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Ces Français musulmans qui votent FN

En 2012, 4 % des Français de confession musulmane ont voté pour Marine Le Pen au premier tour des présidentielles, selon l'Ifop. Qu’en est-il en 2017 ? Doit-on s’attendre à un vote musulman frontiste ? Comment expliquer un tel choix ?
Mohamed Bellebou (1er en partant de la droite), délégué de la fédération départementale Pyrénées-Orientales du Front national, aux côtés de Louis Aliot, vice-président du FN, sur le marché de Bessières, Haute-Garonne, en octobre 2016 (avec l'aimable autorisation de Mohamed Bellebou)

PARIS – L’islam est compatible avec la République, déclarait Marine Le Pen en septembre dernier après un été consacré à la diabolisation du « burkini » par les différents partis politiques français. Peu importe « la couleur de peau, l'orientation sexuelle ou la religion, nous ne reconnaissons pour les citoyens qu'une seule communauté, la communauté nationale », ajoutait la présidente du Front national (FN) lors de sa rentrée politique à Brachay ce même-mois.

Ce discours ouvert à l’islam, qui tranche avec la réputation xénophobe du parti d’extrême-droite, séduit-il les musulmans de France, qui représenteraient environ 5 % du corps électoral ?

Oui, à en croire ses responsables, tel Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN, contacté par Middle East Eye : « L'électorat du Front national a toujours été très populaire ; il est surtout composé des Français qui souffrent, donc des Français qui habitent dans les quartiers les plus défavorisés. Des Français qui ne sont pas de confession musulmane et, maintenant, des Français qui sont de confession musulmane ».

En décembre 2015, Jordan Bardella, tête de liste du FN aux régionales en Seine-Saint-Denis, chargé de lancer un « Collectif des banlieues patriotes », affirmait lui aussi à Middle East Eye : « Un sondage indique que le FN est le parti le plus plébiscité dans les quartiers sensibles. Quand on demande à leurs habitants quel est le parti qui, selon eux, pourrait le plus répondre à leurs attentes, c’est le FN qui arrive en tête ».

Mais au-delà de ce type d’affirmations de la part des responsables du parti, peut-on réellement parler d’un vote musulman en faveur du FN ?

« Le vote FN augmente beaucoup moins vite dans les quartiers de banlieues que dans le reste du pays de façon générale »

- Antoine Jardin, politologue

Antoine Jardin, politologue, est plus que dubitatif. Il rappelle d’abord qu’« il n'y a pas de données statistiques officielles sur cette question » - la loi Informatique et libertés de 1978 interdisant en France le recueil de données indiquant la confession des personnes –, avant de recadrer la réflexion : « on parle de vote musulman par abus de langage, alors qu’il s’agit du vote des descendants de l'immigration maghrébine et africaine ».

Le spécialiste note que le Front national progresse partout depuis les élections cantonales de 2011, date à laquelle Marine Le Pen en a pris la tête. Cette progression existe aussi dans les quartiers populaires. Toutefois, « le vote FN augmente beaucoup moins vite dans les quartiers de banlieues que dans le reste du pays de façon générale », explique-t-il à MEE.

Si on ne peut mesurer avec des chiffres précis ce « vote musulman frontiste », il reste la possibilité de rencontrer des militants FN de culture musulmane. Deux sortes de motivations propres aux Français musulmans semblent alors se dégager : la plaie encore mal cicatrisée de la guerre d’Algérie et le paradoxe d’une « intégration » par le vote frontiste.

La guerre d’Algérie aux origines d’un engagement frontiste

Pour l’historien Benjamin Stora, spécialiste des guerres de décolonisation, le Front national s’est construit autour de deux séquences fondamentales : Vichy et l’Algérie française. Si Jean-Marie Le Pen, fondateur du FN, a beaucoup puisé dans la première séquence, sa fille en a vite pris ses distances. Mais le second socle historique demeure.

