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La démission de Hariri brise les espoirs d’un nouveau Liban

La démission du Premier ministre Saad Hariri menace de tuer le rêve que des alliances remodelées pourraient apporter plus de stabilité à un pays troublé

La démission de Saad Hariri de son poste de Premier ministre, une année seulement après sa nomination, a provoqué une onde de choc dans tout le pays. Politiques, experts et journalistes ont tous exprimé leurs inquiétudes au sujet de la sécurité, de la stabilité et de l’économie du Liban. Pour eux comme pour de nombreux Libanais, cette démission était tout sauf attendue.

La déclaration de Saad Hariri, retransmise par la chaîne satellitaire Al-Arabiya depuis l’Arabie saoudite, était axée sur le Hezbollah et l’Iran, qu’il a cités au même titre que les craintes pour sa vie comme étant les raisons à l’origine de sa démission. Son propre père, l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, avait été assassiné en 2005.

Quelques instants après, on apprenait qu’une tentative d’assassinat « quelques jours plus tôt » sur la personne de Hariri avait été « déjouée »

La rhétorique de son discours était radicalement anti-Hezbollah, comme nous ne l’avions pas entendue de la part de Hariri depuis des années. En fait, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’un discours destiné au ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al-Joubeir.

Quelques instants après, on apprenait qu’une tentative d’assassinat « quelques jours plus tôt » sur la personne de Hariri avait été « déjouée ». Les forces libanaises de sécurité intérieure ont rejeté ces informations.

Michel Aoun a été réélu président de la République du Liban en octobre 2016 (AFP)

Le Liban étant impliqué dans un bras de fer évident entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et les développements politiques qui ont mené à l’élection du président Michel Aoun en octobre 2016 montrant clairement un changement dans les équilibres, il est impossible d’ignorer le facteur géopolitique.

La décision de Samir Geagea, chef du parti politique (chrétien) des Forces libanaises, soutenu par les Saoudiens, d’abandonner sa candidature et de soutenir Aoun (un chrétien maronite) avait été un signe. Bien que les deux hommes soient des ennemis féroces depuis la guerre civile, ils avaient célébré leur union avec des gâteaux et du champagne dans ce qu’ils avaient appelé « un mariage chrétien ».

Cela n’augure rien de bon pour les intérêts de l’Arabie saoudite au Liban

Puis est venu l’appui surprise de Hariri à Aoun, un geste qui a été condamné par des députés de son propre parti, le Courant du Futur. Ces deux soutiens, fondamentaux, ont conduit l’establishment libanais à présenter le gouvernement comme un gouvernement d’union ou de consensus.

Soudain, on a vu éclater le « bloc sunnite » du Liban, où une entité politique sunnite plus ou moins monolithique dirigée par Hariri s’est retrouvée tout d’un coup divisée.

À LIRE : L’alliance contre-nature qui derait se retourner Rafiq Hariri dans sa tombe

Des religieux extrémistes, auparavant restés dans l’ombre de Hariri, sont aujourd’hui devenus plus puissants, et Ashraf Rifi, ex-ministre de la Justice et ancien général des forces de sécurité intérieures, qui avait démissionné du Courant du futur, gagne en popularité grâce à sa position radicale anti-Iran.

Lors des élections municipales à Tripoli, en mai dernier, sa liste indépendante a remporté la majorité des sièges contre la coalition menée par le parti de Hariri, ses alliés et même les partis pro-Hezbollah de la région.

Ashraf Rifi est vu par beaucoup comme le prochain homme fort des sunnites au Liban

En résumé, cela n’augure rien de bon pour les intérêts de l’Arabie saoudite au Liban.

Rifi est vu par beaucoup comme le prochain homme fort des sunnites au Liban, et il n’est pas surprenant que l’Arabie saoudite le regarde d’un œil favorable. Il s’est récemment rendu en visite à Riyad et a été le premier représentant d’un parti politique libanais à commenter la démission de Hariri sur Al-Arabiya.

Loin du bloc sunnite libanais, un parti politique autrefois dominant tente à présent de nouer des liens avec la société civile libanaise.

Soutien populaire croissant

Le parti des Phalanges libanaises (Kataëb), fondé en 1936 sur le modèle des partis fascistes espagnol et italien, a été récemment considéré par l’Arabie saoudite comme un allié potentiel. À la différence des Forces libanaises et du Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun, le parti des Phalanges libanaises dispose seulement d’une poignée de députés au parlement, mais n’a aucun ministre au gouvernement.

Le parti s’est lui-même qualifié d’« opposition », essayant en particulier de rallier la société civile en menant une longue semaine de manifestations contre l’augmentation d’un impôt au printemps dernier.

Dans ses discours et ses conférences de presse, son chef de troisième génération, Samy Gemayel, a subitement commencé à utiliser la même rhétorique que celle des mouvements de protestation apparus lors des manifestations de la crise des ordures de 2015.

