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« Fier d’être libanais » : Carlos Ghosn lance au Liban sa contre-attaque contre la justice japonaise

Prenant la parole en homme libre, à Beyrouth, pour la première fois depuis quatorze mois, l’homme d’affaires libano-franco-brésilien crie au complot, dénonce la justice nippone et présente ses « excuses » aux Libanais pour avoir visité Israël
L’ex-patron de Renault-Nissan lors de sa conférence de presse à Beyrouth le 8 janvier (AFP)
Par Paul Khalifeh à BEYROUTH, Liban

Lors de sa première apparition publique, mercredi 8 janvier, à Beyrouth, après sa rocambolesque évasion le 29 décembre du Japon, où il était poursuivi pour malversations financières, Carlos Ghosn est apparu combattif et déterminé.

Entouré de son épouse Carole, de ses avocats, et flanqué d’un garde du corps, l’ex-patron de Renault-Nissan a été assailli par une armée de photographes qui l’ont mitraillé avec leurs flashs, à son arrivée dans la salle de conférence de l’Ordre de la presse libanaise, situé dans un quartier ultra-sécurisé, à un jet de pierres de la résidence officielle du président du Parlement, Nabih Berry.

Devant 150 journalistes libanais et étrangers, triés sur le volet, le magnat déchu de l’industrie automobile a déployé de grands talents de communicateur, se livrant pendant près d’une heure à une présentation pour « laver son honneur » et « rétablir sa réputation », avant de se prêter avec facilité au jeu des questions-réponses, passant avec aisance de l’anglais au français, ou de l’arabe au portugais.

Virulent réquisitoire contre la justice nippone

Carlos Ghosn s’est d’abord livré à un virulent réquisitoire contre le « système », en allusion à la justice japonaise, détaillant les « mauvais traitements » qui lui ont été infligés et les difficiles conditions de détention qu’il a vécues. Une justice basée sur la « présomption de culpabilité » et qui veut « arracher des confessions sous la pression et l’intimidation ».  

Au Liban, l’ex-patron de Renault-Nissan incarne le symbole de la brillante réussite des Libanais de la diaspora dans le monde

Il s’est ensuite employé à démonter un à un, documents et chiffres à l’appui, les chefs d’accusation retenus contre lui, clamant son innocence dans toutes les affaires qui lui sont reprochées aussi bien en France qu’au Japon.

Carlos Ghosn s’est longuement étendu sur sa version des faits pour expliquer son arrestation, qui serait un « coup monté » par les dirigeants de Nissan en collusion avec le procureur et la complicité de hauts responsables officiels dont il a tu les noms pour ne pas « nuire aux relations entre le Liban et le Japon ».

L’homme d’affaires libano-franco-brésilien n’a pas caché sa joie et sa satisfaction de se trouver au Liban, où il peut « parler librement » et défendre sa cause. « Je suis aujourd’hui fier d’être libanais », a-t-il déclaré au milieu des applaudissements, remerciant le pays de « l’avoir soutenu » tout au long de cette période.

Carlos Ghosn n’aurait d’ailleurs pas pu trouver meilleur refuge que son pays d’origine, où il a fait toute sa scolarité (au collège jésuite de Jamhour) avant d’aller suivre des études universitaires à Paris.

Au Liban, l’ex-patron de Renault-Nissan incarne le symbole de la brillante réussite des Libanais de la diaspora dans le monde. Preuve de son aura au pays du Cèdre, les autorités ont créé, en 2017, un timbre à son effigie.

Liens affectifs et financiers au Liban

Carlos Ghosn a de toute façon toujours maintenu des liens affectifs et financiers très étroits avec le Liban, qu’il s’est employé à renforcer ces dix dernières années en venant régulièrement et en investissant dans plusieurs secteurs de l’économie libanaise.

Il possède 5 % des actions de la banque Saradar (une banque d’affaires) et est partenaire dans un projet de développement immobilier de luxe, Cedrar. Mais son plus beau succès est la viticulture, avec la création d’un vin, Ixsir, qui s’est taillé une belle place dans un marché concurrentiel au Liban et dans le monde.

Après son arrestation le 18 novembre 2018 au Japon, un vaste élan de solidarité avait vu le jour, avec la création d’un comité de soutien et la signature d’une pétition qui a recueilli des milliers de noms.

