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Tunisie : l’application proposant des hommes à « louer » contre le harcèlement était un fake

Elle proposait des chaperons pour accompagner les femmes dans la rue ou en soirée : Rouijel était finalement une fausse application. Mais selon ses concepteurs, l’annonce de son lancement a atteint son but : sensibiliser la société au harcèlement
Des Tunisiennes scandent des slogans lors d’une manifestation en 2012 pour protester contre les violences faites aux femmes (AFP)
Par MEE

En Tunisie, l’annonce du lancement d’une « nouvelle » application dédiée aux femmes a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux. 

Le 22 juillet, Ahmed Farhat, un jeune Tunisien se présentant comme le PDG de la société Rouijel, présentait dans une vidéo cette application qui allait «  révolutionner » le quotidien des Tunisiennes. En moins de 24 heures, la vidéo a enregistré plus de 600 000 vues. 

https://www.facebook.com/RouijelApp/videos/385671555639561/?__xts__[0]=68.ARDveu9529hQ8DsBg0g0PvkT0R6SeTcS1Jl6KXUG7VQWNJKZBILBAZ

« Rouijel », un diminutif en dialecte tunisien du mot rajel (homme), proposait de fournir aux Tunisiennes « un accompagnateur », leur permettant ainsi de sortir dans la rue sans être harcelées ou agressées.

Pour les « clientes », l’idée était de « louer » un homme, payé à l’heure ou au mois (en fonction du forfait acheté), pour les accompagner lors de leurs trajets vers la faculté, dans la rue ou encore lors de soirées.

À l’origine de cette application : une équipe française « consciente des problèmes de harcèlement sexuel en Tunisie », expliquait le PDG de la société. « L’application est d’ailleurs une des success stories du programme French Tech initié par le président Macron », assurait-il.

Les « accompagnateurs » devaient être sélectionnés « pour garantir le respect de la femme tunisienne », assurait encore Ahmed Farhat en insistant sur le slogan de l’application : « Avec Rouijel, on libère la femme tunisienne ! ».

L’annonce a suscité de vives critiques sur les réseaux sociaux. Des internautes ont jugé l’application « sexiste », parlant d’« humiliation ».

https://twitter.com/dalizzoo/status/1153347275546091521?s=20
https://twitter.com/Lenounette/status/1153311618639552514?s=20

D’autres ont estimé que l’application était « une ridicule infantilisation » des Tunisiennes.

Mais certains internautes ont dénoncé un canular destiné à une campagne de sensibilisation contre le harcèlement des femmes.

Mercredi soir, une nouvelle vidéo a été diffusée, révélant le véritable objectif de l’application. 

https://www.facebook.com/faza.tn/videos/vb.1041130562706291/466781460552142/?type=2&theater

Le PDG Ahmed Farhat s’appelle en réalité Iskander et est étudiant. Avec deux amis, ils ont eu l’idée de lancer cette « fausse application » afin de sensibiliser la société aux agressions verbales et physiques subies par les Tunisiennes dans les lieux publics.

Les trois étudiants ne comptent pas s’arrêter à cette campagne de sensibilisation : ils ont l’ambition de coopérer avec des ONG et des fondations internationales pour des projets de défense des droits des femmes garantissant leur sécurité dans les lieux publics. 

Ils réfléchissent même à des propositions de lois « sérieuses » contre le harcèlement dans la rue. 

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« Nous voulions que l’annonce de cette fausse application soit la plus provocante pour susciter des réactions virulentes. Nous avons atteint notre objectif car nous souhaitions que le citoyen tunisien extériorise ce qu’il ressent ou pense au sujet du harcèlement », a commenté un des étudiants. « Notre objectif à travers cette annonce était de susciter des réactions contre l’application et en faveur de la dignité de la femme tunisienne », a-t-il affirmé.

En 2017, l’article 16 du projet de loi relatif à la lutte contre la violence à l’égard des femmes a été amendé. D’après cet article, tout harcèlement dans un endroit public par la parole ou par l’acte sera désormais puni de trois mois de prison ferme et/ou 500 dinars (156 euros) d’amende au lieu d’une année de prison ferme.

Selon une étude publiée en 2016 par le Centre de recherches, d’études de documentation et d’information sur la femme (CREDIF), 90 % des Tunisiennes se font harceler dans les transports, 80 % ont déjà subi des violences sexuelles et 97 % des victimes n’osent pas porter plainte. 

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