L’assassinat de Qasem Soleimani promet « une guerre dévastatrice » en Irak
Il était l’une des personnalités les plus populaires en Iran. Le puissant général iranien Qasem Soleimani, 62 ans, chef de la force al-Qods des Gardiens de la révolution, chargée des opérations extérieures de la République islamique, a été tué dans le bombardement de l’aéroport de Bagdad mené par les États-Unis dans la nuit de jeudi à vendredi.
Il a été assassiné avec son lieutenant irakien depuis des décennies, Abou Mahdi al-Mouhandis, véritable patron du Hachd al-Chaabi, coalition de paramilitaires désormais intégrée à l’État irakien.
Une « agression américaine », une « escalade dangereuse », un acte de « terrorisme » : les réactions ce matin laissent penser que la relation entre l’Iran et les États-Unis va entrer dans une nouvelle phase d’escalade militaire.
L’annonce de sa mort à la télévision officielle irakienne, qui citait des sources du Hachd al-Chaabi, a ensuite été confirmée par le Pentagone.
« Sur ordre du président, l’armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l’étranger en tuant Qasem Soleimani », a indiqué le ministère américain de la Défense dans un communiqué.
Le président Donald Trumpt n’a pas immédiatement fait de commentaire mais il a tweeté un drapeau américain.
Qasem Soleimani, une personnalité centrale en Iran et en Irak
Chef de la force al-Qods des Gardiens de la révolution, Soleimani était un personnage charismatique qui a notamment exercé une influence clé dans les tractations politiques depuis 2018 en vue de former un gouvernement en Irak.
Cet homme de 62 ans à la barbe poivre et sel était aussi devenu ces dernières années une véritable star en Iran, avec de très nombreux followers sur son compte Instagram.
Pour ses partisans comme pour ses détracteurs, Soleimani, qui a joué un rôle important dans le combat, notamment contre le groupe État islamique (EI), est l’homme clé de l’influence iranienne au Moyen-Orient, où il a renforcé le poids diplomatique de Téhéran, notamment en Irak et en Syrie, deux pays où les États-Unis sont engagés militairement.
En Iran, plongé dans le marasme économique, certains lui avaient suggéré de se lancer sur la scène politique locale. Mais le général iranien avait tenu à rejeter les rumeurs selon lesquelles il aurait pu se présenter à l’élection présidentielle de 2021.
Pourquoi les États-Unis en avaient fait un ennemi ?
Le Pentagone a rappelé que le général Soleimani était le chef des opérations extérieures des Gardiens de la révolution, une organisation considérée comme « terroriste » par Washington depuis avril dernier.
Le général iranien, qui présidait aux négociations pour former le futur gouvernement irakien, « préparait activement des plans pour attaquer des diplomates et des militaires américains en Irak et à travers la région », ajoute le communiqué, qui attribue au puissant général iranien la mort de « centaines » de soldats américains et alliés.
« Il avait orchestré les attaques contre les bases de la coalition en Irak ces derniers mois, y compris l’attaque du 27 décembre, culminant avec la mort et les blessures d’autres Américains et du personnel irakien », ainsi que l’attaque de cette semaine contre l’ambassade des États-Unis à Bagdad, souligne le Pentagone.
Avant de se retirer mercredi des abords de l’ambassade, les manifestants pro-iraniens qui l’avaient attaquée la veille avaient peint des graffitis sur les murs d’enceinte proclamant « Non à l’Amérique » et « Soleimani est mon chef ».
L’homme, décrit comme calme et peu bavard, a déployé notamment ses talents dans l’Irak voisin. À chaque développement politique ou militaire dans ce pays, il a fait le déplacement, pour agir en coulisses et, surtout, en amont.
Percée de l’EI, référendum d’indépendance au Kurdistan ou aujourd’hui formation d’un gouvernement... à chaque fois, il a rencontré les différentes parties irakiennes et défini la ligne à tenir, affirment différentes sources qui ont assisté à ces réunions, toujours tenues dans le plus grand secret.
Son influence était ancienne puisqu’il dirigeait déjà la force al-Qods lorsque les États-Unis ont envahi l’Afghanistan en 2001.