Un Libanais tient une pancarte lors d’un rassemblement de masse contre une classe politique considérée comme corrompue et incapable de fournir les services de base, le 29 août 2015, place des Martyrs à Beyrouth (AFP)

Cela a laissé de nombreux membres de la société civile divisés sur la question de savoir s’ils devaient coopérer avec le parti des Phalanges, qui avait joué un rôle actif dans la guerre civile de 1975 à 1990, y compris dans les massacres de Sabra et Chatila en 1982.

Fin septembre, Gemayel s’est rendu à Riyad pour rencontrer le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Rien n’a vraiment filtré sur leur rencontre mais ce ne sera pas la dernière.

Alors que Samir Geagea, le chef des Forces libanaises, a parlé positivement de la démission de Hariri, répétant les préoccupations de l’ancien Premier ministre, ce que l’on peut attendre de ce parti politique chrétien maintenant n’est pas clair. Pour l’instant, il profite d’un soutien populaire croissant et détient des ministères clés. Toutefois, il n’a pas fait de compromis sur sa rhétorique anti-Hezbollah et donc sa place dans la situation actuelle n’est pas claire.

Les élections de 2018 reportées ?

Bien que les élections législatives aient été programmées à l’origine pour l’été 2013, elles ont été reportées depuis. En juin, le gouvernement libanais a donné son aval pour les programmer en mai 2018, après un accord sur la loi électorale. La démission de Hariri pourrait mener à un autre report des élections.

Le contexte politique changeant, les nouvelles circonscriptions électorales récemment découpées auront-elle besoin d’être revues pour satisfaire l’establishment politique ?

Et que va-t-il se passer avec le nouveau gouvernement ? La question va au-delà de l’attribution de ministères ou de l’identité d’un nouveau Premier ministre, ce qui reviendrait aujourd’hui à tirer à pile ou face. Un gouvernement nouvellement formé fonctionnerait, au mieux, six mois à partir du moment où les élections seront programmées.

À LIRE : Le Liban sur la voie du scénario grec ou argentin de faillite financière de l’État

Quatre jours avant la démission de Hariri et après l’avoir rencontré, le ministre d’État saoudien pour les Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhan, a tweeté que les deux s’étaient mis d’accord sur « de nombreux sujets dans l’intérêt des Libanais… ». Après la démission de Hariri, il a simplement tweeté : « Les mains des traîtres et des agresseurs doivent être amputées », une référence évidente au Hezbollah et à l’Iran.

L’absence de gouvernement est indéniablement un grain de sable dans les rouages de la machine du gouvernement libanais.

Des discussions sur les conflits internes et la violence se profilent déjà, et les opposants à l’Arabie saoudite ont accusé le royaume d’essayer de créer l’instabilité au Liban.

Pour Israël, l’État libanais et le Hezbollah ne font qu’un

Mais il faut aussi prendre en compte le facteur israélien. Depuis l’élection d’Aoun, un allié essentiel du Hezbollah, la rhétorique pro-guerre contre le Liban est monté d’un cran. Le thème commun : que l’État libanais et le Hezbollah ne font qu’un.

Le ministre israélien de l’Éducation, Naftali Bennett, a été parmi les plus virulents des officiels israéliens. Début avril, il a publié un papier d'opinion dans The Times of Israel, intitulé « Le Hezbollah est le Liban est le Hezbollah », et, selon cette logique, a expliqué que le Liban dans son ensemble était une cible légitime si une guerre éclatait.

Une fois qu’Hariri a terminé son second mandat de Premier ministre (il l’avait été auparavant pendant 18 mois, de 2009 à 2011), des officiels israéliens ont été prompts à ajouter leur grain de sel.

Pour l’ancienne ministre israélienne de la Justice, Tzipi Livni, le Hamas et le Hezbollah ne devraient pas participer aux élections (AFP)

L’ancienne ministre de la Justice, Tzipi Livni, du parti de l’Union sioniste, a tweeté que cela confirmait simplement que les organisations terroristes, citant le Hamas et le Hezbollah, ne devraient pas participer aux élections.

Les démissions des Premiers ministres libanais ne sont pas rares. Ce sont les circonstances, locales et régionales, entourant le choc de la démission de Hariri qui sont une source d’inquiétude au niveau local.

Lorsqu’Aoun a été élu président, les alliances politiques ont été largement perçues comme l’ouverture d’un nouveau chapitre dans l’histoire du Liban. Bizarrement, il y a eu peu de discussions sur la possibilité que cette « avancée » puisse avoir l’effet inverse que prévu et que le pays retourne à un environnement politique plus intense ou plus hostile – comme c’est le cas aujourd’hui.

Photo : le Premier ministre libanais Saad Hariri a annoncé de manière inattendue sa démission samedi 4 novembre en disant craindre pour sa vie (AFP).

Traduit de l'anglais (original).

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