Cet autre « passé qui ne passe pas » est justement ce qui a amené Mohamed Bellebou à devenir militant frontiste. Pour cet élu municipal FN, également secrétaire général de la Coordination des associations de rapatriés harkis, « le FN est le seul parti qui marque du respect pour l’engagement de nos pères. Le FN a pris des engagements vis-à-vis de la population des rapatriés harkis », affirme à MEE celui qui est aussi le responsable de la coopérative de la viande halal de Perpignan.

« Ce sont des Français comme les autres, ils ont les mêmes réflexes que tous les Français. Ils considèrent que le Front national est mieux à même de les protéger »

- Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN

Même soubassement historique pour Amar Benmerzouk, 72 ans. S’il ne vient pas d’une famille harkie, son père, ancien combattant dans l’armée française durant la Seconde guerre mondiale, « pensait qu’il n’y avait pas d’avenir [en Algérie] avec les musulmans. On était bien avec les pieds-noirs, il y avait de la fraternité », raconte-t-il à MEE au siège parisien du FN. L’homme est disert, il sort de ses poches photographies, citations militaires de son père et anecdotes sur ses batailles rangées contre les « gauchos » quand il vendait National-Hebdo, l’hebdomadaire officieux du FN.

Ce qui frappe est le parallèle entre les parcours de Mohamed Bellebou et d’Amar Benmerzouk. Tous deux ont voté socialiste en 1981 puis ont été refroidis par le tournant de la rigueur en 1983. Tous deux accusent le PS de clientélisme communautariste dans les quartiers considérés par ce parti, selon eux, comme un « vaste réservoir de voix ». Tous deux passent un temps par la droite républicaine, le RPR, avant d’en claquer la porte. « Ils ne voulaient pas des musulmans », note Amar Benmerzouk. Tous deux ont voté FN d’abord timidement, en 1997 pour Mohamed Bellebou et en 1988 pour Amar Benmerzouk.

Immeuble à Sarcelles, en banlieue parisienne, où est peinte une fresque avec la légende : « Quand j’étais petit, il y avait des musulmans, des juifs, des chrétiens, des noirs et des blancs… Ils étaient juste copains » (AFP)

L’assimilation ou l’intégration par le vote FN

Amar Benmerzouk est Français depuis 1959. Cet ancien artisan dit avoir réussi parce qu'il s'est assimilé. Fier d'avoir marié sa fille à l’église et d’avoir donné à ses deux enfants des prénoms français, il considère que l’assimilation est la seule possibilité pour tout immigré. « Il nous faut aller vers les autres, les Arabes restent entre eux. Je me suis assimilé et j’ai réussi ma vie », confie-t-il à MEE

« Notre modèle à nous est celui de l'assimilation, se fondre dans le creuset national », clamait aussi la présidente du FN lors de son discours fleuve à Brachay. Exit la théorie de l'intégration et sa recherche d'un consensus entre les différentes cultures, perçue par le Front national comme un motif de « renforcement de la désintégration nationale et républicaine ». Retour à l’assimilation des années coloniales, définie par une circulaire de l’État datant de 1927 comme « l’absorption plus complète et parfaite des éléments étrangers dans la nation ».

Amar Benmerzouk adhère à ce principe du « rendre semblable », voire du rendre « invisible » une religion trop « visible ». « Tant que les musulmans mettront la religion en première position, ils ne réussiront pas. Les gens qui ont réussi ont oublié leur religion. Pourquoi les musulmans ne font-ils pas comme les autres immigrés, pourquoi ne se contentent-ils pas de pratiquer chez eux ? […] Je ne crois pas que l’islam puisse devenir une religion française ».

À LIRE : Comment le Front national se rachète-t-il une laïcité ?

Sans aller jusqu’à se réapproprier l'approche assimilationniste du Front national, d’autres sympathisants musulmans du FN ont pu voir dans le vote frontiste une façon de s’intégrer à la société française.

