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Algérie : le responsable du salon du livre dérape sur le sujet des violences contre les femmes

Sur un plateau télé, le commissaire du très réputé Salon international du livre d'Alger, a déclaré qu'un homme qui bat sa femme devrait le faire « avec gentillesse ». Des propos qui scandalisent de nombreux Algériens, dont l'écrivain Kamel Daoud
Le commissaire du Salon international du livre d'Alger (SILA) sur le plateau de « Kahwa oua journane » (Un café et un journal) (Capture d'écran)
Par MEE

La sphère algérienne des réseaux sociaux s’est affolée, ce mercredi 20 septembre, après les propos tenus par Hamidou Messaoud, le responsable du très célèbre Salon international du livre d’Alger (SILA) sur la chaîne de télévision privée Ennahar TV.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=4eKgpaqycaA

Invité de l’émission « Kahwa w journane » (Un café et un journal) et interpellé sur les livres interdits de salon, le commissaire évoque « un petit livre » présent sur les stands l’an dernier, intitulé Comment frapper sa femme.

Il commente alors, sur le ton de la plaisanterie : « Entre nous, ils auraient dû ajouter au titre : ‘’Et comment frapper un homme. Parce que de temps en temps, l’homme se fait taper aussi’’. Néanmoins, ce genre de livre peut nous [aux Algériens] être utile. Parce que nous, on utilise parfois la violence. »

À ce moment-là, l’animateur, Billel Kebache, le coupe en lui répondant : « Hamidou, cela ne nous concerne pas ». Mais le commissaire du salon du livre, aussi directeur général de l’Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG), poursuit : « Parce que parfois, le mec frappe sa femme, et quand tu la vois après, on dirait qu’un camion lui est rentré dedans. Au moins quand il frappe, qu’il frappe avec un peu de gentillesse. »

À LIRE : Droits des femmes en Algérie : les lois progressent mais pas les mentalités

Pour Nadia Aït Zaï, avocate et directrice du Centre d’information sur les droits de l’enfant et de la femme (CIDDEF) à Alger, le commissaire du salon ne « banalise pas uniquement la violence ». « Il la justifie en reconnaissant que les Algériens sont un peu violents et que ce livre peut être un mode d'emploi pour eux », explique-t-elle à Middle East Eye. « Son rôle de commissaire du SILA l'appelait à plus de réserve et non pas à afficher ses sentiments. C'est grave pour quelqu'un qui représente l'État et non pas ses humeurs. »

Sur les réseaux sociaux, les Algériens ont vivement réagi en mettant en avant la gravité de ces paroles compte tenu de la fonction occupée par Hamidou Messaoud. Certains ont préféré en rire, en revisitant le best-seller Cinquante nuances de Grey, le roman érotique traitant de sado-masochisme, parodié par « Les cinquante nuances de Hamidou ».

Pour l’écrivain Kamel Daoud, qui est attendu au prochain SILA, du 26 octobre au 5 novembre 2007 pour son dernier roman Zabor ou les psaumes, paru aux éditions Barzakh en Algérie, en coédition avec Actes Sud en France, « le bon sens, autant que la dignité, imposent que l’on boycotte le prochain salon du livre d’Alger, par solidarité avec les femmes battues. »

Traduction : « Voilà le niveau : le commissaire du salon du livre. Et voilà le secteur : la culture sous les auspices d’Azzedine Mihoubi. Je suis très triste pour mon pays. »

Selon l’Union nationale des femmes algériennes (UNFA), plus de 7 000 femmes ont été victimes de violences en 2016, un chiffre sans doute bien en-deçà de la réalité, de nombreuses femmes ne voulant pas déposer plainte contre un membre de leur famille.

En mars 2015, le parlement algérien a difficilement adopté une loi criminalisant les violences faites aux femmes, le texte ayant été bloqué au Sénat par les conservateurs qui avait jugé la loi « contraire aux valeurs de l’islam ».

Samedi, le commissaire du SILA a rendu publique une lettre d'excuses : « Je suis très attaché à l’humour populaire qui fait partie de la culture et de la sagesse de notre peuple », écrit-il. « La blague que j’ai rapportée visait à dénoncer et non à louer les hommes qui battent leurs femmes […] Si j’ai pu, bien involontairement, choquer quelques téléspectateurs et téléspectatrices, je m’en excuse sincèrement auprès d’eux. J’ajoute que le public du SILA est majoritairement composé de femmes et en tant que lectrices, mais aussi écrivaines et intellectuelles, leur contribution à la promotion du livre et de la culture en Algérie est fondamentale. »

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