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Pour Hassan Nasrallah, l’« accord du siècle » est « gelé »

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, met en garde Benyamin Netanyahou contre une grande guerre dans la région et affirme que la Syrie, l’Iran et son parti n’accepteront pas la modification par Israël des règles d’engagement en Syrie
Le secrétaire général du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah, lors de l’entretien télévisé sur la chaîne Al-Mayadeen, samedi soir (capture d’écran/AFP)

BEYROUTH – L’un des objectifs de l’entretien accordé, en direct, samedi soir, par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, au journaliste Ghassan ben Jeddou, était de démentir les rumeurs d’origine israélienne sur ses présumés graves problème de santé.

« Ce n’est pas à chaque fois qu’il y a une information de ce type que je me sens obligé de la démentir », a-t-il déclaré au PDG de la chaîne panarabe Al-Mayadeen, basée à Beyrouth. « Car le jour où je ne le ferai pas, ils en déduiront que c’est vrai. Mais cette fois, nous avons décidé de montrer que la rumeur était infondée. » 

Le hashtag « Nasrallah brise le silence » a animé la toile libanise ces dernières 72 heures (Twitter/@S_H_Nassrulah)

Au-delà du démenti, Hassan Nasrallah, qui s’est livré pendant près de trois heures et demie à un exercice de guerre psychologique, dans lequel il excelle, a proposé une analyse géopolitique des développements dans la région, et a adressé une série de messages, notamment à Benyamin Netanyahou.

« Soyez prudent dans ce que vous faites en Syrie, ne procédez pas à une mauvaise évaluation qui pourrait entraîner la région dans une grande guerre », a-t-il lancé au Premier ministre israélien, ajoutant qu’« à n’importe quel moment, la Syrie, l’Iran et le Hezbollah pourraient décider de réagir autrement contre les agressions israéliennes», en allusion aux raids menés dans la nuit du 20 au 21 janvier par l’aviation israélienne contre des cibles sur le territoire syrien. 

« Netanyahou nous a rendu un immense service car il a introduit la peur dans le cœur des colons en affirmant que ces tunnels devaient servir à l’entrée en Galilée du Hezbollah en cas de nouvelle guerre »

- Hassan Nasrallah

Le leader du Hezbollah, qui est entré dans la soixantaine, s’est longuement étendu sur l’opération israélienne Bouclier du nord visant à détruire les tunnels supposément creusés par le Hezbollah à la frontière avec le Liban.

Tel Aviv avait récemment annoncé la fin de cette opération après la découverte de « tous les tunnels ». « Êtes-vous sûrs qu’ils ne vous mentent pas et qu’ils ont effectivement trouvé tous les tunnels ? », a-t-il lancé à l’adresse des habitants des colonies de la Galilée, dans le but évident de semer le trouble et la méfiance entre eux et les dirigeants israéliens.

« Netanyahou et Eizenkot mentent aux Israéliens »

« La recherche de tunnels se poursuit et l’opération n’est pas terminée, contrairement à ce qu’ils prétendent », a affirmé le chef de la résistance anti-israélienne. « [Benyamin] Netanyahou nous a rendu un immense service car il a introduit la peur dans le cœur des colons en affirmant que ces tunnels devaient servir à l’entrée en Galilée du Hezbollah en cas de nouvelle guerre. Cela prouve que les Israéliens ont pris au sérieux mes propos lorsque j’ai dit qu’éventuellement, nous pourrions entrer en Galilée. » 

« L’argent qu’ils dépensent, les murs qu’ils construisent, la plus grande manœuvre défensive, organisée par l’armée israélienne fin 2017, prouvent qu’ils ont peur », a ajouté Hassan Nasrallah.

Soldats israéliens autour d’un point d’entrée pour pénétrer un des tunnels entre Israël et le Liban (AFP)

Le leader libanais poursuit : « Netanyahou et [Gadi] Eizenkot [ancien chef d’état-major israélien] ont menti à leur peuple en assurant que la destruction des tunnels nous empêcherait d’entrer en Galilée si nous le souhaitons. Comment peuvent-ils être si sûrs qu’il n’existe pas d’autres tunnels ? D’ailleurs, l’entrée en Galilée ne repose pas sur l’existence de quatre tunnels. C’est toute la frontière, les vallées, les montagnes, qui seront concernées. »

« Si Israël lance une guerre contre le Liban, nous déciderons alors si nous entrerons en Galilée et par quels moyens. La découverte de tunnels n’affecte pas, même dans une proportion de 10 %, nos capacités à entrer en Galilée. Nous avons même trouvé une solution au mur que les Israéliens construisent à la frontière. Le prix que paiera Israël en cas d’agression contre le Liban sera beaucoup plus élevé qu’il ne l’imagine. Toutes les options seront ouvertes », a-t-il menacé. 

« Netanyahou pourrait se tromper dans son évaluation en Syrie ou à Gaza. S’il va trop loin, il risque de provoquer une grande guerre dans la région » 

- Hassan Nasrallah

Le chef du Hezbollah a mis en garde les Israéliens contre toute tentative de modifier les règles d’engagement – à l’instar par exemple d’une attaque contre le Liban ou d’assassinats de responsables de la résistance au Liban ou en Syrie. Cela provoquera, selon lui, une riposte immédiate. 

