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« Nous sommes coincés » : ces Syriens qui vivent bloqués dans des aéroports du monde entier

Refoulés aux frontières et privés de visa, des réfugiés fuyant la guerre en Syrie voient toutes les portes se fermer devant eux et se retrouvent coincés dans des aéroports ou d’autres lieux précaires à travers le monde
Des réfugiés syriens à la recherche d’issues sûres et légales se retrouvent pris au piège (MEE/Kaamil Ahmed)



Enfant, Hassan al-Kontar étudiait l’atlas que son père lui avait donné, mémorisant les noms de chaque pays et de chaque capitale. Adulte, coupé de son pays natal par la longue guerre civile qui ravage la Syrie, il s’est rendu compte que la plupart de ces pays lui étaient fermés.

Pourtant, il lui fallait un endroit où aller, car le retour en Syrie n’était pas une option : il aurait été envoyé en prison pour refus d’un appel de l’armée syrienne ou contraint de combattre dans une guerre qu’il abhorrait.

Au lieu de cela, dans sa quête de sécurité, Hassan al-Kontar a été retenu dans un centre de détention émirati, refoulé par des agents des services d’immigration et, plus récemment, bloqué dans un aéroport malaisien pendant près de trois mois.

« Toutes les options à notre disposition sont des pays dont on n’a guère entendu parler, voire jamais »

- Hassan al-Kontar coincé dans la zone de transit de l’aéroport de Kuala Lumpur

Et il n’est pas le seul : depuis le début de la guerre, des Syriens ont passé des semaines et des mois dans des aéroports lointains, en Turquie, en Russie ou encore en Corée du Sud, bloqués par les politiques de ces pays en matière de visas ou le « Muslim Ban » de Trump.

Les caprices des autorités aéroportuaires, auxquels s’ajoutent les problèmes de documentation et les politiques gouvernementales en matière d’immigration, ont contribué à créer une atmosphère dans laquelle les Syriens se sentent pris au piège et contraints d’opter pour des périple dangereux sur des eaux agitées, souvent plus chers qu’un trajet aérien.

« J’ai ouvert le nouvel atlas, c’est-à-dire Internet », a raconté Hassan al-Kontar à Middle East Eye. À la recherche d’une nouvelle destination, il s’est rendu compte que les choix dont il disposait en tant que Syrien étaient limités.

« Toutes les options à notre disposition sont des pays dont on n’a guère entendu parler, voire jamais. »

Il a choisi l’Équateur, un pays qu’il connaissait en raison de la relation de longue date de l’Amérique du Sud avec les migrants d’origine arabe et qui, surtout, ne demande pas de visa aux Syriens.

Ce trajet devait être la dernière étape d’un périple tumultueux qui a commencé avec la guerre.

Des nuits passées sous un escalier

Hassan al-Kontar menait une carrière brillante aux Émirats arabes unis. Mais lorsque la guerre a éclaté en Syrie en 2011, l’ambassade syrienne a refusé de renouveler son passeport et il a été envoyé dans un centre de détention.   

L’exemption de visa appliquée en Malaisie pour les touristes syriens lui a offert une solution temporaire, mais au bout de trois mois, il a également dû partir – il n’a pas pu obtenir de visa plus long et la Malaisie n’accueille pas les réfugiés.

« La situation est désastreuse, nous sommes fatigués d’être détenus »

- Khaled Qotrash, réfugié syrien détenu par les services d’immigration malaisiens

De nombreux mois plus tard, il y vit toujours, dans la zone de transit de l’aéroport de Kuala Lumpur, puisque son voyage vers l’Équateur a été sabordé par la compagnie aérienne, qui l’a refoulé de son vol. Son plan B, le Cambodge, a également échoué lorsqu’il en a été expulsé. Puis la Malaisie a refusé de le laisser revenir.

Hassan al-Kontar n’était pas le premier Syrien à se retrouver coincé dans un aéroport. Alors que Fadi Mansour est resté un an à Istanbul après avoir été désigné comme un passager problématique, Hasan Yasien a passé neuf mois dans une tente dans un aéroport de Moscou ; plusieurs autres Syriens ont été bloqués à Kuala Lumpur.