Après être resté dans les coulisses pendant des décennies, Soleimani a commencé à faire la une des médias après le début du conflit en Syrie en 2011, où l’Iran, poids lourd chiite de la région, apporte une aide précieuse aux forces de Bachar al-Assad.
Il est ainsi apparu sur des photos sur le champ de bataille, dans des documentaires et a même été représenté dans un film d’animation et une vidéo musicale.
Ce haut commandant des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de la République islamique d’Iran, avait également raconté avoir passé au Liban, avec le Hezbollah chiite libanais, l’essentiel du conflit israélo-libanais de l’été 2006, dans un entretien exclusif diffusé par la télévision d’État iranienne en octobre dernier.
« L’Irak à feu et à sang »
Le raid américain de la nuit « va déclencher une guerre dévastatrice en Irak », a réagi le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi, en dénonçant une « agression » de Washington contre son pays et en laissant entendre que Bagdad pourrait remettre en cause la présence des 5 200 soldats américains stationnés dans le pays.
Le président iranien Hassan Rohani a promis que « l’Iran et les autres nations libres de la région » prendraient « leur revanche sur l’Amérique criminelle pour cet horrible meurtre ». Téhéran a convoqué le responsable de l’ambassade suisse, qui représente les intérêts américains, pour dénoncer le « terrorisme d’État de l’Amérique ».
Face à cette « escalade extrêmement dangereuse », selon les termes du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif, se pose prioritairement la question de la réponse de Téhéran.
Hassan Nasrallah, chef du mouvement chiite libanais Hezbollah, grand allié de l’Iran, a promis vendredi « le juste châtiment » aux « assassins criminels » responsables de la mort du général iranien.
Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a lui aussi menacé de « venger » la mort de Soleimani et décrété un deuil national de trois jours.
« L’Iran ne peut pas réellement toucher les États-Unis sans risquer l’autodestruction. Mais il peut mettre l’Irak à feu et à sang », souligne le spécialiste de l’Irak, Fanar Haddad.
« Personne n’imaginait même que c’était une possibilité. Maintenant, tous les acteurs vont improviser, au moins à court terme, et c’est la recette parfaite pour des mauvais calculs », prévient Ramzy Mardini, chercheur au United States Institute of Peace. « L’Iran ne peut plus utiliser ses lieutenants en Irak comme une couverture pour menacer et attaquer les intérêts américains sans risquer des représailles conventionnelles. »
Depuis des années, Bagdad met en garde contre la possibilité que ses deux grands alliés ne se servent de son sol comme d’un champ de bataille où régler leurs comptes, dans un contexte de plus en plus tendu autour du dossier nucléaire iranien.
Et, aujourd’hui, explique Fanar Haddad à l’AFP, « les meilleures cartes de l’Iran sont en Irak » : « Si l’Iran a besoin de répondre et de marquer le coup, ce qui est à redouter, ce ne sera pas seulement avec des roquettes contre des ambassades mais avec ce qui pourrait prendre la forme d’un conflit majeur en Irak », avance-t-il.
Des réactions partagées aux États-Unis
« Il n’a eu que ce qu’il méritait », a tweeté le sénateur républicain Tom Cotton.
« Soleimani était un ennemi des États-Unis, la question n’est pas là », a noté le sénateur démocrate Chris Murphy dans un tweet. « La question est celle-ci : est-ce que l’Amérique a assassiné, sans autorisation du Congrès, la deuxième personnalité d’Iran, provoquant consciemment une guerre régionale massive ? »
La présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, a accusé la frappe américaine de représenter « une escalade dangereuse dans la violence ». « L’Amérique, et le monde, ne peuvent pas se permettre une escalade des tensions qui atteigne un point de non-retour », a-t-elle insisté dans un communiqué.
« Le président Trump vient de jeter un bâton de dynamite dans une poudrière, et il doit au peuple américain une explication », a aussi dénoncé l’ancien vice-président Joe Biden, en lice pour la primaire démocrate en vue de l’élection présidentielle de novembre.
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