Ainsi d’Omar Djellil, 46 ans, employé municipal tombé dans le bain frontiste en 2011 avant d’en ressortir récemment. Le discours de Marine Le Pen sur les minorités a été décisif pour cet ancien partisan du Parti socialiste : « Lors d’un défilé en 2011, elle appelle à la création d'un large front des patriotes, musulmans, chrétiens, juifs […].  J’ai été très séduit. J’ai pensé : enfin le Front national va prendre en considération que parmi la composante nationale, il y a des musulmans ».

« Mais je ne crois pas en l'assimilation forcée comme le préconise Marine Le Pen, tempère-t-il. Je crois qu'un homme peut devenir patriote sans renier son identité culturelle ou cultuelle. »

« Les personnes de culture musulmane, comme certains chrétiens, vont vers le vote Front national car ils se rapprochent d'une politique plus conservatrice »

- Camel Bechikh, fondateur de Fils de France

Une idée partagée par Camel Bechikh, fondateur de Fils de France, association qui se donne pour but de « rassembler tous les Français, quelle que soit leur confession, derrière l'amour de leur pays ». « Personne ne sait ce qu'on met derrière le thème de l'assimilation. Est-ce une assimilation culturelle, une assimilation religieuse ? A priori, elle ne peut pas toucher le culte car le discours même de la nation, de la République et du Front national est plutôt laïc ».

Conseiller auprès des partis politiques, Camel Bechikh, qui revendique sa neutralité, nuance cependant la position du FN : « Je n'ai jamais entendu dans la bouche du Front national l'idée que la prière, le Ramadan, le pèlerinage devaient tomber sous le coup d'une assimilation forcée. Ce qui est en revanche revendiqué dans les discours de la droite nationale, c'est qu'il y a des pratiques religieuses qui ne sont pas en adéquation avec la culture française ».

Les Français musulmans, des électeurs FN comme les autres

Au-delà de la mémoire historique ou de la question de l’intégration, les motivations des Français musulmans qui font un choix frontiste peuvent être identiques à celles des autres électeurs FN non musulmans. Wallerand de Saint-Just l’affirmait à MEE : « Ce sont des Français comme les autres, ils ont les mêmes réflexes que tous les Français. Ils considèrent que le Front national est mieux à même de les protéger ». D’après lui, le FN est « très bien accueilli dans les quartiers sensibles ».

De fait, les militants FN rencontrés par MEE nourrissent les mêmes peurs et désirs d’ordre que l’électeur moyen frontiste. Ainsi, Mohamed Bellebou soutient-il qu’un « pays doit être à même de se faire respecter, à l’international mais aussi à l’intérieur ».

« Je veux une France heureuse avec ses citoyens, quelle que soit leur couleur. Je plains cette pauvre population immigrée. On l’a vouée à l’échec social, alors que si on l’avait dispatchée un peu partout, on aurait pu réussir ce pays. Mais au-delà de 17 % de concentration d’une population aux mêmes origines, l’intégration n’est pas possible », estime-t-il.

Mêmes considérations nationalistes chez Amar Benmerzouk : « Je veux la préférence nationale, c’est cela la base d’une famille, il n’y a pas de division. Marine pense aux Français de toutes les origines. Je suis un nationaliste, j’aime la France, le peuple français. Dans la mondialisation, nous sommes comme des pions ».

Les musulmans représenteraient environ 5 % du corps électoral en France (AFP)

Autre constante des électeurs FN, musulmans ou pas, un certain conservatisme culturel, notamment sur le plan des valeurs. Ce phénomène, Camel Bechikh l’observe au sein de son association, Fils de France : « Les personnes de culture musulmane, comme certains chrétiens, vont vers le vote Front national car ils se rapprochent d'une politique plus conservatrice. Ils mettent en avant l'aspect moral, notamment sur l'abrogation du mariage pour tous ».

