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Algérie : les jeunes dans les partis politiques, une espèce en voie de disparition

Alors que les moins de 35 ans manifestent massivement chaque vendredi pour faire entendre leur voix, ceux qui mènent une action politique au sein d’un parti sont plus rares
Il y a un décalage entre l’engagement politique des jeunes et leur mobilisation réelle dans les manifestations (MEE/Adlène Meddi)
Par Kenza Merzoug à ALGER, Algérie

Dans une villa du centre de Zéralda, à 25 km d’Alger, Amine Arib, 30 ans, donne la parole à tour de rôle à des citoyens de tout âge venus un samedi après-midi aux portes ouvertes de Jil Jadid. Lorsqu’un participant demande à son voisin de s’exprimer en arabe alors qu’il intervient en français, Amine le recadre fermement mais avec bienveillance : « Chacun s’exprime dans la langue qu’il souhaite ».  

Un peu plus tard, deux citoyens d’une soixantaine d’années haussent le ton et s’interrompent. « Jamaa ! [interjection pour désigner un groupe], à tour de rôle ! », prie le modérateur.  

Loin des clichés de l’homme politique âgé en costume qui monopolise la parole et impose ses opinions, le jeune homme, vêtu sobrement d’une chemise et d’un jeans bleu marine, veille à ce que chaque citoyen s’exprime.

Il répond avec enthousiasme à leurs interrogations et expose les positions du parti sur les sujets abordés.

Pas de langue de bois

Le coordinateur de la wilaya d’Alger, également secrétaire national chargé des finances et membre du conseil politique du parti, débute son action politique à 22 ans.

« À Jil Jadid, nous étions porteurs d’un projet de réforme de la société. Nos réflexions et nos discussions ont vite montré leurs limites. Il fallait s’organiser au sein d’un parti. L’action politique s’est donc imposée à moi ». Le but de son engagement ? Intégrer l’État pour diffuser ce projet de société. 

« Le degré d’implication des jeunes dans la vie politique recule »

- Abdelouhab Fersaoui, président du RAJ

Amine Arib est loin d’être le seul jeune cadre au sein de ce parti. Chez Jil Jadid, 80 % des responsables du parti ont entre 25 et 35 ans.

« Notre discours clair et transparent plaît aux jeunes. Il n’y a pas de langue de bois et surtout, on ne traîne pas de casseroles ». Pour la plupart des membres de l’équipe, il s’agit d’une première expérience politique. 

Bien que le responsable des adhésions à Jil Jadid, Walid Hadjadj, également âgé de 30 ans, note une augmentation des demandes parmi les moins de 35 ans, il est difficile de conclure à un engouement de la jeunesse pour l’action politique. 

« Le degré d’implication des jeunes dans la vie politique recule », affirme Abdelouhab Fersaoui, président du Rassemblement actions jeunesse (RAJ), une association nationale à caractère social.

Selon un sondage mené par l’association en 2012, seuls 2 % des moins de 35 ans interrogés adhèrent à un parti politique. En 2017, ce chiffre aurait chuté à 1 %.

« Les partis ont jusqu’à présent été entre les mains du système », regrette Fersaoui. Selon lui, la jeunesse a commencé à s’exprimer dans la rue, un premier acquis. « Avec le temps et si l’on va vers une période de transition, les Algériens vont bien sûr se réapproprier ces outils pour faire entendre leur voix et leur projet. On ne peut pas se passer des partis politiques », reconnaît-il. Avant de conclure : « S’ils arrivent à adhérer à un parti, c’est déjà un degré élevé d’éveil citoyen ».

Les jeunes forment le gros des manifestants chaque vendredi. Ici à Alger, vendredi 22 mars (MEE/Adlène Meddi)

Abdelkader Larbi, 30 ans, a commencé à s’intéresser à la politique à l’âge de 10 ans. 

Ce natif de Relizane (ouest) fut un militant du Mouvement de la société pour la paix (MSP, parti islamiste tendances Frères musulmans) pendant treize ans avant de rejoindre le Mouvement démocratique et social (MDS, de gauche). Assis dans une salle de réunion du siège au Telemly, cet enseignant d’arabe est dans son élément.

Autour de lui, de hautes étagères débordent de journaux et de livres. Ce sont ses multiples lectures qui l’ont amené à quitter le MSP qu’il avait rejoint avec son frère. « Je militais mais je n’étais pas complètement convaincu », raconte-t-il. 

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Éduqué dans un famille musulmane soufie, avec des valeurs de tolérance et de respect de l’autre, il finit par se sentir en décalage avec le modèle islamiste. « J’avais la mémoire de l’islam soufi inculqué par mes parents ».

Au MDS, il affirme avoir retrouvé les valeurs de son enfance : « la tolérance, le pardon, la justice et l’égalité ». Pourquoi milite-t-il ? « Je veux trouver des solutions aux problèmes des Algériens ».

C’est également ce qui anime Nadjiba Jilali, 33 ans, élue du FLN (parti du pouvoir) dans un quartier populaire du centre d’Alger. La jeune femme connaît les rues d’Alger comme sa poche et se réjouit de pouvoir « tout faire à pied ». Elle rejoint le FLN à 22 ans après s’être déjà impliquée dans des mouvements associatifs. 

Nadjiba a le sentiment de ne pas être écoutée par les têtes du parti en tant que jeune femme.

« J’agis à mon niveau en faisant remonter les revendications des habitants de mon quartier dans nos procès-verbaux », relativise-t-elle. Ce qui la motive à rester, c’est le sentiment de pouvoir changer les choses en étant à l’intérieur du système. 

Les jeunes peinent à s’imposer dans les partis traditionnels

« Il ne me semble pas que les partis tels qu’ils sont aujourd’hui soient des cadres de véritable débat démocratique », analyse le politologue Nedjib Sidi Moussa. « Ils représentent des repoussoirs car ils ont été déformés par le régime. »

Centralisés, autoritaires et peu enclin à accepter les divergences, c’est ainsi que les partis traditionnels sont décrits par Sidi Moussa.

« Les partis représentent des repoussoirs car ils ont été déformés par le régime »

- Nedjib Sidi Moussa, politologue

Pour lui, ces structures sont cadenassées et verrouillées par des personnes plus âgées qui maîtrisent davantage les logiques d’appareil et les réseaux.

« Lorsqu’un jeune plein d’ambition prend conscience de ces limites d’ascension, il quitte très vite le parti pour se replier vers l’associatif ou les ONG, c’est une façon d’être dans le politique ». Une dynamique internationale, selon le politologue.

Quant à l’augmentation du nombre d’adhésions dans les partis comme Jil Jadid, Sidi Moussa reconnaît que de nombreux anciens militants qui ont été déroutés, essaient de reprendre contact.

Il y a une forte volonté de créer des cadres de discussion, tisser des liens sans sectarisme. « Une certaine catégorie de la jeunesse va aller vers d’autres cadres comme NABNI (le think thank Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées) ou participer à des assemblées de citoyens, comme les lectures de poésie sur les marches du théâtre national. »

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