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EXCLUSIF : Mohammed Dahlan a fait l’objet d’une enquête de la CPI pour ses liens avec Saïf al-Islam

Des documents qui ont été dévoilés montrent que la Cour pénale internationale a enquêté sur le leader en exil du Fatah en 2012 pour son implication présumée auprès du fils de Mouammar Kadhafi
Mohammed Dahlan a rencontré Saïf al-Islam Kadhafi en Espagne avant le Printemps arabe, selon un câble de Wikileaks de 2010 (AFP)

Mohammed Dahlan, dirigeant du Fatah en exil, a fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale pour son implication auprès de Saïf al-Islam Kadhafi, selon des documents que Middle East Eye a consultés.

Fin 2012, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a écrit au président palestinien Mahmoud Abbas pour demander l’aide du gouvernement palestinien dans le cadre de l’enquête sur la guerre civile libyenne.

« Dans le cadre de cette enquête, mon bureau sollicite l’assistance du gouvernement de la Palestine en ce qui concerne l’implication présumée de deux ressortissants palestiniens, Mohammed DAHLAN et Mohamed Borhan RASHID », indique la lettre, « auprès de Saïf al-Islam Kadhafi, Abdullah al-Senussi, ainsi que d’autres individus potentiellement principaux responsables des crimes les plus graves en vertu du Statut de Rome, ce qui inquiète le Bureau. » 

« Mon bureau sollicite votre aide pour déterminer les détails de leur lien avec ces crimes, notamment toute complicité éventuelle », poursuit la lettre. 

MEE n’a pas établi si l’enquête de la CPI est en cours. 

La lettre explique que, conformément au Statut de Rome, la CPI est compétente en ce qui concerne les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Un porte-parole de la CPI contacté par MEE a déclaré qu’il ne pouvait pas commenter une enquête qui pourrait être en cours.

« En matière de politique, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale ne répond pas aux requêtes relatives à des activités d’enquête qu’elle mène ou non », a déclaré la CPI dans un communiqué.

En mars 2011, la CPI a ouvert une enquête sur la situation en Libye, où le Printemps arabe a déclenché un soulèvement contre les décennies de régime de Mouammar Kadhafi, suite à la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Un mandat d’arrêt a été délivré concernant Saïf al-Islam Kadhafi par la CPI en juin 2011 pour deux chefs d’inculpation de crimes contre l’humanité.

À LIRE : Les kadhafistes, le retour en grâce des ennemis d’hier

Il est recherché pour « sa responsabilité pénale présumée dans la perpétration de meurtres et de persécutions de civils en tant que crimes contre l’humanité à compter du 15 février 2011 à travers la Libye. »

En coordination avec son père, le mandat d’arrêt stipule que Saïf al-Islam « a conçu et orchestré un plan visant à dissuader et à réprimer, par tous les moyens, les manifestations civiles contre le régime de Kadhafi. »

Selon des rumeurs, le deuxième fils de l’ancien dirigeant aurait été libéré en juin après avoir été retenu en otage par une milice dans la ville de Zintan, à l’ouest, pendant six ans, sans que l'on sache où il réside à présent. La CPI a réitéré sa demande que les autorités libyennes arrêtent Saïf al-Islam Kadhafi et le présentent devant la cour. Toutefois, des sources ont affirmé à MEE que les rumeurs sur sa libération étaient fausses et qu'il était toujours détenu à Zintan.

L’enquête de l’Autorité palestinienne

En avril 2011, l’AP a annoncé qu’elle-même enquêtait sur Dahlan au sujet de son rôle présumé dans le transfert d’armes israéliennes au gouvernement de Kadhafi.

L’enquête de la CPI a été lancée suite aux accusations lancées contre le dirigeant du Fatah, qui vit en exil aux Émirats arabes unis depuis juin 2011, par les rebelles libyens, qui le soupçonnent d’être impliqué dans ce transfert. À l’époque, Dahlan avait nié ces accusations, selon les médias palestiniens.

