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Macron « convoque » ses partenaires africains pour légitimer la présence militaire française au Sahel 

Emmanuel Macron tente d’infléchir la colère d’une opinion africaine de plus en plus critique face au déploiement militaire français dans la région sahélienne
Manifestation à Bamako, la capitale malienne, le 10 janvier contre la présence militaire étrangère (AFP)

Face à la multiplication des attaques de groupes islamistes armés au Sahel, Emmanuel Macron réunit ce lundi les présidents de cinq pays de la région pour renforcer la légitimité contestée des militaires français déployés sur place et mobiliser les alliés européens.

Ce sommet, qui réunit les présidents du G5 Sahel (Tchad, Niger, Burkina Faso, Mali, Mauritanie), accueille également à Pau (sud-ouest de la France) le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, et le président du Conseil européen, Charles Michel.

La réunion se tient au lendemain de l’annonce des pires pertes subies par l’armée nigérienne, jeudi, dans une attaque au cours de laquelle 89 soldats ont été tués, dans le camp de Chinégodar, près du Mali, selon un nouveau bilan annoncé dimanche.   

Le président français se rendra d’abord sur la base du cinquième régiment d’hélicoptères de combat de Pau, dont étaient originaires sept des treize soldats français tués en opération au Mali en décembre. Avec ses homologues africains, il déposera une gerbe en leur mémoire. 

Cinq dirigeants conviés abruptement

Les cinq dirigeants avaient été conviés abruptement à Pau début décembre par le président français, irrité par les critiques de leurs opinions publiques contre les 4 500 soldats français de la force Barkhane et des déclarations jugées ambiguës de certains de leurs ministres.

En lançant cette invitation, perçue comme une « convocation » par certains présidents sahéliens, Emmanuel Macron avait averti qu’il mettrait toutes les options sur la table, y compris celle d’un retrait ou d’une décrue de Barkhane.

Le président français avait toutefois reporté d’un mois ce sommet après l’attaque du camp nigérien d’Inates, la plus meurtrière depuis 2015 (71 morts).

Le sentiment anti-français se développe en particulier au Mali où, vendredi, un millier de personnes ont encore manifesté à Bamako pour réclamer le départ des troupes françaises et étrangères. 

Colère malienne

Selon Le Point, « plusieurs organisations de la société civile [malienne], voire des personnalités reconnues et des activistes, n’ont pas oublié que dans la reconquête du nord du Mali, la France a fait le choix de ne pas laisser l’armée malienne reprendre le contrôle de Kidal, le fief des rebelles, alors que les FAMa [Forces armées maliennes] ont été autorisées à entrer dans les villes de Tombouctou et de Gao, à la suite des soldats français ». 

« Nombreux sont ceux qui pensent encore que ce ‘’péché originel‘’ avait pour objectif du côté de Serval de protéger les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad [MNLA] qui contrôlait Kidal. Aujourd’hui, cette décision qui visait à éviter des exactions de la part des FAMa contre les Touaregs [et aussi sur le plan stratégique de continuer à travailler avec le Mouvement national de libération de l’Azawad allié de la France dans la traque aux djihadistes] est l’argument qui revient le plus pour expliquer le retournement des populations contre Barkhane », explique Le Point.

Ce lundi, Paris veut avant tout obtenir une déclaration commune des cinq pays qui soulignera que la France agit à la demande de ses dirigeants, afin de « relégitimiser » sa présence, explique la présidence. 

« Il faut tout d’abord obtenir des responsables politiques une position nette sur ce qu’ils souhaitent ou pas », a tranché la ministre française des Armées Florence Parly samedi.

« La rencontre sera décisive, en ce qu’elle permettra de mettre sur la table toutes les questions, tous les griefs, toutes les solutions », avait jugé le président malien Ibrahim Boubacar Keïta début janvier.

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« Après la disparition en opération des treize soldats français, Emmanuel Macron avait invité les pays africains impliqués à ‘’clarifier‘’ leur position vis-à-vis de l’intervention française au Sahel. Une façon diplomatique de taper du poing sur la table, de mettre les dirigeants du Mali, du Niger, du Burkina Faso, de Mauritanie et du Tchad devant leurs responsabilités », rappelle le Huffington Post

« Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français au Sahel alors que l’ambiguïté perdure à l’égard des mouvements antifrançais », avait averti le président français. 

« La présence militaire française ne sert pas seulement à essayer de lutter contre le terrorisme », affirme au journal Le Monde le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, auteur du livre Une guerre perdue

« Elle garantit aussi aux gouvernements en place qu’il n’y aura pas de coups d’État contre eux. N’a-t-on pas carrément dévié le mandat de Barkhane, qui ne concerne que les groupes djihadistes, pour aller bombarder une colonne de rebelles tchadiens venant de Libye [en février 2019] ? Tout ça pour sauver la peau du soldat Idriss Déby, bizarrement présenté comme l’élément de stabilité de la région », poursuit le chercheur.

Une nouvelle opération : Tacouba

Au-delà de son volet politique, le sommet de Pau vise aussi à revoir la stratégie militaire contre les groupes extrémistes dans cette zone aussi vaste que l’Europe et appeler à une participation accrue des alliés internationaux, surtout européens.

Le sommet de Pau vise aussi à revoir la stratégie militaire contre les groupes extrémistes dans cette zone

Le président nigérien Mahamadou Issoufou entend ainsi lancer à Pau « un appel à la solidarité internationale » pour que le Sahel et la France ne soient pas seuls dans ce combat contre ce « fléau ».

La France est par ailleurs en train de mettre sur pied une opération baptisée Tacouba (épée, en talacheq, langue des Touaregs), réunissant des forces spéciales d’une dizaine de pays européens.

Paris espère que le sommet de Pau convaincra des Européens réticents, favorables à la lutte contre les groupe armés dans la région mais inquiets de voir la France critiquée. 

Autre inquiétude, les hésitations des Américains, dont l’appui militaire dans la région est irremplaçable, explique l’Elysée.

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Car depuis l’attaque d’Inates, le sang ne cesse de couler dans cette zone sahélienne semi-désertique, devenue depuis 2012 le terrain d’action de plusieurs groupes armés, pour certains affiliés à al-Qaïda ou au groupe État islamique (EI). 

À la veille de Noël, sept militaires et 35 civils avaient été tués à Arbinda (Burkina Faso), suivis le 9 janvier par les 89 soldats nigériens tués à Chinégodar, aux confins du Niger et du Mali. 

Des attaques de plus en plus audacieuses face auxquelles la force conjointe du G5Sahel, lancée en 2017, semble impuissante. 

Les Français ont multiplié les contre-offensives mais leurs résultats militaires ne se voient pas assez, regrette la présidence.

Selon l’ONU, plus de 4 000 personnes ont été tuées dans des attaques terroristes en 2019 au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Le nombre des déplacés a décuplé, approchant le million.

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