« À cause de ses ambitions, de considérations électorales et des problèmes qu’il a avec la justice, Netanyahou pourrait commettre des erreurs », a averti le chef du Hezbollah. 

« À n’importe quel moment, l’axe de la résistance, avec à sa tête la Syrie, pourrait décider de riposter à toute agression. Netanyahou pourrait se tromper dans son évaluation en Syrie ou à Gaza. S’il va trop loin, il risque de provoquer une grande guerre dans la région. »

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Dans le même temps, Hassan Nasrallah a estimé peu probable que les Israéliens lancent une guerre contre le Liban à ce stade. « C’est surtout en Syrie qu’ils pourraient commettre une erreur d’appréciation », a-t-il réaffirmé.   

Le Hezbollah possède des missiles de haute précision et Israël ne peut plus rien faire pour l’en empêcher, a encore averti Nasrallah. 

« À une certaine époque, les Israéliens craignaient que nous ayons des roquettes d’une portée de vingt kilomètres. Nous en avions des modèles capables d’atteindre des cibles à 40 kilomètres, c’est-à-dire Haïfa. Ils n’ont rien pu faire. Ensuite, nous pouvions frapper au-delà de Haïfa, puis Tel Aviv. Ils étaient impuissants. Puis nous avons dit que nous avions les moyens de frapper tout le territoire de la Palestine occupée. Les Israéliens ont désespéré de nous en empêcher. Ils ont alors dit qu’ils n’accepteraient pas que nous possédions des missiles de haute précision, c’est-à-dire avec une marge d’erreur de 15, 20 ou 50 mètres. Je leur annonce que ce type d’armes se trouve déjà dans nos arsenaux. »

Un combattant du Hezbollah brandit le drapeau du groupe, lors d’une visite guidée dans une zone montagneuse autour de la ville syrienne de Flita, le 2 août 2017 (AFP)

S’adressant à la population israélienne avec une pointe d’ironie, Hassan Nasrallah a souligné qu’il était dans l’intérêt de celle-ci que le Hezbollah possède des armes d’une telle précision, car cela permettra de toucher les cibles souhaitées et d’éviter les pertes civiles. « En cas de nouvelle guerre, tout Israël est à portée de nos missiles et nous en possédons une quantité suffisante », a-t-il martelé.

Si, par le passé, l’axe de la résistance (Syrie-Iran-Hezbollah) évitait toute escalade avec Israël, estimant que la priorité était d’en finir avec les groupes armés à l’intérieur, la situation interne s’est améliorée et les choses ont changé. 

Pour Nasrallah, l’axe de la résistance s’estime dans une position plus confortable et pourrait décider de riposter à n’importe quel moment à une éventuelle attaque israélienne

Selon Hassan Nasrallah, l’armée syrienne s’est reconstruite, la défense antiaérienne syrienne est plus performante, les Russes n’accordent plus à Israël une marge de manœuvre aussi large que par le passé en Syrie, la situation en Irak est plus favorable aux alliés de l’Iran, l’Iran a absorbé le choc des sanctions américaines et la situation au Liban sur le plan stratégique est bonne.

Pour toutes ces raisons, l’axe de la résistance s’estime dans une position plus confortable et pourrait décider de riposter à n’importe quel moment à une éventuelle attaque israélienne.  

Les Américains quittent la région

Le leader du Hezbollah, dont les troupes participent à la guerre aux côtés de l’armée syrienne depuis 2013, a aussi longuement parlé de la crise en Syrie. « La situation est bien meilleure qu’en 2011 même si nous ne pouvons pas encore parler d’une victoire totale. »

Selon lui, le retrait des troupes américaines de Syrie n’est pas surprenant car le président Donald Trump avait annoncé, il y a près de sept mois, son intention de quitter cette région de « sable et de mort ». 

Mais le Pentagone et les autres agences militaires lui ont demandé un délai de six mois pour essayer d’obtenir des contreparties politiques. 

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Hassan Nasrallah a ainsi révélé que les Américains avaient proposé aux Russes, il y a quelques mois, un départ de l’armée américaine en contrepartie d’un retrait des Iraniens et du Hezbollah. 

Moscou a transmis la proposition au président Bachar al-Assad, qui l’a rejetée, refusant de mettre sur un pied d’égalité les « troupes d’occupation américaines et les Iraniens qui sont en Syrie à la demande du gouvernement syrien ». 

Forces américaines accompagnées par des combattants des Unités de protection du peuple (YPG) près du village syrien de Darbasiyah, au nord de la Syrie (AFP)

Les Russes ont transféré le même message au président Hassan Rohani. « On m’a demandé conseil et j’ai répondu que les Américains allaient sortir de Syrie de toute manière, sans leur offrir la moindre concession », a affirmé Nasrallah. « Les Russes n’ont exercé aucune pression, contrairement à ce qu’affirment certains médias sur des divergences entre Moscou et Téhéran, même si parfois les Russes peuvent être poussifs. »

Nasrallah a ainsi révélé que les Américains avaient proposé aux Russes un départ de l’armée américaine en contrepartie d’un retrait des Iraniens et du Hezbollah.

