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Des élus Rassemblement national en Syrie : pour quoi faire ?

Menée par le député européen Thierry Mariani, la récente rencontre entre une délégation du parti d’extrême droite français et le président Bachar al-Assad à Damas préfigure sans doute le lancement d’une « association tendant à favoriser le rétablissement des relations franco-syriennes »
Le président syrien Bachar al-Assad (à droite) et l’eurodéputé français Thierry Mariani (Rassemblement national), à Damas le 29 août 2019 (SANA /AFP)

Et si le principal motif de la visite en Syrie, du 27 août au 1er septembre, d’une délégation emmenée par le député européen du Rassemblement national (RN, ex-Front national), Thierry Mariani, figurait dans la déclaration d’intérêts qu’il a remplie en juin dernier, comme l’exige le règlement du Parlement ?

Dans ce document, l’ancien ministre des Transports de Nicolas Sarkozy indique qu’il travaille « depuis plusieurs mois à la « constitution d’une association franco-syrienne tendant à favoriser le rétablissement des relations franco-syriennes (économiques, politiques et culturelles) dans le cadre de la reconstruction du pays et du soutien aux chrétiens d’Orient ». Un projet, ajoute-t-il, qui devrait « se concrétiser avant la fin de l’année ».

La levée des sanctions internationales contre la Syrie n’étant pas pour demain et la France n’envisageant pas de rouvrir son ambassade à Damas (fermée en 2012 sous… Nicolas Sarkozy !), qu’apportait de neuf cette septième mission de Thierry Mariani en Syrie, qui était accompagné par ses collègues Nicolas Bay et Virginie Joron, députés européens, et le conseiller régional (Auvergne-Rhône-Alpes) Andréa Kotarac, récent transfuge de La France insoumise (FFI), le mouvement de gauche dirigé par Jean-Luc Mélenchon ?

Thierry Mariani avait un agenda politique clair : expliquer aux Français comme aux Syriens que le Rassemblement national est le seul parti pour qui Damas est un allié de Paris dans la lutte contre Daech

Pas grand-chose, en fait. Thierry Mariani avait un agenda politique clair : expliquer aux Français comme aux Syriens (la délégation a eu droit à un reportage en première page du quotidien pro-gouvernemental Al Baath) que le Rassemblement national est le seul parti pour qui Damas est un allié de Paris dans la lutte contre Daech. Le seul qui considère la victoire militaire du régime comme une bonne chose pour la stabilité du Moyen-Orient et la sécurité de la France.

D’ailleurs Thierry Mariani n’a pas hésité à affirmer que « le meilleur service » que la Syrie pouvait offrir à la France était de « régler définitivement » le sort de la vingtaine de combattants français encore présents dans la poche d’Idleb. Donc en les éliminant, position que seul le RN formule publiquement alors que le débat en France oppose les tenants du rapatriement des djihadistes à ceux qui veulent les voir jugés sur place.

Le sort des chrétiens d’Orient

Même l’entrevue entre Bachar al-Assad et la délégation ne présente aucun caractère de nouveauté : pour l’ancien ministre, c’est la cinquième depuis 2014, date à laquelle il affirme avoir commencé à s’intéresser d’abord au sort des chrétiens locaux puis, de manière plus générale, aux développements du conflit.  

Ce sont les deux domaines dans lesquels le RN en général et Thierry Mariani en particulier ont une carte à jouer sur la scène politique française. Le sort des chrétiens orientaux intéresse les électeurs de droite, bien au-delà de ceux du RN.

En rencontrant le patriarche de l’Église grecque melkite catholique Joseph Absi et surtout en se rendant à Maaloula, village ou reste parlé l’araméen, la langue du Christ, la délégation du RN envoie un double message aux catholiques : d’abord, que le régime de Damas les reconnait comme une composante de la nation syrienne, les protège ; ensuite, que son action militaire, décriée en France au nom des droits de l’homme, leur permet en fait de demeurer dans leur pays plutôt que de devoir émigrer en Occident.

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Pour agir sur le terrain dans le domaine de l’aide matérielle aux chrétiens orientaux, Thierry Mariani a pu compter sur l’assistance d’une élue syrienne, la députée Nora Arissian, professeure à l’université de Damas, ancienne secrétaire de l’ambassadeur d’Arménie en Syrie (1992-2006). Cette historienne connue à la fois en Syrie et en Arménie a été très présente aux côtés des élus français.

