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Le plan de paix français pour le Proche-Orient cherche à séduire un public national et international

Le plan élaboré par la France pour des pourparlers israélo-palestiniens manque de détails et en dit plus long sur Paris que sur le Moyen-Orient, indiquent des analystes à MEE

Cette annonce a sonné comme un coup de tonnerre : une poussée française visant à relancer les négociations israélo-palestiniennes, la promesse d’un nouveau processus sans les casseroles américaines et la possibilité d’une issue après plusieurs mois de violences qui ont entraîné la mort de centaines de personnes dans les territoires palestiniens occupés et en Israël.

Tout a commencé avec un projet du président français François Hollande en vue d’organiser une nouvelle conférence de paix internationale au printemps, qui serait suivie de pourparlers directs entre les négociateurs palestiniens et israéliens pendant l’été, lesquels seraient censés rétablir un esprit de confiance et donner lieu à des mesures qui pourraient mettre fin à la souffrance dans les deux camps.

Pourtant, cette tentative tant vantée de reprise des pourparlers, qui survient presque deux ans après l’échec de l’initiative américaine de « feuille de route », est déjà confrontée aux mêmes problèmes initiaux : aucun accord pour des pourparlers d’un côté ou de l’autre, un désaccord sur la forme que ceux-ci prendraient et aucun délai pour faire avancer le processus vers son objectif.

Néanmoins, on a assisté au cours des dix derniers jours à une vague de rencontres entre diplomates français, israéliens et arabes. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a rencontré ses homologues de la Ligue arabe en Égypte plus tôt ce mois-ci, une rencontre à l’issue de laquelle la Ligue arabe a approuvé l’initiative française à condition qu’il y ait un calendrier contraignant pour parvenir à des résultats.

Une semaine plus tard, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a discuté avec Hollande par téléphone au sujet de l’accord.

L’envoyé spécial de la France Pierre Vimont a ensuite rencontré Dore Gold, directeur général du ministère des Affaires étrangères d’Israël, et le négociateur en chef Isaac Molho avant de s’entretenir avec le président palestinien Mahmoud Abbas, son ministre des Affaires étrangères Riyad al-Maliki et son négociateur en chef Saeb Erekat.

Il s’agissait selon les diplomates français d’une première étape vers le désamorçage de la « poudrière » qui menace d’exploser alors que les Palestiniens poursuivent leurs attaques au couteau et à l’arme à feu contre des Israéliens en Cisjordanie et au-delà. « Le statu quo ne peut pas durer », a déclaré Ayrault.

Pourtant, les détails restent flous et le projet français n’en est qu’à ses balbutiements. Un diplomate européen à Jérusalem a indiqué à Middle East Eye que les visites françaises en Israël servaient aux deux parties à « tâter le terrain ». Une autre source proche de l’initiative française a affirmé que le principal objectif était d’« écouter et [de] rassurer » les deux camps.

Une mission difficile

Si la France souhaite assumer cette tâche, elle aura beaucoup à faire.

Plusieurs initiatives ont été lancées au cours des dernières années, notamment en septembre dernier lorsque le Quartet, un groupe d’entités internationales, a travaillé sur sa propre « feuille de route » pour mettre en œuvre les anciens accords. Celle-ci a été suivie par d’autres rencontres avec des partenaires régionaux, mais aucune déclaration n’a été faite plus tard sur les progrès accomplis.

À l’ONU, des résolutions sont dans les tuyaux depuis plus de quatre ans. Dernièrement, en octobre, la Nouvelle-Zélande, membre temporaire du Conseil de sécurité, a rédigé une résolution appelant Israël à interrompre la construction de colonies et les démolitions de maisons en Cisjordanie, et a exhorté les Palestiniens à renoncer à engager des actions contre Israël à la Cour pénale internationale (CPI). La résolution est suspendue.

Les Palestiniens recherchent une légitimité auprès de la CPI pour lui permettre d’inculper Israël pour des crimes de guerre commis au cours de la guerre de 2014 à Gaza et de réclamer des enquêtes sur les colonies en Cisjordanie occupée.

En Europe, la chancelière allemande Angela Merkel s’est rangée du côté de Netanyahou en février en affirmant que « ce n’est peut-être pas le bon moment pour prendre des grandes mesures », isolant ainsi les Français.

À ce manque apparent de volonté internationale pour faire avancer les choses s’ajoute l’opposition des deux camps au commencement même des pourparlers.

Gold, le directeur du ministère israélien des Affaires étrangères, a remis en question la « logique » qui sous-tend l’initiative française.