« Ce qui gêne au fond le FN est que l’islam puisse être considéré comme une religion française, qu’il puisse être visible »

- Haoues Seniguer, chercheur en sciences politiques

Autre tendance, la détestation du système qualifié par le FN d’« UMPS ». Mohamed Bellebou comme Amar Benmerzouk, un temps inscrits au gaulliste RPR, en ont claqué la porte. Pour Omar Djellil aussi, le rejet du « système » a été déterminant pour basculer dans l’escarcelle FN. « Le premier déclic a été la trahison de la gauche. Quand la gauche a cessé d’être la gauche et est devenue une grande machine à placer les copains. Cette gauche-là n'était plus légitime ».

Les militants musulmans à l’épreuve du FN

Il est évident que Marine Le Pen et ses associés ont tout intérêt à communiquer sur ces Français musulmans qui votent FN. Cela entre dans leur stratégie de « dédiabolisation » du parti et répond au slogan de « La France pacifiée » mis en avant par sa présidente.

D’ailleurs, à écouter les militants, jamais, au grand jamais, ils n’ont été victimes de racisme au sein du FN. Mohamed Bellebou le dit nettement : « Si quelqu’un m’avait fait une remarque raciste, je lui aurais demandé si, comme moi, il a des ancêtres tombés pour la France ».

Même affirmation de la part d’Amar Benmerzouk : « Depuis 1988, je n’ai jamais eu de remarque raciste. Ils demandent juste qu’on aime la France et moi je l’aime. Je tracte souvent ; des gens nous traitent de nazis, mais moins qu’avant. Je réponds que la guerre est finie et qu’il faut penser à nos enfants ».

Haoues Seniguer, chercheur en sciences politiques, se montre toutefois circonspect et rappelle simplement « quun parti qui s’est construit idéologiquement sur l’altérité vue de façon négative aura toujours cette base idéologique ».

« Marine surfe sur le populisme identitaire »

- Omar Djellil, ancien militant frontiste

Surtout, il note que le FN demande plus aux musulmans qu’aux autres composantes de la société française, les soumettant à une citoyenneté en constante probation : « Il faut qu’ils fassent toujours un effort. La question de l’islam fragilise le tissu social et crée une suspicion de tous contre tous. Hier, c’était l’immigré dont parlait le FN, aujourd’hui, c’est le musulman. Cela correspond à une constante qui considère l’Autre comme dangereux. Ce qui gêne au fond le FN est que l’islam puisse être considéré comme une religion française, qu’il puisse être visible », analyse-t-il pour MEE.

À LIRE : France : l’islam comme thème porteur de la campagne présidentielle s’essouffle-t-il ?

Le témoignage d’Omar Djellil le confirme, et vient fissurer la belle vitrine d’un FN ouvert aux musulmans. Ce « jeune de banlieue », comme il se présente, a connu de près les arcanes du parti, jusqu’à être chargé par Jean-Marie Le Pen de rédiger une Charte sur l’islam de France. « Pour moi, le discours de Marine est complètement différent », juge-t-il.

Il explique à MEE : « Je défendais le projet de la grande mosquée à Marseille. Le Front national s’y opposait. Mais Jean-Marie Le Pen, à qui j’avais expliqué le projet, y était favorable ». Omar Djellil dit s’être en revanche confronté au « staff de Marine ».

« Les gens les plus virulents sont Marine, Marion Maréchal-Le Pen [députée FN], Florian Philippot et Louis Aliot [vice-présidents du FN], qui expliquent que ce n’est pas la ligne du bureau politique du FN que de s'associer avec des musulmans. J'ai trouvé la situation incohérente. D'un côté, au niveau local, on avait un discours antimusulmans et, de l’autre, au niveau national avec Marine, on avait un discours plus respectueux à l'égard de l'islam ».

Pour lui, l’invite faite aux Français musulmans n’est que de façade, car « Marine surfe sur le populisme identitaire ».

« Je considérais qu'il y avait deux tendances, une ouverte aux musulmans et celle de Marine, totalement fermée à l'idée, alors que publiquement elle disait que les musulmans ont leur place au Front national. J'ai donc rompu il y a deux ans. Je ne souhaitais plus apporter une caution au FN. » 

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