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Yémen : un rapport de l'ONU révèle la complicité entre l'ancien président Saleh et les Houthis

Le rapport de l'ONU donne un compte-rendu accablant du soutien apporté par l'ancien président du Yémen aux Houthis, et des millions qu’il a engrangés
Partisans d'Ali Abdallah Saleh, président déchu du Yémen, lors d'une manifestation contre l'ingérence étrangère à Sanaa (AFP).
Par MEE

Une enquête réalisée pour le compte du Conseil de sécurité des Nations unies a révélé comment les rebelles islamistes soutenus par l'Iran, qui ont pris le pouvoir au Yémen le mois dernier, ont été aidés par l'ancien dirigeant du Yémen, Ali Abdallah Saleh, un allié des Etats-Unis qui préparait son fils à sa succession avant d'être destitué suite à des manifestations de masse en 2011.

Saleh, qui a gouverné le Yémen pendant trente-trois ans et dont les biens sont estimés entre 32 et 60 milliards de dollars selon l'ONU, « a apporté un soutien direct » à la milice chiite houthie qui a renversé le mois dernier le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi, selon des sources citées dans un rapport publié ce mardi par l'ONU.

Saleh a financé les Houthis, ordonné à ses partisans de ne pas entraver l’avancée de leurs combattants vers la capitale l'année dernière, et eu recours à une unité militaire autrefois commandée par son fils, Ahmed Ali Saleh. Le président déchu a ainsi aidé le même groupe qu'il avait combattu pendant des années en tant que président, et ce afin de « se venger » de ceux qui ont contribué à son renversement en 2011, selon les sources de l'ONU.

Le rapport de cinquante-quatre pages, compilé par un groupe de quatre experts qui ont sillonné le Yémen et la région pendant un an pour enquêter sur les éléments ayant déstabilisé l'accord de transition de 2012, donne le compte rendu le plus détaillé à ce jour de l'accession fulgurante des Houthis au pouvoir et soulève des questions troublantes quant à la capacité du gouvernement yéménite et des puissances étrangères à préserver l’unité du pays à l'avenir.

Il y a deux ans, de nombreux observateurs en Occident considéraient le Yémen comme un exemple de réussite. L'accord du Conseil de coopération du Golfe (CCG) orchestré par l'ONU, l'Arabie saoudite et les Etats-Unis, qui a entraîné le retrait de Saleh en échange d’une immunité et l'intronisation de Hadi, accompagnée de promesses d'un dialogue national et d'une nouvelle constitution, semblait avoir sauvé le Yémen d'une guerre civile imminente.
Or fin septembre, les Houthis, un mouvement islamiste chiite qui avait combattu le gouvernement pendant une décennie et participé aux soulèvements de 2011 contre Saleh, ont fait irruption dans la capitale et ont pris le contrôle de ministères, de banques, de journaux gérés par le gouvernement et de bases militaires. La semaine dernière, Hadi, assigné à résidence par les Houthis depuis sa démission le mois dernier, a fui vers la ville portuaire d'Aden, au sud du pays, où il a retiré sa démission et appelé les puissances mondiales à le soutenir contre le « coup d'Etat houthi ».

Le rapport de l'ONU, basé sur des entretiens approfondis et une lecture détaillée des médias locaux, se focalise sur les activités d'Ali Abdallah Saleh et de deux hauts dirigeants houthis, Abd al-Khaliq al-Houthi et Abdallah Yahya al-Hakim. Tous les trois sont visés par des sanctions, incluant un gel des avoirs et des interdictions de voyager à l'étranger, si elles venaient à être appliquées par les Etats membres de l'ONU.

Le rapport conclut que Saleh, 66 ans, conserve « un soutien et une influence considérables » au sein de son parti et que depuis son renversement, ce dernier a « saisi toutes les occasions de faire passer le président Hadi pour quelqu'un de faible et sans contrôle sur la situation ». D'après une source confidentielle citée dans le rapport, la stratégie visant à délégitimer Hadi comprenait « l'organisation de manifestations contre le gouvernement et d'attaques contre les infrastructures pétrolières, gazières et électriques du pays ». Saleh garde également le contrôle d'un grand camp militaire, Raymat Humaid, dans sa ville natale de Sanhan.

Alors que le Yémen est actuellement sans président et que sa politique est en piteux état, certains Yéménites ont avancé l'hypothèse que les futures élections pourraient entraîner l'arrivée au pouvoir du fils de Saleh, Ahmed Ali Saleh, un ancien commandant militaire. Bien qu'Ahmad Ali Saleh ait été évincé du poste de commandant de la Garde républicaine en 2013, ce dernier conserve toujours une influence sur un effectif considérable des troupes d'élite et a « pillé des armes ainsi que d'autres possessions de l'Etat » depuis son limogeage, ont indiqué des sources à l'ONU.

L'ONU affirme être en possession de documents émanant de hauts gradés de l'armée yéménite qui identifient les armes transférées dans la base militaire privée de la famille Saleh en 2011. Sont inclus des milliers de fusils et de pistolets ainsi que plusieurs dizaines de mitrailleuses lourdes, de canons de mortier, de grenades à propulsion par fusée, de fusils de précision et de missiles anti-aériens SAM 2 et SAM 7.

Les violations commises par les Houthis

Des témoignages contenus dans le rapport fournissent également un aperçu de l'ampleur de la prise du pouvoir par les Houthis dans le pays et des violations des droits de l'homme commises par le groupe. L’une des sources explique la manière dont les Houthis contrôlent le principal aéroport international du pays, à Sanaa :

« Une source confidentielle a également informé le groupe d'experts que les forces houthies interviennent à chaque niveau opérationnel de l'aéroport, pratiquant notamment un suivi des manifestes de vol de passagers, l'arrestation d'adversaires entrant ou sortant du pays, le contrôle des mouvements aériens et la vérification des valises diplomatiques. Une autre source confidentielle a informé le groupe d'experts d'un incident au cours duquel les forces houthies ont couru sur la piste de l'aéroport et tiré une grenade propulsée par fusée en direction d'un avion appartenant à un pays du CCG afin de tenter de l'empêcher de prendre le départ ; toutefois, la cible a heureusement été manquée. »

Les rebelles houthis ont également été accusés de s’en prendre systématiquement aux manifestants pacifiques dans la capitale par le biais de menaces de mort, d’enlèvements et de passages à tabac.

« Il s'est avéré que les écoles ont été prises pour cible par les forces houthies lors de leur prise de contrôle du territoire du gouvernorat d'Amran [...] Des interlocuteurs du groupe d'experts ont fourni des informations relatives au massacre de civils, à des pratiques de détention illégale ainsi qu'au pillage et à la destruction systématique de propriétés privées. L'utilisation des écoles et des établissements de santé à des fins militaires par les factions belligérantes, y compris sous la forme de casernes et de bases de tir, demeure une question préoccupante. Au total, au moins 124 civils, dont des mineurs (des jeunes hommes), ont été détenus illégalement par les Houthis à Amran et Sanaa depuis juillet 2014. »

Le groupe d'experts des Nations unies aurait remis un courrier à vingt pays où, selon leurs informations, des biens appartenant à Saleh pourraient se trouver. Jusqu'à présent, d'après le rapport, aucun Etat membre n'a répondu positivement à la requête.
 

Traduction de l'anglais (original).

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