Bien que son retour surprise au Liban, le 30 décembre, ait été moqué par certains Libanais, notamment au sein du mouvement de contestation qui agite le pays depuis le 17 octobre, il a été bien accueilli par un grand nombre de leurs concitoyens. « Il est chez lui ici, à l’abri du harcèlement de la justice japonaise », a déclaré à Middle East Eye Soha, la quarantaine, qui habite non loin de sa résidence dans le quartier huppé d’Achrafié.

Les autorités officielles n’étaient pas en reste. Dès l’annonce de son arrivée, la Sûreté générale a assuré qu’il était entré au Liban de manière légale et qu’il ne faisait l’objet d’aucune poursuite. Le ministère des Affaires étrangères est allé plus loin en coupant court à toute demande d’extradition émanant du Japon, soulignant qu’il n’existait aucun accord de coopération judiciaire entre les deux pays.

Une voiture entre dans le parking souterrain d’une maison identifiée comme appartenant à Carlos Ghosn dans un quartier huppé de Beyrouth, le 31 décembre, deux jours après sa fuite du Japon (AFP)
Une voiture entre dans le parking souterrain d’une maison identifiée comme appartenant à Carlos Ghosn dans un quartier huppé de Beyrouth, le 31 décembre, deux jours après sa fuite du Japon (AFP)

Lors de sa conférence de presse, Carlos Ghosn a refusé de donner des détails sur sa fuite digne des meilleurs romans policiers. La presse libanaise avait, dès le lendemain de son retour, révélé que son évasion était l’œuvre d’une agence de sécurité privée.

Aujourd’hui, on en sait davantage. Une source informée a confirmé à MEE que la cavale avait été minutieusement préparée par un Libanais, George-Antoine Zayek, et son partenaire américain, Michael Taylor, qui ont fait leurs armes dans le monde de la sécurité privée en Irak, du temps de l’occupation américaine. L’opération a nécessité de gros moyens logistiques et aurait coûté des millions de dollars.

Comparution devant le procureur au Liban

Même si sa présence au Liban lui procure sécurité et quiétude, Carlos Ghosn devra malgré tout avoir affaire à la justice libanaise. Il sera entendu, dans les prochaines heures, par le procureur au sujet du mandat d’arrêt international émis par Interpol à la demande du Japon.

« Je présente mes excuses, je n’aurais pas imaginé qu’une partie des Libanais seraient blessés par cette visite [en Israël] »

- Carlos Ghosn

Il ne s’agit cependant que d’une procédure ordinaire qui ne peut en aucun cas se terminer par une arrestation et encore moins par une extradition.

« Il sera libéré sous caution », assure à MEE Chucri Sader, ancien président du Conseil d’État. « Le Liban ne remet pas ses ressortissants à un pays étranger, la loi l’interdit. »

Le magistrat souligne cependant que le mandat d’arrêt international pourrait réduire sensiblement la marge de manœuvre de Ghosn, qui se verrait interdire de nombreux pays au risque de se faire appréhender. 

L’ex-magnat de l’industrie automobile pourrait aussi être entendu dans le cadre d’une affaire plus délicate. Trois avocats, Jad Tohmé, Hassan Bazzé et Ali Abbas ont transmis une note au parquet accusant Carlos Ghosn d’avoir visité « un pays ennemi « et d’avoir violé la loi de boycott d’Israël. Effectivement, l’ex-patron de Renault Nissan s’était rendu à Tel Aviv en janvier 2008 pour étudier le projet d’un réseau de voiture électrique. Il avait rencontré à cette occasion le président et le Premier ministre de l’époque, Shimon Peres et Ehud Olmert.

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La loi libanaise interdit tout contact avec des Israéliens ou visite en Israël, un pays avec qui le Liban est techniquement en guerre depuis 1948.

Carlos Ghosn a été interrogé par des journalistes au sujet de cette visite lors de la conférence de presse mercredi. Il a précisé avoir entrepris ce voyage en tant que Français, à la demande du conseil d’administration de Renault. « Je présente mes excuses, je n’aurais pas imaginé qu’une partie des Libanais seraient blessés par cette visite », a-t-il admis.

Le procureur se contentera-t-il de ces explications ?

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