Les diplomates israéliens ne veulent pas d’intervention internationale dans le processus de paix. Netanyahou a répété que « la paix ne peut pas être imposée de l’extérieur ».

« Nous avons vu à plusieurs reprises des gouvernements israéliens se servir des pourparlers comme d’un outil pour gérer le conflit et non uniquement pour le résoudre », a indiqué Ofer Zalzberg, analyste au programme Moyen-Orient de l’International Crisis Group basé à Jérusalem.

Non merci

Bien que les Israéliens aient annoncé qu’ils « étudieraient » la proposition française, ils ne semblent pas prêts à s’impliquer. Après la visite de l’envoyé spécial français, une source européenne basée en Israël a indiqué à MEE que les diplomates israéliens avaient critiqué l’initiative française. « Ce n’est pas le cadre qu’ils ont en tête », a déclaré la source.

Les Palestiniens, enthousiastes au départ, ont changé de position. Après avoir rencontré l’envoyé spécial français, le négociateur en chef Erekat a affirmé qu’« il n’y [avait] pas encore d’initiative », ajoutant qu’il attendait un accord plus détaillé et souhaitait un engagement contraignant.

« Sans délai, il n’y a pas d’initiative », a indiqué à MEE Yaron Ezrahi, professeur de sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem. « Ne pas fixer de délai revient à annuler la dynamique française, et il est décevant de constater que Jean-Marc Ayrault ne s’engage pas sur un délai. »

Contrairement aux Israéliens, les Palestiniens veulent également des partenaires internationaux dans le futur processus. Un ancien négociateur palestinien a expliqué à MEE qu’il s’agissait d’un point essentiel de la stratégie du président Abbas.

« Abbas recherche un soutien international de sorte que les termes soient conformes aux lois internationales, a-t-il précisé. Toutefois, Israël n’a aucune raison de l’accepter, car cela condamnerait de facto un grand nombre de ses politiques vis-à-vis des Palestiniens. »

Pourtant, même avec autant de désaccords devant être négociés avant que des pourparlers puissent avoir lieu, les commentateurs estiment qu’il pourrait s’agir du début d’une nouvelle phase de la diplomatie.

Au cours des dernières semaines, Abbas a fait référence à plusieurs reprises au « succès de l’accord iranien sur le nucléaire », qui a été signé après que l’UE, les États-Unis et l’Iran ont uni leurs forces, et semble espérer une issue similaire pour le conflit israélo-palestinien.

« L’avantage potentiel de l’approche française serait de pouvoir aller au-delà de la gestion exclusivement américaine des efforts de paix, les Français et les autres acteurs internationaux jouant un rôle plus important et étant moins paralysés que les Américains », a indiqué à MEE Daniel Levy, ancien négociateur israélien aujourd’hui directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au Conseil européen des relations étrangères

L’ambition française

L’autre facette de cette poussée, selon les commentateurs, est celle d’un effort fourni par les Français pour jouer un rôle plus important au Moyen-Orient, où les États-Unis tentent de se défaire du rôle empoisonné de « gendarme international ».

Une semaine avant la visite de Vimont, le vice-président américain Joe Biden s’est rendu à Jérusalem, Tel Aviv et Ramallah. Mais il n’a rien eu de nouveau à proposer au sujet des pourparlers de paix, reflétant le scepticisme apparent du président Barack Obama quant aux chances de résolution avant qu’il ne quitte la Maison Blanche en janvier prochain.

« Il y a deux écoles de pensée », a déclaré le Dr Mahdi Abdul Hadi, qui dirige le think-tank PASSIA (« Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs »). « Soit les Français remplaceront les Américains en tant que médiateurs, soit l’initiative française fait partie d’un programme occidental partagé et il est question d’une division du travail entre les Européens et les Américains. »

Abdul Hadi a ajouté que l’intérêt soudain de la France comportait également une dimension nationale.

« La France souhaite transmettre un message aux électeurs français et leur indiquer qu’elle suit ce qui se passe au Moyen-Orient, en particulier après les attentats de Paris. »

Ofer Zalzburg a partagé cet avis : « Pour la France, c’est principalement une question de politique nationale. Il y a des communautés juives et musulmanes importantes en France qui sont affectées par les tensions entre Israël et les Palestiniens. »

Interrogé quant à savoir s’il s’agissait d’une raison légitime pour mener une initiative de paix entre Israël et la Palestine, un ancien négociateur palestinien a répondu : « Eh bien, tous les moyens sont bons. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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