Mattia Toaldo, expert de la Libye au Conseil européen des relations extérieures, s’est montré sceptique face à l’intérêt de la CPI pour les agissements de Dahlan en 2012 et a exprimé sa prudence vis-à-vis d’une attention qui a pu être suscitée par Mahmoud Abbas, le rival de Dahlan. Il a toutefois concédé que Dahlan semblait désormais impliqué dans le paysage politique chaotique de la Libye.

« Dahlan serait impliqué en Libye aujourd’hui par le biais du soutien qu’il apporte à des médias anti-islamistes, mais je n’ai aucune preuve d’un quelconque rôle en 2011 », a déclaré Toaldo, ajoutant qu’il avait entendu de plusieurs sources que Dahlan apportait actuellement un soutien à certains médias en Libye.

Mohammed Dahlan et Saïf al-Islam Kadhafi se sont rencontrés en Espagne avant le Printemps arabe, selon un câble de 2010 publié par WikiLeaks.

Le jeune Kadhafi essayait à l’époque « de se positionner en tant que nouveau visage du régime et en tant que successeur de son père », selon Mohamed Eljarh, expert de la Libye et chercheur non résident à l’Atlantic Council. Saïf avait donc « une raison de rencontrer Dahlan ».

« Saïf al-Islam essayait de se présenter en tant que médiateur, je suis sûr qu’il aurait voulu jouer un rôle dans le processus de paix palestinien »

– Mohamed Eljarh, expert de la Libye

« Saïf al-Islam essayait de se présenter en tant que médiateur, je suis sûr qu’il aurait voulu jouer un rôle dans le processus de paix palestinien », a indiqué Eljarh à MEE.

Aujourd’hui, Eljarh estime que Saïf al-Islam envisage probablement un retour au premier plan du complexe paysage politique libyen.

« Je pense que Saïf aimerait faire un retour politique, mais il se heurte à un certain nombre d’obstacles, notamment le fait qu’il soit recherché par le procureur général en Libye et par la CPI. »

Lorsque MEE a contacté Mohammed Dahlan pour l’interroger sur sa relation présumée avec Saïf al-Islam Kadhafi, mais aussi pour lui demander s’il était au courant que cette relation présumée faisait l’objet ou fait l’objet d’une enquête pour crimes de guerre menée par la CPI et s’il avait enfreint l’embargo sur les armes imposé par l’ONU en Libye, ses avocats londoniens, du cabinet Tweed, ont refusé de répondre, affirmant que les allégations étaient « motivées par des considérations politiques » et que MEE se laissait « exploiter dans le but de recycler du contenu diffamatoire infondé ».

Mohamed Borhan Rashid, également cité dans la lettre de la CPI, est un ancien conseiller économique de Yasser Arafat qui est tombé en disgrâce auprès de l’AP suite à la mort d’Arafat. Il vivrait aujourd’hui entre Le Caire et Londres.

MEE n’est pas parvenu à le joindre pour recueillir des commentaires.

L’embargo sur les armes enfreint par les Émirats arabes unis

L’Autorité palestinienne a récemment déclaré que Dahlan et Rashid figureraient en tête d’une liste de fugitifs qu’elle allait demander à Interpol de poursuivre, la Palestine étant devenue membre de l’organe de police mondial en septembre.

En 2012, un tribunal de Ramallah a jugé Rashid par coutumace, le déclarant coupable de détournement de fonds et de blanchiment d’argent et le condamnant à une peine de 15 ans d’emprisonnement et à une amende de 15 millions de dollars.

Il a également été accusé d’avoir été impliqué dans des transactions commerciales de plusieurs millions de dollars entachées de corruption au Monténégro, où il aurait travaillé avec Dahlan.

Mohamed Borhan Rashid serait un Kurde d’Irak titulaire de la nationalité canadienne, mais la lettre de la CPI le désigne comme un ressortissant palestinien.

Les Émirats arabes unis ont eux-mêmes enfreint un embargo sur les armes imposé par l’ONU en Libye en fournissant des hélicoptères et des véhicules blindés aux forces fidèles à l’homme fort libyen Khalifa Haftar, qui dirige l’Armée nationale libyenne, une milice libyenne basée dans l’est du pays, et qui est soutenu par l’Égypte.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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