Et pendant que Kontar dort sous un escalier dans la zone de transit, la famille Qotrash est détenue par les services d’immigration malaisiens.

Traduction : « Il n’y a pas une seule personne qui demande de nos nouvelles » – mère de Khaled Qotrash

« La situation est désastreuse, nous sommes fatigués d’être détenus », a écrit Khaled Qotrash à MEE au cours des dix minutes occasionnelles durant lesquelles les autorités malaisiennes l’autorisent à se servir de son téléphone.

Alors que son père âgé, qui souffre de problèmes cardiaques, ne peut pas voir un médecin, il a expliqué que les groupes de défense des droits de l’homme et les journalistes qui avaient tenté de rendre visite à la famille avaient été refoulés.

« Nous n’avons pas le droit de séjourner dans un autre pays et nous ne sommes pas autorisés à partir à moins d’obtenir un visa ou d’être expulsés vers la Syrie », a-t-il affirmé.

S’ils craignent de retourner dans leur banlieue de Damas en raison des opérations que l’armée syrienne y effectue, leur incapacité à faire traiter leurs documents les laisse dans l’incertitude.

Privés d’itinéraires légaux

Après avoir choisi l’Équateur, Hassan al-Kontar a ensuite planifié un itinéraire qui évitait les endroits appliquant des politiques restrictives en matière d’immigration, craignant de ne pas être autorisé à embarquer dans des vols nécessitant un visa.

Son plan de voyage devait tout d’abord le faire passer par la Turquie et la Colombie, tout en évitant l’Europe. Il a même eu la confirmation auprès de l’ambassade turque qu’il serait autorisé à traverser Istanbul sans visa. Pourtant, il a été refoulé.

« J’ai évité tous les aéroports européens, australiens, américains et canadiens parce que je ne voulais pas susciter la méfiance vu qu’en tant que Syriens, ils nous soupçonnent […] de chercher l’asile dans ces pays », a-t-il raconté.

Kontar savait que tous ces endroits appliquaient des sanctions contre les compagnies aériennes qui transportent des passagers sans papiers en règle, ce qui prive ainsi les réfugiés de toute possibilité de voyager en avion.

Violeta Moreno-Lax, directrice et fondatrice du programme de Droit de l’immigration à l’Université Queen Mary de Londres, juge ce système défaillant et partial.

« En temps normal, les compagnies aériennes sont sanctionnées uniquement lorsqu’elles transportent des passagers irréguliers, mais elles ne le sont pas si elles interdisent à un individu d’embarquer par excès de zèle », a-t-elle expliqué.

Bien que les sanctions soient théoriquement conçues pour empêcher l’immigration des sans-papiers, les compagnies aériennes sont seulement invitées à contrôler les documents, sans vérifier la légitimité des demandes d’asile.

« Parfois, les gens se débarrassent de leur passeport parce qu'il les prive d’une opportunité ou d’une autre »

- John Torpey, auteur

Les compagnies aériennes transportant des réfugiés se voient régulièrement imposer des amendes, qui ne sont annulées que si les demandes d’asile sont acceptées, a indiqué Moreno-Lax.

« À travers la combinaison des exigences en matière de visas et des sanctions imposées aux transporteurs, les réfugiés ne peuvent pas compter sur des liaisons aériennes et maritimes normales », a-t-elle déclaré.

« À la place, ils doivent recourir à des canaux clandestins qui s’appuient généralement sur des services de contrebande ou des mafias, mettant ainsi leur vie en danger. »

Plus d’un million de Syriens sont arrivés en Europe par la mer en 2015 ; au cours de cette même année, 3 770 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée. Beaucoup d’entre eux ont dû verser aux trafiquants une somme beaucoup plus importante qu’en passant par des itinéraires légaux plus sûrs, mais ils n’avaient pas d’autre option.

Selon un rapport établi par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, très peu de Syriens se sont vu remettre un visa pour se rendre dans l’espace Schengen en 2013, alors que ce chiffre s’élevait à plus de 30 000 avant la guerre.

