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« C’est le peuple qui va libérer l’Algérie de la mafia ! » : à Montréal, la diaspora est solidaire des manifestations

À Montréal, où est installée la majeure partie de la diaspora algérienne du Canada, les Algériens manifestent le dimanche

Manifestation contre le cinquième mandat, dimanche 10 mars à Montréal (AFP)
Par Samir Ben à MONTRÉAL, Canada

Si le vendredi est un jour de marche contre le cinquième mandat en Algérie, à Montréal, la diaspora algérienne du Canada, estimée à 120 000 personnes, a choisi de manifester les dimanches devant le consulat d’Algérie de la métropole canadienne.

Pour la troisième semaine consécutive, des centaines d’Algériens sont sortis scander leur hostilité à « l’absurdité du cinquième mandat », pour rependre les propos d’Amel Bouazza, chef d’entreprise installée dans la région de Montréal, qui a pris part à la manifestation du 10 mars.

Dès 10 h, les premiers manifestants déjà arrivés agitaient drapeaux et pancartes rivalisant d’humour et de sarcasme avec celles brandies lors des manifestations en Algérie.

Les organisateurs qui s’affairaient à installer la sono ont reçu la visite des policiers et d’une équipe de médiation du service de police la ville de Montréal, composée d’agents d’origine maghrébine, pour s’assurer du bon déroulement de la manifestation et prévenir tout débordement.

Les véhicules des principales chaînes de télévision canadiennes (la publique Radio Canada et la privée TVA) étaient là aussi avec leurs équipes de journalistes affectés à suivre les manifestations des Algériens du Canada depuis trois semaines, pour tenter de comprendre ce « Printemps arabe » qui n’en est pas un mais qui y ressemble.

Les services météo, qui avaient annoncé une tempête de neige sur Montréal, probablement l’une des dernières de ce long et rigoureux hiver, ne s’étaient pas trompés puisqu’elle a laissé derrière elle vingt centimètres de neige au sol.

« Nous sommes en train de défaire un système défaillant qui a confisqué notre indépendance depuis 1962 »

- Jihed Halimi, informaticien et organisateur de la manifestation

Jihed Halimi, informaticien et organisateur « technique » de la manifestation, était très content du nombre de participants qu’il a pu mobiliser grâce aux réseaux sociaux malgré la météo.

« La manifestation d’aujourd’hui, avec ce nombre incroyable de participants malgré la tempête de neige qui sévit sur Montréal, démontre la détermination des Algériens pour une Algérie libre, démocratique, unie et indivisible », a-t-il expliqué à Middle East Eye. Deux autres manifestations ont été organisées ailleurs au Canada, une à Ottawa devant l’ambassade d’Algérie et la deuxième dans la ville de Québec.

Un appel à manifester à Toronto, jeudi 14 mars, a été lancé par une enseignante algérienne. La ville reine, comme elle est appelée au Canada, s’est singularisée le 24 février dernier par un manifestant unique contre le cinquième mandat.

« Le week-end dernier, il a fait beau, c’était idéal pour l’organisation de la manifestation. Nous avons eu plus de 4 000 participants. C’est du jamais vu dans l’histoire des manifestations organisées devant le consulat algérien de Montréal », a ajouté Jihed Halimi en rappelant que le rassemblement n’a aucune couleur partisane et qu’il appartient au peuple. La branche montréalaise du mouvement d’opposition Mouwatana a aussi lancé un appel pour participer à l’événement.

« L’objectif de la manifestation n’est pas de faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il intervienne en Algérie », a souligné Jihed Halimi. « Nous ne voulons pas d’ingérence. Mais c’est pour montrer à nos frères et sœurs en Algérie que nous sommes solidaires avec eux. »

La présence des drapeaux du mouvement indépendantiste kabyle dans la manifestation a fait sourciller quelques participants. Pour les observateurs, le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie de Ferhat Mehenni a donné consigne à ses troupes d’occuper des points stratégiques de la manifestation avec des drapeaux bien visibles.

