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Au Maroc, bientôt l’égalité pour les femmes des « terres collectives »

Adoptée en Conseil de gouvernement, une réforme pourrait bientôt obliger à indemniser les femmes soulaliyates, qui luttent depuis des années pour être dédommagées lors des ventes des terres de leur tribu
Le projet de loi devrait ouvrir la voie à une indemnisation des femmes des tribus lors des ventes des terres, alors qu’elles en étaient, jusqu’ici, presque systématiquement exclues. Ici, un sit-in en mars 2017 à Rabat (ADFM/Facebook)
Par Rémy Pigaglio à CASABLANCA, Maroc

Après des années de lutte, les femmes soulaliyates pourraient enfin accéder à l’égalité avec les hommes. Jeudi 14 février, le Conseil de gouvernement marocain a adopté trois projets de loi qui vont réformer de fond en comble le régime des terres collectives. 

Selon l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), qui détient une copie des textes, le projet de loi 64.17 prévoit explicitement que les femmes et les hommes jouissent de ces terres utilisées collectivement par les tribus. Ce qui devrait ouvrir la voie à une indemnisation des femmes des tribus lors des ventes de ces terres, alors qu’elles en étaient, jusqu’ici, presque systématiquement exclues.

Pour la création d’une « classe moyenne » agricole

« Ces textes répondent à nos revendications. C’est une avancée qui a été permise grâce au combat des femmes soulaliyates, soutenues par l’ADFM », se réjouit Saida Drissi, présidente de l’association. Les projets de loi doivent encore être adoptés en Conseil des ministres, présidé par le roi Mohammed VI, puis par le Parlement, ce qui pourrait prendre encore plusieurs mois.

Régies par un dahir, c’est-à-dire un décret royal adopté en 1919, à l’époque du Protectorat français, les terres collectives sont en général utilisées pour l’agriculture, l’élevage, ou encore pour y construire des logements. Ce document prévoit que les terres puissent être cédées sous certaines conditions contre une indemnisation des membres de la tribu. Entre huit et dix millions de personnes seraient concernées sur une superficie de quinze millions d’hectares.

Alors que les cessions de terres se multiplient au fur et à mesure de l’expansion urbaine, souvent au profit des promoteurs immobiliers, les femmes soulaliyates n’obtiennent la plupart du temps pas ou moins d’indemnités que les hommes. En 2012, une circulaire du ministère de l’Intérieur avait pourtant obligé tous les agents de l’État à veiller à l’application de l’égalité entre les femmes et les hommes.

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« Nous n’avons cessé de dire qu’une circulaire ne résoudrait pas le problème. Seule une loi permettra d’imposer l’égalité », assure Saida Drissi. De plus, selon l’ADFM, le projet de loi indique explicitement que les femmes pourront représenter la tribu dans des conseils de tutelle présidés par le ministère de l’Intérieur.

Évoquée depuis des années, l’adoption d’un nouveau régime des terres collectives a été accélérée par un discours du roi Mohammed VI prononcé en octobre 2018. Le souverain avait alors appelé à la création d’une « classe moyenne agricole », notamment via « la mobilisation des terres agricoles appartenant aux collectivités ethniques » (les terres collectives). 

Mohammed VI assurait que cette mesure « permettrait de mobiliser un million d’hectares supplémentaires de ces terres » grâce à la distribution de titres fonciers aux ayants-droits, appelée la « melkisation » des terres.

De nouvelles inquiétudes avec la « melkisation » des terres

Si l’égalité dans l’indemnisation des ventes de terres collectives semble être pratiquement acquise, le processus de « melkisation » pourrait en revanche faire naître de nouvelles inquiétudes. 

Plusieurs tribus ont mené, ces dernières années, une lutte contre l’appropriation de leurs terres par des promoteurs immobiliers, à l’image des Ouled Sbita près de Salé (au nord de Rabat). 

« Ces projets de loi n’ont été élaborés ni dans l’intérêt des ayants droit  [membres des tribus qui exploitent les terres], ni dans celui des femmes soulaliyates. Ils visent en revanche à faciliter la vente de ces terres aux promoteurs immobiliers, ce qui va engendrer plus de marginalisation pour les membres des tribus », alerte Driss Sedraoui, président de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l’homme (LMCDH). 

Saida Drissi, de son côté, craint que les femmes ne soient lésées lors de la « melkisation » car, selon elle, la plupart des exploitants et leurs héritiers sont des hommes. « Nous allons suivre sa mise en œuvre », indique-t-elle. « Mais c’est un processus qui va prendre des années ».

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