Les passeports permettent depuis longtemps aux gouvernements de contrôler les mouvements des individus, a expliqué John Torpey, auteur de The Invention of the Passport: Surveillance, Citizenship, and the State.

Mais alors qu’ils essayaient autrefois d’empêcher les citoyens de partir, les gouvernements sont maintenant plus préoccupés par l’idée d’interdire aux gens d’entrer dans leur pays, en particulier en cette ère post-11 septembre 2001.

Si ceux qui sont vus d’un œil défavorable parviennent à atteindre une destination sûre, ils voient leur passeport devenir « un handicap », a affirmé Torpey.

« Parfois, les gens se débarrassent de leur passeport parce qu'il les prive d’une opportunité ou d’une autre », a-t-il ajouté.

Traduction : « Cette vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Un moment de réflexion que je voulais partager avec vous. Ces pensées figuraient dans presque toutes les interviews que j’ai données mais la plupart des médias choisissent de l’ignorer. »

« J’ai l’impression que toutes les portes sont fermées »

Alors que l’Europe est un refuge plus proche pour les Syriens, les États-Unis représentaient également une option pour ceux qui avaient des liens familiaux – jusqu’à ce que Donald Trump ait commencé à interdire l’arrivée de visiteurs en provenance de pays majoritairement musulmans.

Bien que le nombre de réfugiés acceptés par les États-Unis à travers des réinstallations – plutôt que l’arrivée de demandeurs d’asile à ses frontières – ait toujours été limité par rapport aux voisins de la Syrie, le pays a accepté plus de 15 000 Syriens en 2016, dernière année de la présidence de Barack Obama. Seulement 11 ont été admis en 2018, selon les chiffres du département d’État.

« L’identité des personnes figurant dans la liste des individus à exclure est changeante », a déclaré John Torpey, selon qui les craintes liées au terrorisme sont devenues un moteur des politiques restrictives en matière d’immigration depuis le 11 septembre 2001. « Le mouvement des personnes en provenance de pays à majorité musulmane est de toute évidence sous surveillance. »

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Wael Resol, un Kurde syrien installé aujourd’hui dans le territoire du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK), en Irak, est devenu l’une des victimes de cette politique.

Lorsqu’il a quitté la Syrie en 2012, au moment où les combats se propageaient à travers la Syrie, il a trouvé une liberté relative dans la région semi-autonome kurde d’Irak, où il a épousé une Américaine.

Mais ses deux premières tentatives d’obtention d’un visa pour les États-Unis ont été contrecarrées par les défis physiques qui l’empêchaient de se rendre aux entretiens prévus à Ankara et à Bagdad, avant que sa route n’ait été complètement barrée par l’interdiction prononcée par Trump de l’entrée de tous les Syriens dans le pays.

« Nous sommes coincés ici, nous ne pouvons pas nous projeter dans l’avenir. Nous ne pouvons prendre aucune décision pour notre avenir »

- Wael Resol, Kurde syrien

« Nous sommes coincés ici, nous ne pouvons pas nous projeter dans l’avenir. Nous ne pouvons prendre aucune décision pour notre avenir », a-t-il déploré.

Il craint que son statut en Irak ne devienne également précaire. Après sa réaction virulente au référendum sur l’indépendance kurde de l’an dernier, le gouvernement irakien a commencé à exiger des visas irakiens aux personnes vivant dans la région kurde. Wael Resol a été refoulé à deux reprises jusqu’à ce qu’un ami disposant de relations l’ait aidé à obtenir un visa. Mais il devra en obtenir un autre au bout d’un an.

Dans l’attente d’une décision de la Cour suprême des États-Unis sur l’interdiction prononcée par Trump, il craint néanmoins que si celle-ci est maintenue et que les conditions ne s’améliorent pas en Syrie ou en Irak, il ne soit privé d’options sûres et légales pour vivre plus en sécurité. Cela le forcerait à se rapprocher de l’option qu’il cherche à éviter : rejoindre l’Europe par le biais de réseaux de trafic.

« J’ai l’impression que toutes les portes sont fermées. Je ne trouve aucune source d’espoir pour quoi que ce soit en tant que Syrien. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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