Si au début du mouvement populaire, le MAK était resté en retrait, avec le succès des marches, il a vite compris qu’il lui faudrait prendre le train, même s’il était déjà en marche.

En famille et avec des poussettes

« Nous sommes très content aujourd’hui parce que non seulement nous sommes en train de défaire un système défaillant qui a confisqué notre indépendance depuis 1962 mais aussi parce que nous sommes en train de ramener nos amis [du MAK] qui ont perdu espoir en l’Algérie et qui sont venus manifester pour dire que cette nouvelle Algérie doit respecter notre identité ancestrale », a ajouté Jihed Halimi.

L’ambiance de la manifestation n’avait rien à envier à celle des marches en Algérie, avec les chants empruntés aux supporters de l’USMA, le club algérois de football, ou la dernière chanson « Libérez l’Algérie », et dont l’un des interprètes, Walid Mimouni, vit au Canada.

Les manifestants venus en famille avec parfois des enfants en bas âge ou des bébés dans des poussettes, scandaient des slogans tels que Ulac smah ulac (pas de pardon) cher au mouvement berbère. Entre autres slogans, on pouvait entendre « République, pas monarchie » ou « Le peuple veut la chute du régime ». Un homme brandissait une pancarte sur laquelle était écrit en arabe « Je préfère vivre à moins 40 °C que de vivre avec la bande des 40 voleurs ».

Reza, qui vient de rentrer d’Algérie où il a participé aux deux manifestations, du 22 février et du 1er mars, a affirmé que « l’Algérien est le même qu’il soit ici ou ailleurs ».

Yanis, étudiant en médecine âgé de 20 ans, né au Canada, tenait une pancarte, « De l’Algérie à Montréal, tous debout contre le système Bouteflika », pour dénoncer « l’injustice du cinquième mandat et pour un vrai pouvoir démocratique pour les Algériens ».

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Aissa et Souad, un couple qui vit au Canada depuis quatorze ans, est aussi sorti, encouragé par les manifestations en Algérie. « Nous sommes solidaires avec le peuple algérien qui lutte contre un système corrompu. Nous sommes là pour exprimer notre refus du cinquième mandat et pour dégager le système », affirme Souad. « Le peuple est resté silencieux longtemps pour préserver le pays », ajoute son mari. « Mais il ne peut plus continuer dans son silence, sinon c’est la perte de l’Algérie. »

Un père qui manifestait avec son enfant avait choisi une pancarte « Chipeur, arrête de chiper » en référence au petit renard du dessin animé Dora l’exploratrice. Sur une autre pancarte, on pouvait lire : « L’humour algérien est une arme de construction massive ».

« Nous voulons aussi dire aux décideurs algériens que si ce peuple a recours à l’humour et à la joie dans ces manifestations, ce n’est pas parce qu’il n’est pas frustré, c’est pour répondre à l’absurdité du cinquième mandat que vous êtes en train de lui imposer », a témoigné Amel Bouazza à MEE.

Djamila Addar, militante amazighe, photo de Lounès Matoub (chanteur algérien assassiné en 1998) dans les mains et drapeau amazigh sur les épaules, s’est dite aussi optimiste. « Je resterai optimiste si ceux qui vont gérer la transition et les futures élections aiment la patrie. Et il faut qu’ils comprennent que l’Algérie, c’est cette diversité et tous ces drapeaux... Il faut que ceux qui sont au pouvoir arrêtent de nous donner des leçons sur l’amour de la patrie. Eux, ils ont prouvé des milliers de fois qu’ils détestent ce pays et ce peuple. Aït Ahmed [leader du FFS, parti d’opposition, décédé en décembre 2015], l’un des leaders historiques de la révolution algérienne avait dit : ‘’Nous avons libéré l’Algérie, mais pas le peuple’’. Alors je dis que maintenant, c’est le peuple qui se libère et qui va libérer l’Algérie de la mafia ! ».

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