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En Tunisie, l’instabilité politique entrave la lutte contre l’extrémisme armé 

La déscolarisation précoce de nombreux jeunes et la montée de la violence dans un contexte marqué par de profondes crises socio-économique et politique expliquent en grande partie l’adhésion à des groupes radicaux
Un membre des forces de sécurité tunisiennes monte la garde sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, le 29 octobre 2020 (AFP)
Un membre des forces de sécurité tunisiennes monte la garde sur l’avenue Habib Bourguiba à Tunis, le 29 octobre 2020 (AFP)

L’attentat de Nice, dont l’auteur présumé est un jeune Tunisien fraîchement arrivé en Europe, relance la question de la lutte contre l’extrémisme armé en Tunisie, où les autorités peinent à mettre en place une stratégie préventive, notamment en raison de l’instabilité politique.

Difficile de savoir si Brahim Aouissaoui, 21 ans, déscolarisé depuis le collège, aurait pu s’être radicalisé en Tunisie ou après son arrivée en Europe fin septembre, et si l’opération a été planifiée depuis la Tunisie ou après son départ. 

Ce meurtre de trois personnes le 29 octobre dans une église de Nice, dans le sud-est de la France, n’a pas été revendiqué.

Mais si la situation sécuritaire en Tunisie s’est nettement améliorée depuis une vague d’attentats en 2015, des attaques continuent à endeuiller ponctuellement le pays, signe qu’une idéologie islamiste radicale et violente continue à conquérir des adeptes.

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« Tout le monde compte principalement sur l’approche sécuritaire et on ne donne pas suffisamment d’importance à l’approche préventive qui n’est pas encore au niveau en Tunisie », souligne Moez Ali, président d’une association membre de la Coalition civile de lutte contre le terrorisme.

La déscolarisation précoce de nombreux jeunes et la montée de la violence dans un contexte marqué par de profondes crises socio-économique et politique, sont des facteurs clés, souligne-t-il. 

Livrés à eux mêmes, ils sont tentés par « le mauvais chemin : soit la mer [émigrer clandestinement], soit rejoindre des groupes radicaux ».

La prévention doit toucher les écoles, les familles, les maisons de jeunes et les prisons, pour promouvoir un sentiment d’appartenance à la société, estime Moez Ali.

Plusieurs auteurs d’attentats tunisiens ont connu une vie marquée par la violence avant de basculer dans un extrémisme meurtrier, selon des témoignages de leurs proches recueillis par l’AFP.

Un discours religieux classique « faible dans la forme et le contenu »

Brahim Aouissaoui avait ainsi eu des démêlés avec la justice tunisienne pour des violences et affaires de drogue, mais n’était pas identifié comme radicalisé. 

« Si nous voulons faire face [au terrorisme], il faut contrer les causes », reconnaît Mounir Ksiksi, président de la Commission nationale de lutte contre le terrorisme (CNLCT).

Les autorités ont mis en place cette commission en 2016, pour tenter de mieux lutter contre le phénomène en amont, par de la prévention et une plus large implication des différents ministères.

Mais elles tardent à concevoir et mettre en œuvre des stratégies de fond, notamment en raison de « l’instabilité politique et la succession des gouvernements », souligne Mounir Ksiksi à l’AFP. 

La Tunisie a eu neuf exécutifs en moins de dix ans, dont certains n’ont tenu que quelques mois.

Or la prévention est un travail de longue haleine, qui doit contrer la montée des discours violents en politique et dans les médias.

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Le discours religieux classique est « faible dans la forme et le contenu, il n’est pas attrayant, ce qui pousse des jeunes à chercher des discours alternatifs » dans des réseaux dont certains prônent parfois la violence, souligne le président de la Commission.

L’attrait des idéologies radicales est accentué par la propagation d’un discours de haine envers les musulmans à l’étranger, et la diffusion large via les réseaux sociaux de contenus radicaux, estime-t-il.

Pour Alaya Allani, spécialiste des mouvements religieux extrémistes, la Tunisie subit les répercussions de l’instrumentalisation de la religion en politique, et de la tolérance envers les groupes radicaux depuis la révolution de 2011.

Il pointe du doigt l’impunité persistante de ceux qui véhiculent un discours religieux radical, et excommunient les musulmans jugés trop modérés, bien que la Constitution interdise cela et garantisse la liberté de conscience.

La difficulté à prévenir l’extrémisme n’est pas propre à la Tunisie : plusieurs auteurs d’attentats tunisiens se sont radicalisés en Europe selon leurs proches et des sources de sécurité.

Ainsi Anis Amri, 24 ans, auteur présumé de l’attaque au camion bélier qui avait fait douze morts le 19 décembre 2016 à Berlin, n’était pas pratiquant avant de quitter la Tunisie en 2011 selon sa famille.  

Un autre Tunisien, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, 31 ans, auteur du massacre du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais à Nice, y résidait légalement depuis 2012, et avait perdu tout contact avec ses proches en Tunisie de longe date.

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