« On a ramené la coupe, il reste les vipères » : les Algériens fêtent leur victoire mais n’oublient pas la politique
Les drapeaux avaient peut-être servi l’après-midi pour le 22e vendredi de mobilisation contre le pouvoir. Le soir, ils étaient de nouveau dans rue, flottant dans les airs ou entourant les épaules des Algérois descendus par milliers dès le coup de sifflet final.
À ce moment-là, les vuvuzelas fébriles qui s’échauffaient quelques secondes avant se sont emportés, les pétards ont fait trembler la terre et Alger s’est embrasée à la hauteur de l’événement : la victoire en Coupe d’Afrique des nations (CAN) en finale contre le Sénégal (1-0), un sacre que les Verts n’avaient pas connu depuis 1990.
« Belmadi [l’entraîneur de l’équipe nationale] mérite d’être notre président ! », hurle Youssef, 25 ans, à Middle East Eye, en finissant dans un sanglot. « Vous avez vu quand il a demandé aux joueurs de se prosterner devant le drapeau et le public ? C’était fort ! C’est une belle équipe et l’Algérie montre qu’elle est capable du meilleur. Nous avons besoin de gens comme lui. »
À Hussein Dey, un quartier d’Alger habité aussi par le football grâce à une prestigieuse équipe nationale, le NAHD, des jeunes filles, des mères et des grands-mères sont descendues dans les rues avec enfants, poussettes et drapeaux pour célébrer la victoire. Dans une chorale de klaxons et de chants, des voitures surchargées ont commencé leur défilé vers le centre-ville déjà fermé.
Place Audin, dans la lumière rouge des fumigènes qui donnaient à la nuit un air d’apocalypse, il semblait que toute la capitale s’était retrouvée pour sautiller, marcher et crier sa joie.
« On a fait tomber un président et on a gagné une coupe la même année ! On a de quoi être fiers, non ? », s’emporte Linda, 28 ans, en secouant son écharpe verte et blanche.
Le téléphone à la main pour filmer le cortège qui passe près de lui, le sourire fixé au visage, Mohammed, 32 ans, ingénieur en informatique, ne peut s’empêcher non plus de faire des parallèles avec la politique.
« Vous savez, même Adlene Guedioura [le milieu de terrain algérien] a comparé cette coupe d’Afrique au hirak, alors ça veut tout dire », déclare-t-il à MEE. « Rien ne peut nous arrêter maintenant ! ».
Aux traditionnels « One, two, three ! Viva l’Algérie ! » se sont greffés « La Casa del Mouradia », ce chant de supporteurs devenu l’hymne du mouvement du 22 février, ou de nouveaux slogans comme « On a ramené la coupe, il reste les vipères ».
Les propos de Noureddine Bedoui, le Premier ministre, une des têtes de Turcs des manifestants, qui s’était engagé « à mobiliser tous les moyens matériels et humains disponibles pour satisfaire » les supporteurs, lesquels ont fait le déplacement au Caire grâce à l’affrètement de 28 avions par le gouvernement et l’armée, n’ont pas calmé les esprits.
« Les joueurs ont été très corrects : au moment de la remise des médailles, ils ont salué [le chef de l'État par intérim] Abdelakder Bensalah avec respect. Même quand l’attaché de défense algérien au Caire est venu serrer la main aux joueurs, ils n’ont rien dit », souligne Adel, 36 ans, dans son tee-shirt des Fennecs (l’autre nom des joueurs de l’équipe nationale) en levant la voix pour se faire entendre dans la clameur qui gagnait la ville et les explosions des feux d’artifice.
« Pour l’instant, c’est la fête. On doit marquer cette victoire comme il se doit. Mais après, on continuera notre combat. Yetnahaw ga3 [qu’ils partent tous] ! »
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