Le retrait américain est « un échec et une défaite » et il aura lieu d’ici à quatre mois, a-t-il assuré. Cette décision et l’annonce par Donald Trump que son pays ne jouera pas indéfiniment le rôle de policier dans la région ont effrayé ses alliés dans la région. 

« Les partis kurdes sont venus à Beyrouth pour nous rencontrer », a-t-il révélé. « De là, ils sont allés à Moscou et en Iran. » Leur souci était d’obtenir des garanties et d’ouvrir des canaux de dialogue avec le gouvernement syriens et ses alliés. 

Le revirement des pays du Golfe

Le départ annoncé des Américains de Syrie serait, selon Hassan Nasrallah, à l’origine du début de la normalisation des relations entre les pays du Golfe et Damas, et qui s’est traduite par le voyage du président soudanais Omar el-Béchir en Syrie, la réouverture de l’ambassade des Émirats arabes unis (EAU) dans la capitale syrienne, et le voyage au Caire du chef de la sécurité nationale syrienne, Ali Mamlouk. 

Dans ce contexte, le leader du Hezbollah a fait état d’une « réunion d’évaluation de la situation en Syrie » tenue à Dubaï entre de hauts responsables saoudiens et émiratis. Ils seraient parvenus aux conclusions suivantes. 

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D’abord, que le projet de renverser le président Assad avait échoué et que la bataille contre lui était terminée. Ensuite, que Trump, en annonçant le départ de ses troupes, avait offert la Syrie au président turc Recep Tayyip Erdoğan. La Turquie devient ainsi l’ennemi prioritaire en Syrie, avant l’Iran. Car à cause de la barrière communautaire, l’Iran chiite ne peut pas avoir une très grande influence auprès des sunnites, contrairement à la Turquie. Enfin, que l’avancée du projet turc en Syrie est celle d’un axe regroupant la Turquie, le Qatar et les Frères musulmans. 

Le président syrien Bachar al-Assad (à droite) reçoit son homologue soudanais Omar el-Béchir à son arrivée à Damas, le 16 décembre 2018 (SANA/AFP).

Pour toutes ces considérations, les pays du Golfe auraient décidé de normaliser leurs relations avec la Syrie. Hassan Nasrallah a révélé que lors de son entretien avec le président Assad, Omar el-Béchir lui avait conseillé d’envoyer une lettre à la Ligue arabe pour demander la restitution de son siège à la Syrie. 

La réponse du président Assad aurait été la suivante : « La Syrie n’a pas quitté la Ligue arabe, elle en a été exclue. Que ceux qui l’ont suspendue lui demandent de récupérer sa place. » 

« Les Américains ne feront aucune guerre pour les beaux yeux d’Israël ou de Mohammed ben Salmane »

- Hassan Nasrallah

La tournée du secrétaire d’État américain Mike Pompeo dans les pays de la région avait pour but, toujours selon Hassan Nasrallah, de rassurer les « alliés effrayés par le retrait annoncé ». 

« Je dis aux dirigeants de la région et aux Israéliens que les Américains s’en vont », a-t-il martelé. « Ils veulent même quitter l’Afghanistan après un cuisant échec dans ce pays face aux taliban avec lesquels ils négocient à Doha. Dans l’accord conclu avec ce mouvement, ils s’engagent à retirer leurs troupes de ce pays dans les dix-huit mois et demandent aux taliban des garanties qu’ils lutteront contre al-Qaïda et Daech. Les Américains ne feront aucune guerre pour les beaux yeux d’Israël ou de Mohammed ben Salmane. »

La nouvelle donne qui se profile dans la région aura forcément des répercussions sur l’« accord du siècle » proposé par Donald Trump pour résoudre le conflit israélo-arabe, pense le chef du Hezbollah. 

L’« accord du siècle » sérieusement compromis 

« Cet accord reposait sur trois piliers : Trump, MBS et Netanyahou », a-t-il décrit. « Netanyahou est dans une situation difficile, comme l’on sait. Il a perdu tous ses paris en Syrie et est confrontée à la justice de son pays. Début 2018, Jared Kushner [le gendre de Trump responsable du dossier israélo-arabe] a rencontré les Jordaniens et les Égyptiens qui lui ont franchement dit que l’‘’accord du siècle’’ avait besoin d’épaules fortes pour être porté. Le plus important était MBS, qui s’était engagé à faire accepter ce plan [par les Arabes] en contrepartie du trône pour les cinquante prochaines années ». 

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« Or Mohammed ben Salmane est très affaibli à cause de ses problèmes internes, de ses revers au Yémen et des répercussions de l’assassinat de Jamal Khashoggi », poursuit le chef du Hezbollah. « Il a lui-même besoin d’être sauvé. De plus, les Américains ne trouveront aucun Palestinien prêt à accepter une solution qui ne prévoirait pas un État avec, dans le pire des scénarios, Jérusalem-Est comme capitale de l’État de Palestine ».

Pour toutes ces raisons, Hassan Nasrallah pense que « l’accord du siècle est gelé ».

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