. 

Cette année, elle a particulièrement plaidé pour la fin de l’esclavage moderne et le travail forcé des Ouïghours. Elle a collaboré avec des survivants du travail forcé, dont Nasreen Sheikh, pour s’assurer que les voix des Ouïghours soient mises en lumière.

Après son défilé à la Fashion Week 2022, la Commission européenne a proposé d’interdire les produits réalisés grâce au travail forcé sur les marchés européens. 

Bien que sa campagne de mode soit un succès, elle n’échappe pas aux réactions négatives. Elle-même d’ascendance chinoise, Louise Xin a reçu de nombreux messages de haine en ligne.

« Sur Twitter, j’ai reçu des messages de haine typiques qui disaient : “Tu ne sais pas de quoi tu parles”, ou “Comment sais-tu que ça se passe vraiment comme ça ?” ou “Va en enfer”. Je ne prends rien de tout cela personnellement parce que je m’attendais à ce que cela arrive. J’ai également eu un article dans le Global Times écrit à charge contre moi par des nationalistes chinois. » 

Le manque de couverture des médias mainstream sur ce qui arrive à la communauté ouïghoure est une des choses qui frappe le plus la créatrice.

« Je ne savais pas comment plaider à propos des Ouïghours parce que c’est très rare de voir la mode se mêler à la politique », explique Louise Xin. 

Mais malgré les obstacles auxquels elle a été confrontée, elle rapporte que de nombreuses personnes de la communauté ouïghoure lui ont dit qu’ils ne se sentaient pas considérés auparavant, en particulier par les marques de mode.  

L’activisme de Louise Xin consiste également à encourager la durabilité dans le secteur. 

Actuellement, sa marque fonctionne sur un modèle de location uniquement : aucune robe n’est vendue et aucun morceau de tissu n’est gâché. Les créations de Louise Xin sont uniques, personnalisées, des pièces de couture disponibles à la location pour divers événements, y compris des tapis rouges.

« Avant, on aurait créé nos propres robes ou hérité des vêtements de nos parents ou emprunté quelque chose à quelqu’un. Donc la façon dont on consomme la mode aujourd’hui, en particulier la fast fashion [mouvance de marques produisant des vêtements très vite, très souvent et bon marché] est quelque chose d’assez nouveau. Cela n’a pas toujours été ainsi », explique-t-elle.

La plupart des robes de Louise Xin sont faites à partir de matériaux recyclés et de seconde main. Elle fait de son mieux pour utiliser autant de tissus recyclés que possibles dans le but de créer à l’avenir un système parfaitement circulaire.

Aujourd’hui, son objectif est de construire une fondation qui vient en aide aux victimes de travail forcé sur le terrain en fournissant des ressources financières, un travail rétribué à juste valeur et une éducation pour les enfants

Elle planche également sur une politique zéro déchet, pour que chaque morceau de tissu soit utilisé, et elle réutilise les tissus de robes plus anciennes pour leur donner une nouvelle vie sur une nouvelle robe. 

Aujourd’hui, son objectif est de construire une fondation qui vient en aide aux victimes de travail forcé sur le terrain en fournissant des ressources financières, un travail rétribué à juste valeur et une éducation pour les enfants.

Elle s’implique également davantage dans la sensibilisation. 

Cette année, elle a présidé un débat à la Fashion Week de Paris discutant du travail forcé. Elle a également été invitée à réaliser une exposition et un défilé de mode à l’Institut suédois de Paris. 

« J’espère pouvoir avoir un plus grand impact et aider davantage de gens au fur et à mesure de l’essor de la marque », conclut Louise Xin.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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