Surtout, l’ancien ministre a été très bien reçu par l’association humanitaire française SOS Chrétiens d’Orient, qui possède des antennes en Syrie, en Irak, au Liban et en Égypte et dont l’action s’affirme, depuis 2013, comme une concurrence assez sérieuse de L’Œuvre d’Orient, institution très liée à la hiérarchie catholique depuis le XIXe siècle, lorsque la France a commencé à se poser comme protectrice des chrétiens d’Orient.

Proche de la sensibilité traditionaliste au sein de l’Église catholique, fondée par deux anciens collaborateurs de Jacques Bompard, ancien député Front national et actuel maire d’Orange (Vaucluse), SOS Chrétiens d’Orient possède le sérieux organisationnel et logistique ainsi que les réseaux nécessaires pour constituer un partenaire fiable de cette association encore à naître entre Paris et Damas que Mariani travaille à lancer.

Plusieurs des soutiens de SOS Chrétiens d’Orient (les médias Valeurs actuelles, Sud Radio et Radio Classique, la journaliste Charlotte d’Ornellas) touchent un public bien plus large que celui du RN et même que celui de la droite.

Une lutte commune contre « l’islamisme »

Lorsqu’il analyse la guerre qui oppose le régime de Damas à Daech et au Front al-Nosra, Thierry Mariani a un prisme simple : montrer que la Syrie est une république laïque et multiconfessionnelle qui se bat contre l’obscurantisme et est injustement décriée en France comme une dictature.

Nombre des photos postées par les membres de la délégation sur les réseaux sociaux (dîner à la terrasse d’un restaurant damascène ; Virginie Joron en compagnie de « magnifiques jeunes femmes syriennes » en tenue occidentale décontractée ; Thierry Mariani tweetant qu’il regarde un match de football féminin ou en train de consommer, avec Nicolas Bay, du vin français théoriquement soumis à l’embargo) participent à la propagation d’une image de la Syrie luttant contre l’ennemi commun, « l’islamisme », et avec laquelle il vaudrait mieux recommencer à discuter.

La présence d’Andréa Kotarac à ses côtés donne à Thierry Mariani un « plus » non négligeable : jusqu’en mai 2019, il était considéré comme un cadre à fort potentiel de La France insoumise. Avant d’appeler, aux élections européennes, à voter pour la liste du RN, en précisant qu’il ne retrouvait plus l’orientation souverainiste et laïque qui l’avait conduit à LFI.

Son objectif est le même vis-à-vis de Moscou et de Damas : tenter de convaincre que leurs régimes autoritaires et décriés devraient être les alliés d’une France qui rejette la tutelle de l’OTAN, de l’UE et des États-Unis

Il existe en fait une autre raison qui explique sa convergence de vues avec l’ancien ministre de Sarkozy : tous deux ont exprimé des positions favorables à la politique du Kremlin tant en Syrie que pour l’annexion de la Crimée. Encore membre de LFI, Kotarac s’était rendu en avril dernier en Crimée, ce qui ne peut être qu’un geste de soutien à l’annexion de la région par la Russie.

Mariani préside depuis mars 2012 l’association Dialogue franco-russe, dont il a déclaré au Parlement européen qu’elle lui apportait une aide matérielle dans l’exercice de son mandat, par la mise à disposition de bureaux et salles de réunion. Il a par ailleurs été député, de juin 2012 à juin 2017, de la 11e circonscription des Français de l’étranger, qui comprend toute l’ex-URSS, et, de juin 2015 à novembre 2018, il a siégé au comité d’éthique de la chaîne télévisée Russia Today France.

Vladimir Poutine (à gauche), alors Premier ministre de la Russie, visite le stand de la Russie aux côtés de Thierry Mariani, alors secrétaire d’État aux Transports, lors du Salon international de l’aéronautique et de l’espace, le 21 juin 2011 au Bourget (AFP)
Vladimir Poutine (à gauche), alors Premier ministre de la Russie, visite le stand de la Russie aux côtés de Thierry Mariani, alors secrétaire d’État aux Transports, lors du Salon international de l’aé

Son objectif est le même vis-à-vis de Moscou et de Damas : maintenir un lien, depuis la société civile, entre la France et deux pays sous sanctions internationales. Tenter de convaincre que leurs régimes autoritaires et décriés devraient être les alliés d’une France qui rejette la tutelle de l’OTAN, de l’Union européenne et des États-Unis.

Et peut-être, enfin, se donner la stature d’un ministre des Affaires étrangères de son parti, de contribuer à sa normalisation, lui qui se décrit comme toujours fidèle au « RPR Canal Historique », le parti gaulliste de Jacques Chirac.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Jean-Yves Camus est le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP), Fondation Jean Jaurès, et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
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